Cela fait plusieurs semaines que JR partage des images depuis une prison à sécurité maximale située en Californie. Avec l’aide de détenus volontaires (dont la grande majorité est incarcérée depuis l’adolescence et condamnée à perpétuité à cause de la loi californienne “des trois coups”, qui veut qu’un individu condamné pour la troisième fois soit enfermé à vie), l’artiste français a créé une œuvre gigantesque se déployant au milieu du désert.
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Aux côtés de JR et des prisonniers, certaines de leurs victimes ainsi que des membres de l’équipe de la prison ont œuvré à la création d’un collage en noir et blanc composé de 338 bandes de papier. Vu du ciel, symbole de liberté, le groupe d’hommes pose et regarde droit vers l’objectif.
“Des moments entre les murs. Prison à sécurité maximale de Tehachapi, en Californie.”
Ce lundi 18 novembre, JR a partagé des clichés du projet fini, accompagnés de quelques mots de retour sur l’expérience. Particulièrement touché par les histoires de ces prisonniers en quête de rédemption, il a mis en ligne sur son application (iPhone et Android) des images et des enregistrements de ces hommes, afin que leurs récits traversent les murs de la prison et les frontières.
À travers ce projet, JR espère éclairer d’une lumière différente des individus mis au ban de la société tout en imaginant leur réhabilitation grâce à des activités artistiques et humaines.
“Prison à sécurité maximale de Tehachapi. Les prisons m’ont toujours intéressé. Après tout, comme une toile, une prison n’est que des murs fermés.
J’avais commencé un projet il y a quelques années à Rikers Island et c’était une expérience fascinante parce qu’il n’arrive jamais rien dans une prison, et quand ceux qui s’y trouvent sont confrontés à quelque chose de nouveau, ça devient rapidement quelque chose de marquant pour eux. Ils y investissent tant d’énergie que ça devient très intense.
Un ami m’a récemment appelé pour me dire que je pouvais accéder à une prison californienne si je le voulais. Au début, je pensais que cela impliquerait bien trop de paperasses et de contraintes mais heureusement, quelqu’un qui avait participé à l’exposition ‘The Chronicles of San Francisco’ a facilité le processus.
Avec Google Earth, j’ai survolé les 35 prisons d’État californiennes et j’ai choisi Tehachapi sans savoir que c’était une prison à sécurité maximale… Je me suis simplement dit que le jardin et les environs seraient parfaits pour une image.
L’idée était de rencontrer les hommes travaillant à leur réadaptation ainsi que d’entrer en contact avec d’anciens détenus, les membres de leur famille mais aussi des employés de la prison et des survivants de crimes violents.
Quand je suis arrivé, j’ai compris que la plupart de ces hommes étaient arrivés quand ils étaient encore adolescents, entre 13 et 20 ans… Je leur ai parlé de mon projet et j’ai bien insisté sur le fait que je ne voulais pas savoir ce qu’ils avaient fait. Ils sont passés par la case tribunal, ont reçu une sentence et je ne suis pas leur juge. Deux ou trois hommes sont tout de même partis parce qu’ils pensaient que ma présence rendrait mal à l’aise leur famille ou les familles de leurs victimes.
On m’a demandé de ne pas trop approcher ces hommes parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec les interactions sociales mais quand je suis entré, je n’ai pas pu m’empêcher de les regarder dans les yeux, de leur serrer la main, de me présenter et de leur demander leur nom. Juste parce que c’est ce qu’on fait entre êtres humains. Ils étaient incroyablement reconnaissants de ces gestes… Un certain nombre d’entre eux a reçu une sentence à perpétuité à cause de la loi californienne ‘des trois coups’.”
“Certains d’entre eux seront libérés parce que la loi a changé depuis qu’ils sont incarcérés. Lors de ce projet, j’avais le droit d’utiliser mon portable et j’ai pu partager des moments du collage sur les réseaux sociaux. J’ai reçu des réactions venant de partout, de leur famille, leurs victimes, des critiques, des gens qui étaient choqués par le tatouage Svastika [symbole utilisé dans les religions pratiquées en Asie et repris par Adolf Hitler pour créer la croix gammée, ndlr], etc. J’ai partagé ces réactions, nous avons discuté.
Les familles des détenus ont également commencé à répondre sur les réseaux et il y a eu une brève connexion entre l’intérieur et l’extérieur. Quand l’œuvre a été collée, nous avons décidé d’attendre une quinzaine de jours afin de créer une plateforme pour que tout le monde puisse entendre les histoires. Pourquoi ? Parce qu’on sait que c’est un sujet sensible et qu’on veut que chacun puisse écouter des histoires d’espoir et de rédemption, pour recevoir des témoignages qu’on n’entend pas habituellement. Parce que ce qu’il s’est passé lorsque ces hommes, leurs gardes et certaines victimes ont travaillé ensemble à la création d’une œuvre doit être vu. Nous voulions partager le processus et rendre compte de toute la complexité des actions humaines et de ce dont nous avons été témoins.
Ces hommes ont été jugés coupables lorsqu’ils étaient jeunes, certains se sont retrouvés dans des gangs et ont commis de lourdes fautes dont ils ont payé le prix, ou sont en train. Ils disent qu’ils ont changé et qu’ils sont prêts à devenir des citoyens actifs pour donner un sens à leur vie.
La dernière image a été prise avec un drone. On y voit des anciens détenus et des victimes qui leur ont pardonné et ont accepté d’entrer dans la prison pour coller cette immense image composée de 338 bandes de papier.
Il y a quelques années, j’avais entamé l’interrogation : ‘L’art peut-il changer le monde ?’ C’est toujours une question ouverte. Avec ce projet, je veux poser une nouvelle question : ‘Un homme peut-il changer ?’ Avant de répondre oui ou non, posez-vous la question : ‘Ai-je changé ? Ai-je commis des erreurs, me suis-je excusé et suis-je passé à autre chose ? Si je l’ai fait, pourquoi pas eux ?'”
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