“Elle est un peu Robert Doisneau et Diane Arbus, mais elle est surtout beaucoup elle-même.” À Paris, une rétrospective célèbre l’œuvre de l’Américaine Vivian Maier, ancienne nounou et photographe des “laissés-pour-compte du rêve américain”, découverte après sa mort.
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Des clichés jamais vus parmi les 278 photos exposées, neuf films et des objets lui ayant appartenu, l’exposition qui a ouvert au musée du Luxembourg a tout d’un événement “inédit”, relève auprès de l’AFP sa commissaire, Anne Morin.
Bibliothèque publique de New York, vers 1954. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
Née à New York en 1926, Vivian Maier – de mère française – a passé sa vie dans l’ombre, avant d’être révélée au public en 2011, deux ans après sa mort et grâce à la découverte fortuite de son corpus photographique (photos, films et négatifs) dans un garde-meubles à Chicago.
L’histoire de Vivian Maier est exceptionnelle. Car celle qui est aujourd’hui célébrée dans les plus grandes galeries et musées du monde fut une nounou anonyme, pendant quarante ans, pour de riches familles américaines. Décédée en 2009 à l’âge de 83 ans, elle n’a jamais été exposée de son vivant.
Chicago, années 1960. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
Une artiste “hors norme”
C’est un agent immobilier, John Maloof, qui acquiert une partie des archives et tente de reconstituer le fil de sa vie. En 2011, il monte une exposition à Chicago, saluée par la critique et le public, puis coréalise un documentaire à succès, Finding Vivian Maier (À la recherche de Vivian Maier).
“Nous sommes face à une artiste hors norme”, déclare Anne Morin, qui avait consacré une première exposition à la photographe, en 2014 à Tours. “Hors norme”, car le mystère qui entoure sa vie a fait d’elle un sujet de fascination. Et parce qu’elle laisse derrière elle plus de 120 000 images, soit un tiers de celles du Français Robert Doisneau, qui était photographe professionnel, rappelle la commissaire.
Chicago, 1956. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
Comprendre son travail, pénétrer son corpus intellectuel pétri de références à la culture française – du cinéaste Robert Bresson au philosophe Gilles Deleuze –, tels sont les objectifs de l’exposition. Plus qu’une “réhabilitation”, l’événement entend “habiliter une artiste” longtemps méconnue.
L’exposition s’ouvre par ses autoportraits. Côté sombre, des ombres allongées sur un mur. Côté lumière, le reflet d’une silhouette sur une vitrine ou dans un miroir. Vivian Maier joue des contrastes, expérimente, se cache, puis se montre. “Ses autoportraits lui servent à accéder à sa propre identité, elle qui n’était personne dans la société américaine”, analyse Anne Morin.
Digne, 11 août 1959. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
Photographe de la caste des invisibles
Elle photographie aussi les scènes de rue, à New York et à Chicago principalement. À chaque fois, elle tente de capter sur le vif des moments de vie quotidienne. Dans les quartiers populaires, elle dresse le portrait de travailleur·se·s désargenté·e·s : corps abîmés, visages épuisés.
“Elle photographie la caste des invisibles, elle-même faisait partie de ces invisibles, ces laissés-pour-compte du rêve américain. Un rêve basé sur la ségrégation et la sélection”, avance Mme Morin. Ce sont ces images qui l’ont élevée au rang des plus grand·e·s photographes de rue, même si son travail s’inscrit également dans le courant de la photographie humaniste, explique-t-elle.
Sans lieu, 1955. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
“Pour moi, toutes ses photos sont un acte de liberté et de résistance. Sans jamais outrepasser le périmètre qui lui a été administré – quelqu’un qui n’existe pas, qui est au service des autres, qui vit par procuration –, elle a créé son espace de récréation et de création.”
L’exposition montre aussi l’attrait de l’artiste pour le cinéma, à travers plusieurs films qu’elle a réalisés. “Là encore, elle essaie de nous montrer comment elle regarde, comment elle cherche, comment elle est en attente de cette image qui se présente à elle”, détaille Anne Morin.
Comme si elle était parvenue à la fin d’un cycle, les clichés qu’elle prend à la fin de sa vie sont des photographies abstraites, rompant avec l’esthétisme de ses débuts. “Je pense qu’elle n’avait plus de conversation avec le réel et qu’elle était à bout et au bout de quelque chose. Son langage s’était vidé de lui-même.”
New York, 1953. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
New York, 31 octobre 1954. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
Chicago, sans date. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
Chicago, 16 mai 1957. (© Vivian Maier/Courtesy of Maloof Collection & Howard Greenberg Gallery, NY)
L’exposition sur Vivian Maier est à voir au musée du Luxembourg, à Paris, jusqu’au 16 janvier 2022.
Avec AFP.