Œuvre hybride, entre récit photographique, biographie et mémoire, L’Espace du rêve plongera son lecteur dans l’intimité du cinéaste.
À voir aussi sur Konbini
Tout le monde connaît les films de David Lynch. Du cultissime Mulholland Drive au très spécial Inland Empire en passant par des classiques comme Blue Velvet, Sailor et Lula, Elephant Man ou encore sa série (cocréée avec Mark Frost) Twin Peaks, il est très difficile de vivre une vie sans avoir entendu parler de ses chefs-d’œuvre cinématographiques. Et si on ne s’intéresse pas au cinéma, on est certainement déjà tombés sur son duo avec la chanteuse suédoise Lykke Li, sur son club parisien très privé, le Silencio, ou sur ses peintures et lithographies.
Telle une autopsie de l’esprit insondable de David Lynch et des démons qui le hantent, l’ouvrage L’Espace du rêve (Room to dream, en version originale) renferme les plus intimes et sombres confessions du réalisateur américain. Publié aux éditions JC Lattès, le livre a été écrit à quatre mains par Lynch lui-même et la journaliste et critique américaine Kristine McKenna, qui se sont rencontrés en 1975. L’autrice s’est rapprochée de l’entourage de Lynch pour récolter des témoignages afin de dresser un portrait “d’autorité” et intime :
“Quand nous avons décidé d’écrire ensemble L’Espace du rêve, voici quelques années, nous voulions atteindre deux objectifs. Le premier consistait […] à proposer une biographie qui fasse autorité […]. Et le second participait d’une exigence : nous voulions que la voix de notre personnage principal [David Lynch], qui est aussi le sujet de ce livre, tienne un rôle de premier plan tout au long du récit. […]
Ce livre se veut une chronique des événements tels qu’ils se sont déroulés, et non une explication du sens de ces événements. […] Nous tenions à ce que cette biographie fasse autorité, et pourtant elle n’est qu’un simple aperçu”, écrivent les deux coauteurs dans la préface du livre.
Ainsi, Lynch rectifiait les chapitres écrits par McKenna d’après ses recherches, et se livrait aussi à la rédaction en se servant “des souvenirs des autres pour exhumer les siens”. Parmi ces centaines de proches interviewés par McKenna depuis 2015, de Sting à Isabella Rossellini, on retrouve des amis, des membres de sa famille, ses ex-épouses, des acteurs, agents, musiciens et autres collaborateurs.
Une énigme
Plongé dans les souvenirs de son enfance dans l’Idaho, illustrés par ses photos de famille, le lecteur navigue de confidence en confidence. Lynch évoque par exemple cette “femme nue à la peau blanche” et “une bouche en sang” que son frère et lui ont un jour vu descendre la rue au crépuscule. Une image mentale déterminante pour l’univers énigmatique du cinéaste.
Autres réminiscences : il avait par exemple l’habitude d’acheter des maquereaux pour les disséquer chez lui, et quand il a appris que la productrice Raffaella De Laurentiis allait subir une hystérectomie, il lui a demandé qu’elle lui offre son utérus. Il se justifie : “Je suis obsédée par les textures. […] Ce que les gens considèrent généralement comme grotesque ne me paraît pas grotesque à moi.”
Sans vouloir faire dans l’analyse filmique, Lynch se raconte : ses peines, ses amours, ses échecs, ses amitiés, les obstacles qu’il a dû franchir. Il parle de son impulsion créative, lève le voile sur son goût pour l’obscurité et le spirituel, ainsi que son obsession pour les personnages de femmes en pleine détresse. Toutes ces anecdotes ont bâti le “mystère Lynch”, sa vie et son œuvre sous différents angles. Reste à savoir si ce mystère peut réellement être percé en 600 pages.
L’Espace du rêve de David Lynch et Kristine McKenna, traduit de l’anglais par Carole Delporte et Johan Frederik Hel Guedj, publié aux éditions JC Lattès, 600 pages, 25,90 euros.