Avec ses rues désertes et ses façades murées, Doel, au nord d’Anvers, est la “ville fantôme” la plus célèbre de Belgique. Mais ses quelques habitant·e·s – 21 actuellement – ont aujourd’hui l’espoir de voir leur cité renaître. Il s’agirait d’un spectaculaire revirement pour un lieu qui se vide régulièrement depuis la fin des années 1970, époque où sa population était soixante fois plus importante.
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Surtout connue pour héberger une centrale nucléaire, isolée au milieu des polders en bordure de l’Escaut, la petite cité flamande a été victime d’un projet d’extension du gigantesque port d’Anvers qui a poussé les habitant·e·s à fuir… mais qui n’a finalement jamais vu le jour. Conséquence : elle est devenue un terrain de jeu pour les graffeur·se·s, ainsi qu’une sorte d’attraction morbide pour les touristes curieux·ses et fans d’urbex venant se filmer dans des bâtiments en ruine.
La police patrouille régulièrement pour prévenir le vandalisme et empêcher l’installation de squatteur·se·s. Seuls une église et deux cafés – dont un adossé à un moulin du XVIIe siècle – rappellent aux visiteur·se·s que le village n’est pas complètement déserté.
“Ce n’est pas une ville fantôme… Bien sûr, si vous venez ici le dimanche, ou surtout le soir, vous voyez les maisons vides et c’est ça qui suscite ce type de commentaires”, explique à l’AFP une habitante, Liese Stuer. “Il est très important que les gens sachent qu’on peut encore vivre ici et venir s’installer”, ajoute-t-elle.
Cette femme de 37 ans, professeure de néerlandais pour les étranger·ère·s et graphiste indépendante, s’est installée il y a cinq ans à Doel où résidait déjà son conjoint. Enfant, elle s’y rendait avec ses grands-parents, qui vivaient à proximité, et elle se souvient du lieu comme d’une destination courue pour s’aérer dans la verdure.
Mais le destin de Doel a dérapé à la fin des années 1990, lorsque les autorités belges ont décidé d’exproprier et de raser plusieurs zones urbanisées autour du port d’Anvers – le deuxième d’Europe – pour construire un nouveau quai à conteneurs. Si la plupart des habitant·e·s sont parti·e·s, une poignée d’irréductibles est restée et a décidé de contester ce projet devant les tribunaux, tout en promouvant le street art pour égayer les maisons vides.
“Cicatrices du passé”
Après une série de rebondissements en justice, la victoire est acquise en 2019 quand le gouvernement régional flamand confirme que le village pourra être conservé. Trois ans plus tôt, en 2016, le Conseil d’État belge avait invalidé le projet d’extension du port, en s’appuyant sur une décision de la Cour de Justice de l’Union européenne qui insistait sur la nécessaire préservation des marécages au bord de l’Escaut.
Liese Stuer explique être restée à Doel pour la nature, et pour la solidarité et les liens qui se sont créés entre résident·e·s. “Le vert que l’on voit ici l’été, c’est vraiment agréable […], c’est l’endroit où je veux que mon enfant grandisse”, poursuit la graphiste. “Et puis je n’ai pas l’impression d’être isolée, pas du tout, l’ambiance est très chaleureuse ici.”
Sur la forme que prendra la résurrection du lieu, les discussions se poursuivent entre autorités et habitant·e·s. En décembre 2021, la commune a présenté un plan visant à accueillir progressivement de nouveaux·lles résident·e·s et à rénover un vieux bateau échoué, tout en construisant un nouveau quai pour les besoins du trafic portuaire.
“Nous savons que le village ne disparaîtra pas… Il a effectivement l’image d’une ville fantôme, mais il ne doit pas l’être”, assure à l’AFP Matthias Diependaele, ministre flamand chargé des Finances et du patrimoine immobilier. Le gouvernement flamand est aujourd’hui propriétaire de toutes les maisons sauf une.
“La chose la plus difficile est que nous savons pertinemment que juste à côté, il y aura une activité portuaire 24 heures sur 24 et sept jours sur sept”, ajoute-t-il. À ce stade, aucun calendrier n’a été arrêté, il est seulement question de préciser dans les semaines ou mois à venir les projets pour faire revivre Doel. “J’espère vraiment qu’ils évolueront dans le sens du retour à un village normal, avec ses cicatrices, bien sûr… Elles seront toujours visibles, les cicatrices de ce passé récent”, lâche Liese Stuer.
Konbini arts avec AFP