“Au départ, je ne prévoyais pas de devenir artiste […] l’art n’était pas vraiment un choix de vie”, nous confie l’artiste plasticien Jean David Nkot. L’art s’est pourtant imposé à son existence comme une évidence lorsqu’il a voulu “exprimer [ses] frustrations vis-à-vis de ce [qu’il] observai[t] dans la société”.
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La notion de condition humaine, précise-t-il, constitue la ligne directrice de son travail, qu’il s’agisse de “l’ensemble des inégalités qui existent entre les individus” ou de la “manière dont ces derniers se perçoivent entre eux” : “Il ne s’agit pas uniquement de représenter la souffrance des individus, mais plutôt de faire prendre conscience à tout un chacun de la réalité de ce qu’il se passe ailleurs dans le monde. Je veux secouer les consciences et faire réagir les gens.”
© Jean David Nkot/Afikaris
Sa dernière série en date, justement intitulée Human@Condition et exposée à la galerie Afikaris jusqu’au 7 juillet, résulte de ses réflexions et observations concernant l’industrie minière sur le continent africain et ses conséquences sur les populations :
“Je m’intéresse particulièrement à la richesse des sols du continent africain et à la manière dont le reste du monde l’exploite. Le sujet des matières premières en Afrique étant l’une de mes principales préoccupations, c’est donc naturellement que j’en suis venu à réfléchir sur l’exploitation minière et les conséquences que l’extraction des minerais a sur les territoires locaux en termes d’impact écologique et humain.
À travers ce nouvel ensemble, je m’intéresse en particulier à la situation dans les mines en République démocratique du Congo et au Rwanda. L’approche thématique adoptée est avant tout économique. Les différentes données soulignent comment les pays d’Afrique sont prisonniers de leurs propres richesses, comment les autres pays les contrôlent et comment les populations locales en souffrent.”
© Jean David Nkot/Afikaris
La géographie politique et personnelle comme toile de fond
Les toiles du peintre camerounais sont entre-tissées d’histoires, de formes, de couleurs, de couches et de textures – acrylique, encre de Chine et Posca. Les visages dessinés par Jean David Nkot prennent vie sur des fonds de “cartographies imaginaires” qui “soutiennent l’histoire de la personne représentée”.
“Les cartes évoquent les villes traversées comme les villes rêvées. Parfois, elles analysent la situation géopolitique qui influe sur la vie des sujets au premier plan. Chaque toile est un morceau d’histoire, de l’histoire de la personne que je peins. Chaque toile aborde un aspect différent en fonction de mon modèle et de l’échange que j’ai avec lui”, détaille-t-il.
© Jean David Nkot/Afikaris
Ce travail cartographique n’est pas inédit dans le travail du peintre. Il le chérit depuis 2017 :
“Mes œuvres explorent les relations entre corps et territoire et la cartographie permet de soutenir mon propos et d’aller au-delà. La cartographie naît de mes recherches et analyses des données publiques. Elle remet en question ce qu’il se passe actuellement sur le territoire africain et en souligne les conséquences sur les vies humaines.
Je pense qu’il est important d’entrer progressivement dans mes œuvres. La première approche est liée à la couleur. Auparavant, mon travail était brutal. Vous n’aviez pas le temps d’adapter votre regard. Vous étiez directement plongé dans la violence du désespoir de mes personnages.
Désormais, j’introduis la violence du sujet petit à petit. Vous êtes dans un premier temps attiré par l’esthétique de la composition et des couleurs, avant d’être invité à comprendre ce qu’il se passe réellement dans mes toiles, aidé par le réseau de données et de mots-clés qui les ornent. On m’a appris qu’une œuvre d’art devait comporter une porte d’entrée et une porte de sortie. La couleur est cette porte d’entrée et l’histoire sous-jacente la porte de sortie.”
© Jean David Nkot/Afikaris
Montrer la dignité avant la souffrance
Les visages porteurs de ces histoires difficiles sont réalisés d’après des personnes faisant partie de l’entourage ou du quartier de l’artiste, qu’il prend en photo et avec qui il converse afin de “saisir leur essence”. “Ce sont les photos issues de ces conversations que je reproduis sur mes toiles. Cela me permet de retranscrire le plus justement possible leur expression, leur sensibilité et leur attitude.” Il donne à ces portraits le nom de “cryptoportraits” :
“C’est-à-dire que je prête aux personnes dont je fais le portrait l’histoire d’autres personnes […] Je représente les personnes dont les livres d’histoire ne parleront jamais. Je cherche précisément à donner une place à ces personnes qui font partie de l’histoire, mais restent dans l’ombre. Je veux montrer leur combat pour une vie meilleure. Plus que de représenter leur souffrance, je mets en avant leur attitude et leur dignité. Je veux montrer que, même si chaque jour est une peine, la vie vaut la peine d’être vécue.
L’art offre la possibilité et les moyens, tant sur le plan idéologique qu’esthétique, de dire des choses qui parlent à tout le monde. C’est à ce moment précis que ma pratique artistique prend tout son sens. J’utilise mon art pour attirer l’attention sur une période de changement. En tant qu’artiste, je cherche à immortaliser ces changements pour que personne n’ignore ce qu’il s’est passé [pendant cette] période.”
Pour Jean David Nkot, le propos premier de son exposition “Human@Condition” est d’envoyer “un message d’espoir”. “C’est une invitation à aller au-delà de nos différences, à être inspiré par des histoires et des trajectoires de vie différentes. Le but est de louer la résilience et le combat des corps.”
© Jean David Nkot/Afikaris
© Jean David Nkot/Afikaris
© Jean David Nkot/Afikaris
© Jean David Nkot/Afikaris
© Jean David Nkot/Afikaris
© Jean-David Nkot/Afikaris
L’exposition “Human@Condition” est visible à la galerie Afikaris jusqu’au 7 juillet 2021. Vous pouvez retrouver le travail de Jean David Nkot sur son compte Instagram.