Entre rêve et déchéance, la banlieue afrikaner documentée par Cyprien Clément-Delmas et Lindokuhle Sobekwa

Entre rêve et déchéance, la banlieue afrikaner documentée par Cyprien Clément-Delmas et Lindokuhle Sobekwa

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© Lindokuhle Sobekwa/Rubis Mécénat/Magnum Photos

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

Pendant cinq ans, Cyprien Clément-Delmas et Lindokuhle Sobekwa ont immortalisé une banlieue blanche et pauvre d’Afrique du Sud.

“Deux jeunes hommes, l’un noir, l’autre blanc, marchent côte à côte avec leur appareil photo autour du cou. Dans un pays longtemps divisé par le régime de l’apartheid, le duo se démarque. Tout a commencé par un désir d’explorer ce territoire inconnu, ce quartier afrikaner qui semblait si difficile à pénétrer.” C’est ainsi que le photographe Cyprien Clément-Delmas résume le travail qu’il a mené main dans la main avec Lindokuhle Sobekwa, à Daleside.

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Le premier est français. Le second est un photographe sud-africain, dont la mère était employée de maison et travaillait dans cette ville dominée par le racisme des Afrikaners. “J’ai visité Daleside pour la première fois alors que ma mère y travaillait en tant qu’employée de maison. À cette époque, ce quartier [était] dominé par les Blancs” et l’apartheid. “Les personnes pour lesquelles travaillait ma mère ne m’autorisaient pas à entrer chez elles”, a confié Lindokuhle Sobekwa.

“Daleside”, 2015-2020. (© Lindokuhle Sobekwa/Rubis Mécénat/Magnum Photos)

Ensemble, les deux photographes ont voulu dresser un portrait en miroir, sur cinq ans, de la ville de Daleside : une banlieue afrikaner fracturée par l’histoire, située au sud-est de Johannesburg, en Afrique du Sud.

“Il y a quelque chose d’universel et d’intemporel à Daleside. Plus je m’immergeais dans la ville, plus je constatais les mêmes tendances que celles que j’avais observées ailleurs. Daleside pourrait très bien être une ville du Texas, un petit village du Nord de la France, une petite bourgade d’Ukraine ou bien une communauté fermière australienne”, compare Cyprien Clément-Delmas.

“Daleside”, 2015-2020. (© Lindokuhle Sobekwa/Rubis Mécénat/Magnum Photos)

“Des rêveurs statiques, prisonniers de cette ville”

Leurs images de ces lieux et de celles et ceux qui les habitent (souvent des mineurs ou des paysan·ne·s) révèlent une ville fantôme isolée, comme figée dans le temps. De son côté, le photographe français a mis en exergue les rêves et désillusions de ses sujets laissés-pour-compte, tandis que Sobekwa s’est davantage penché sur la misère sociale qui lient les habitant·e·s noir·e·s et blanc·he·s, au passé industriel et florissant déchu.

“La plupart des familles qui restent vivre à Daleside ne peuvent pas aller vivre ailleurs. Elles ne peuvent pas échapper à cet endroit. Les habitants de Daleside aspirent à une vie meilleure ou à une vie différente. Mais ils sont sans cesse rappelés à la réalité. Ce sont des rêveurs statiques, prisonniers de cette ville, de leur propre vie et de la classe sociale à laquelle ils appartiennent”, exprime Clément-Delmas dans un communiqué de presse.

“Mon travail s’intéresse à l’intimité des résidents de Daleside et à leurs espaces personnels – en tant que premier projet photographique réalisé en dehors des townships – il m’a permis de sortir de ma zone de confort et de mettre en lumière une autre communauté sud-africaine”, poursuit Sobekwa.

“Daleside”, 2015-2020. (© Cyprien Clément-Delmas/Rubis Mécénat)

Deux expériences de reportage différentes

Dans le prolongement des photographies, Clément-Delmas a réalisé un film qui recueille les témoignages de familles vivant à Daleside qui leur ont ouvert leurs portes. En tant que Blanc, il confie avoir été plus “facilement accueilli” que son confrère noir qui a davantage subi les regards méfiants de cette communauté majoritairement blanche repliée sur elle-même.

“Comme partout dans le monde, les habitants de Daleside souffrent du manque d’éducation et d’opportunités. Lindokuhle avait l’habitude de dire que les pauvres de Daleside avaient les mêmes problèmes que ceux de Thokoza, le township dont il est originaire. La réalité est différente, mais les problèmes restent les mêmes.

Daleside est l’un des rares endroits où les travailleurs noirs et les travailleurs blancs sont aussi pauvres les uns que les autres. C’est ainsi que j’ai compris qu’en réalité, ce qui divise profondément une société, ce sont les inégalités sociales. Quelque part, j’ai réalisé que la justice sociale est ce pour quoi nous devons vraiment nous battre, ici et partout ailleurs.”

“Daleside”, 2015-2020. (© Cyprien Clément-Delmas/Rubis Mécénat)

En 2019, Lindokuhle Sobekwa faisait déjà part au Guardian de ses difficultés pour mener à bien ce projet : la communauté blanche lui donnait l’impression qu’il n’était pas le bienvenu. “Daleside a bien changé depuis 2001. Il y a maintenant des Noirs qui vivent là-bas […]. Cyprien a fait des interviews avec les habitants blancs et j’étais surpris de ce qu’il me rapportait. La plupart d’entre eux n’aiment pas les personnes noires. Ils pensent que les Noirs ont amené le crise, la drogue et toutes les mauvaises choses. […] Je sentais parfois que j’avais du mal à me lier à eux : et pour moi, il est important de sentir une connexion avec les gens que je photographie.”

Les deux collaborateurs sont heureux de présenter pour la première fois leur série – qui résulte d’une commande de “Rubis Mécenat” –  dans un ouvrage aux éditions Gost Books et lors du festival “PhotoSaintGermain“, qui se tient à Paris jusqu’au 23 janvier 2021.

“Daleside”, 2015-2020. (© Lindokuhle Sobekwa/Rubis Mécénat/Magnum Photos)

“Daleside”, 2015-2020. (© Cyprien Clément-Delmas/Rubis Mécénat)

“Daleside”, 2015-2020. (© Cyprien Clément-Delmas/Rubis Mécénat)

“Daleside”, 2015-2020. (© Cyprien Clément-Delmas/Rubis Mécénat)

“Daleside”, 2015-2020. (© Lindokuhle Sobekwa/Rubis Mécénat/Magnum Photos)

“Daleside”, 2015-2020. (© Lindokuhle Sobekwa/Rubis Mécénat/Magnum Photos)

“Daleside”, 2015-2020. (© Lindokuhle Sobekwa/Rubis Mécénat/Magnum Photos)