Juillet 1993. Neuf mois avant le suicide de Kurt Cobain en avril 1994 et deux mois avant la sortie de son dernier album, In Utero, Nirvana s’est fait tirer le portrait par Jesse Frohman, commissionné par The Observer. Le photographe disposait de cinq heures avec le groupe, qui devait signer la couverture du journal.
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Sauf que rien ne s’est passé comme prévu. Et pourtant, les photos sont devenues cultes. Dans son ouvrage photographique Kurt Cobain, The Last Session, Frohman détaille le déroulé de ce shooting “chaotique” avec une centaine de clichés inédits et de planches-contacts.
© Jesse Frohman
“J’ai besoin d’un seau parce que je pense que je vais vomir”
Tout commence dans le sous-sol d’un hôtel new-yorkais, où Kurt Cobain ne semble pas totalement réveillé après être arrivé trois heures en retard. Il était recoquillé dans un manteau léopard, arborait de grandes lunettes de stars pour dissimuler ses yeux fatigués, portait une chapka, et n’était pas d’humeur à collaborer…
“Il m’a dit : ‘Est-ce que tu as un seau ?’ C’est la première chose qu’il m’a dite. Je l’ai salué, j’étais heureux qu’il soit là. Je lui ai répondu que nous allions lui trouver ça et je lui ai demandé pourquoi avait-il besoin d’un seau, et là, il m’a répondu : ‘J’ai besoin d’un seau parce que je pense que je vais vomir.’ J’ai vite compris qu’il était super high, et j’ai appris plus tard qu’il avait fait une overdose plus tôt dans la matinée, c’était la cause de son retard.
Mais il est venu ! Après une overdose… J’ai eu beaucoup de chance qu’il vienne. Surtout quand on sait qu’avec son groupe, ils se fichaient pas mal des médias. Pas de limousines, pas de jets privés, ils n’étaient pas des rock stars au même titre que les Rolling Stones ont pu l’être par exemple. Avec du recul, je suis donc très surpris qu’il soit venu”, confie le photographe à Vogue.
“Kurt s’en fichait. Il ne cherchait pas à avoir l’air cool, il était juste cool”
Frohman n’avait pas d’autres choix que cette salle de conférences froide en sous-sol alors qu’il imaginait initialement son shooting à Central Park, en plein air. Par manque de temps, il n’a pas pu réaliser sa lubie de voir Kurt Cobain allongé sur des rochers et s’est contenté de trente minutes d’attention.
© Jesse Frohman
Il décide de le laisser faire, et de le laisser poser comme il le sentait, en le remettant en place de temps à autre pour obtenir (tout de même) quelques “émotions” intéressantes. Sans artifices, Kurt s’est révélé désabusé devant l’appareil photo de Frohman, fumant une clope, sans un sourire, exhibant son vernis écaillé, crachant, et posant comme une diva sulfureuse des années 1990, à la manière d’un mug shot.
“Kurt s’en fichait, et ça transparait sur toutes les photos de lui. Il ne cherchait pas à avoir l’air cool, il était juste cool. Avec cette manière nonchalante d’être, de s’habiller. Même s’il avait sans doute voulu être une rock star, il était avant tout un vrai artiste, un poète. À l’opposé du concept de pop star, d’un produit marketing complètement inventé. Il était stone quand je l’ai photographié, il s’est donc révélé sans fards, d’une manière très directe et très honnête”, poursuit-il auprès de Vogue.
La séance photo s’est prolongée ensuite dans la rue, et dans la salle de concert du Roseland Ballroom, où Nirvana se produisait le soir même. À aucun moment, le regard de Kurt Cobain n’a croisé l’objectif du photographe américain. À chaque fois, son regard fuyait, ou il se cachait derrière ses grosses montures. Le portraitiste n’a pu obtenir qu’une seule photo sans lunettes, dans la salle de concert, brute, sans son personnage. Et c’est ainsi que “Kurt Cobain est devenu [sa] Marilyn [Monroe]”.
© Jesse Frohman
© Jesse Frohman
© Jesse Frohman
© Jesse Frohman