Samedi 27 février, quatre silhouettes longues de trente mètres étaient visibles depuis le ciel australien, se déplaçant doucement près du lac Cawndilla, dans la Nouvelle-Galles du Sud. Les immenses portraits en noir et blanc photographiés et agrandis par l’artiste français JR flottaient, couchés, au-dessus du sol grâce au soutien d’une soixantaine de personnes des environs. Elles étaient venues mettre en lumière le désastre écologique que subit la rivière Baaka-Darling, située sur des terres de peuples premiers. Elles voulaient également montrer l’impasse dans laquelle se trouvent les agriculteur·rice·s qui dépendent du cours d’eau pour leurs cultures.
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Il y a un peu plus d’un an, la région était singulièrement touchée par les feux qui ravageaient, une fois de plus, le pays entier. En quelques mois, l’état d’urgence avait été déclaré trois fois dans la Nouvelle-Galles du Sud, l’État le plus peuplé d’Australie. Cet épisode de sécheresse extrême, causé en partie par le bouleversement climatique, avait fini de tarir la rivière Baaka-Darling, connue pour être le troisième plus long cours d’eau du pays, grâce à ses 1 570 kilomètres de long.
L’état de la rivière (dont les eaux sont dérivées, surexploitées et inondées de pesticides) préoccupe les esprits depuis de nombreuses années et constitue un lourd point de tension entre les populations locales (notamment aborigènes) et le gouvernement. En 2019, la rivière avait fait les gros titres, après que les cadavres de millions de poissons flottent à la surface et alertent quant à la situation désastreuse de la rivière et aux difficiles retombées pour celles et ceux qui en dépendent quotidiennement.
Mettre des visages sur une catastrophe écologique
Venu dans la région début 2020, JR avait rencontré plusieurs de ces locaux·les qui lui avaient exposé leurs difficultés. C’est pour mettre en lumière leur situation que l’artiste a photographié quatre d’entre eux : Rachel Strachan, Alan Whyte, Wayne Smith (“des fermiers obligés d’abandonner leurs vergers”, précise le Guardian) et William Badger Bates, un artiste baakandji (une population aborigène), fervent défenseur de la rivière.
Ce sont leurs silhouettes qui ornent en ce moment une “chapelle en plein air” et qui ont effectué la “procession” du samedi 27 février 2021, dans le cadre de la triennale d’art contemporain, d’architecture et de design organisée par la National Gallery of Victoria : “On entend parler de l’agriculture et de ses dilemmes, des agriculteurs qui se suicident. Pourtant, il n’y a pas d’images fortes et puissantes qui nous permettent de nous en rendre compte”, a expliqué JR au Guardian.
Les restrictions sanitaires n’ont pas permis à l’artiste français de suivre la procession, sous forme de “marche funéraire pour ce qui se passe juste sous nos yeux”, mais ce dernier ne le regrette pas, au contraire :
“Je suis plutôt content que la marche n’ait lieu qu’avec des locaux. […] Pourquoi aurait-on besoin d’un artiste international au milieu de tout ça ? Mon job, c’était de rencontrer les gens, agrandir les photos et travailler avec le musée. Bien sûr, j’aurais aimé pouvoir marcher avec tout le monde, mais… c’est leur projet, leur bataille, leur histoire.”
“Qui suis-je, en tant que Français, pour raconter leurs histoires mieux qu’eux ?”, ajoutait celui qui tente, avec ses projets de grande envergure, de porter à l’attention du grand public les histoires d’anonymes et les problématiques universelles.