#FoodPorn, #NoFilter ou #OOTD… Ces termes se sont imposés en dix ans dans le quotidien d’un milliard de personnes grâce à Instagram, l’application qui a bousculé notre façon de manger, voyager et même consommer. Le 6 octobre 2010, les Américains Kevin Systrom et Mike Krieger lancent un réseau social dédié au partage de photos. La nouveauté ? L’application conçue pour smartphones propose des filtres pour doper la luminosité, les contrastes, les couleurs… La photo parfaite, en style Polaroid, est à portée de clics. Le succès est instantané.
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Deux ans plus tard, l’appli, qui a aussi révolutionné la photographie en imposant ses codes, est rachetée par Facebook. Elle est devenue entre-temps la plateforme où chacun·e se met en scène à travers des selfies. Jusqu’à créer des stars en ligne, les “Instagirls”, comme Chiara Ferragni (21 millions de followers), devenue ensuite égérie Lancôme, et Kylie Jenner, du clan Kardashian, suivie par 196 millions de fans.
“On est entrés dans l’ère de ‘l’Internet réalité’, où on ne peut exister qu’à travers ce qu’on publie sur les réseaux sociaux. Je selfie donc je suis”, résume Michaël Stora, psychologue et président de l’Observatoire des mondes numériques. Cette quête effrénée de likes “enferme les ados dans une fausse bulle de perfection” qui leur renvoie l’image qu’ils ne sont “pas à la hauteur”, poursuit le chercheur. Des effets dévastateurs souvent tus par les aficionados.
“Cash machine”
Le succès d’Instagram n’a pas échappé aux marques. Ainsi, le selfie des Oscars 2014, avec Ellen DeGeneres, Jennifer Lawrence, Brad Pitt et autres célébrités, agglutiné·e·s, tout sourire, était en fait pris par un smartphone Samsung, sponsor de la soirée. Pour les marques de luxe comme de fast-fashion, Instagram permet de transformer les millions d’utilisateur·rice·s en client·e·s, grâce à une fonctionnalité shopping incluant des liens qui redirigent vers un site marchand.
Les marques peuvent dorénavant solliciter les consommateur·rice·s sur leur téléphone et, surtout, sans intermédiaire, leurs images s’affichant entre deux posts et dans le même format carré. Une aubaine également pour l’industrie du luxe qui en profite pour s’offrir une image plus démocratique. “En publiant du contenu gratuitement, elles s’ouvrent à tous, battant en brèche l’image de snobisme qui lui collait à la peau”, souligne l’historienne de la mode Audrey Millet.
Véritable “cash machine” pour les entreprises, l’application l’est aussi pour des milliers d’influenceur·se·s, souvent jeunes, qui vivent grâce aux photos publiées et sponsorisé·e·s par des marques. “On m’envoie le produit et j’assure tout le service autour : le shooting, la mise en valeur… Les marques n’ont plus besoin de faire appel à une agence de pub. On s’occupe de tout”, explique Pauline Privez, 36 ans, influenceuse mode et beauté depuis 2009 aux 140 000 abonné·e·s.
Cuisine 2.0, tourisme de masse et militantisme
Prendre son toast à l’avocat en photo et le publier, immortaliser son latte… L’application s’est aussi imposée dans l’univers feutré de la restauration, bousculant la vie des chef·fe·s et des amateur·rice·s. Trentenaire parisienne, Maëlle Bourras suit “une quinzaine de chefs”, dont le triplement étoilé Alain Passard (un demi-million d’abonné·e·s) et le très médiatique Cyril Lignac (2,5 millions d’abonné·e·s). “Le week-end, j’essaie de reproduire certaines de leurs créations. C’est gratuit, en accès libre et ça me permet de varier des plats habituels”, détaille la jeune femme.
Instagram est aussi la vitrine idéale des offices du tourisme qui misent sur l’application et les instagrameur·se·s pour promouvoir des destinations. Et si on allait en Croatie ? Ou se balader rue Crémieux à Paris ? Pauline Privez fait six à sept “voyages sponsorisés” par an, “sans compter les petits voyages presse sur deux jours”. L’influenceuse publie des stories ou fait des publications vantant une destination, moyennant rémunération. Fini les guides de voyage, la jeune femme ne mise désormais que sur la plateforme : “Je demande des recommandations à ma communauté ou je cherche via les outils de géolocalisation.”
Pendant le grand confinement, le temps passé sur Instagram, comme sur les autres plateformes, a explosé. Mais après deux mois de photos de progrès en yoga et autres prouesses gastronomiques, le mouvement américain Black Lives Matter est devenu incontournable sur la plateforme, qui a pris une dimension davantage militante et politique. En parallèle, la toute jeune TikTok – qui semblait l’apanage des plus jeunes (la fameuse génération Z), adeptes de vidéos distrayantes, musicales ou parodiques – a conquis un public beaucoup plus large. Son immense popularité menace de détrôner Instagram, royaume des millennials.