En 1973, l’artiste cubaine Ana Mendieta invitait ses camarades de campus à passer dans son appartement. Arrivées sur place, étudiantes et étudiants tombaient sur sa porte d’entrée, ouverte, laissant apercevoir le corps de leur amie, dénudé et recouvert de sang, le buste couché sur une table.
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La scène était effroyable mais, heureusement, fausse : il s’agissait d’une performance réalisée par l’artiste, qui reconstituait le viol et le meurtre d’une étudiante infirmière sur son campus, à l’Université de l’Iowa. “Touchée et terrifiée” par ces crimes, l’artiste avait réagi de la façon qui lui semblait la plus naturelle : à travers l’art. Cette première performance sur le viol a été amplifiée par Ana Mendieta de deux autres occurrences, en forêt cette fois-ci, non loin des lieux du crime.
Une reconstitution augmentée
En ce mois de juin 2022, 37 ans après la mort d’Ana Mendieta et près de cinquante ans après la création de la performance Untitled (Rape), l’artiste Puppies Puppies s’apprête à lui redonner vie le temps de quelques heures, à la foire d’art contemporain Art Basel, ce samedi 18 juin à 16 heures.
Sur son compte Instagram, l’artiste a d’ores et déjà expliqué que sa performance durerait “entre cinq et six heures”. En plus de “recréer, nue, la performance d’Ana Mendieta pendant quelques heures”, elle donnera une conférence sur son travail et ses “expériences traumatiques, telles que le viol”, précise Artnews, en lien avec la galerie Balice Hertling qui représente l’artiste.
Pour terminer, Puppies Puppies, Jade Guarano Kuriki-Olivo de son vrai nom, quittera le lit vert de sa performance, recouvrira son corps nu d’un drapeau transgenre et se dirigera vers un parc de la ville où est exposée sa statue en bronze d’une femme transgenre, une statue d’elle-même, qu’elle embrassera : “Parce que je pense que je dois m’aimer et m’apprécier davantage.”
Une filiation évidente
La filiation entre les pratiques artistiques de Puppies Puppies et d’Ana Mendieta semble logique. Les deux artistes privilégient des performances physiques (souvent liées au sang), suscitant de fortes réactions, pour traiter d’enjeux féministes et sociétaux.
“À travers l’histoire, les œuvres et les images de personnes transgenres ont été effacées, profanées ou simplement autorisées à travers le regard de l’homme cis blanc. […] Il m’était important de créer ma propre image. […] On vit dans un monde transphobe. Les organes génitaux ne déterminent pas le genre, les chromosomes ne déterminent pas le genre”, écrit Puppies Puppies sur Instagram.
De son côté, Ana Mendieta affirmait en 1980 que son travail consistait en “une réponse personnelle à une situation”. “Je ne me vois pas aborder un tel problème de manière théorique”, déclarait-elle en réaction à Untitled (Rape). Une telle performance peut sembler contraster avec l’ADN d’Art Basel, plutôt tourné vers les gros chèques, mais Artnews rappelle que la foire n’en est pas à sa première performance contemporaine : en 2008, Marina Abramović était par exemple restée plusieurs heures sous un squelette humain.