Rencontre : le quotidien des cholitas boliviennes mis en images par Delphine Blast

Rencontre : le quotidien des cholitas boliviennes mis en images par Delphine Blast

Après avoir été discriminées de nombreuses années, on assiste à un véritable retour en grâce des cholitas en Bolivie. Delphine Blast a décidé de photographier ces femmes, afin de mieux comprendre cette soudaine évolution.

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Avec leurs vêtements colorés, leurs chapeaux melon et leurs longues tresses noires, les cholitas sont un véritable symbole de la Bolivie et de la culture indigène. Pourtant, au sein du pays, ces femmes ont été violemment discriminées durant de nombreuses années. Aujourd’hui mise sur le devant la scène et forte d’une présence médiatique, artistique et politique, on assiste à un véritable renouveau de la cholita. Intéressée de près par cette évolution, la photographe Delphine Blast a décidé de se consacrer pleinement à ce sujet en réalisant la série Cholitas, la revanche d’une génération. Après avoir réalisé 35 portraits pour renouveler le regard porté sur la féminité en Bolivie, elle part en reportage pour comprendre le quotidien des cholitas d’aujourd’hui. Son travail a été publié dans le National Geographic et l’intégralité du projet sera présenté en novembre prochain à la Chata Gallery, l’occasion pour nous d’échanger avec elle sur sa démarche et ses motivations.

Cheese : Pouvez-vous nous expliquer en deux mots ce que sont les cholitas ?

Delphine Blast : Les cholitas sont des femmes traditionnelles boliviennes. Par traditionnelles, j’entends que ce sont des femmes d’origine aymara et quechua. Ce terme désigne les femmes qui étaient originaires de la campagne et qui sont arrivées en ville. Durant des années, ça a été un terme un peu négatif, mais aujourd’hui, il y a un renouveau de la cholita, une sorte de boum, surtout à La Paz.

Qu’est-ce qui a fait que vous vous êtes intéressée de près aux cholitas ?

La première fois que je suis partie en Bolivie, c’était il y a 10 ans et ces femmes m’avaient fascinée. Je les observais comme n’importe quel touriste à l’époque : j’avais été très impressionnée par ces femmes, les couleurs de leurs vêtements. Ce sont des femmes qui travaillent très dur, et elles m’avaient impactée moi aussi en tant que femme. On est en Amérique latine, dans un pays assez macho, et malgré tout ces femmes avancent. Aujourd’hui, il y a des défilés de mode de cholitas, il y a des femmes cholitas en politique, il y a une femme cholita qui est chauffeur de bus. Je voulais comprendre ce renouveau, cette évolution sociale : qu’est-ce qu’être une cholita en Bolivie aujourd’hui ?

Comment est-ce que tu as fait pour prendre contact avec ces femmes ?

En passant du temps sur place ! L’année dernière, je suis restée un peu plus de deux mois dans le pays, maintenant je vis ici. C’est le travail du photojournaliste : de la patience, se faire des contacts. J’ai été très souvent à des fêtes traditionnelles, avec des défilés de cholitas. J’y allais avec mon petit cahier, je leur expliquais mon projet et je prenais leur numéro de téléphone pour leur donner rendez-vous. Au fur et à mesure, le bouche-à-oreille fonctionne.

Est-ce que ça a été compliqué ?

Il faut être patient, ce n’est pas ma première qualité ! [Rires.] Ça n’a pas toujours été évident parce qu’il y a des cholitas qui me disaient qu’elles viendraient à un rendez-vous, et puis finalement elles ne sont jamais venues. Un jour, je devais photographier cinq cholitas, aucune ne s’est présentée. Mais voilà, ce n’est pas très grave, c’est le jeu et ça fait aussi partie de la culture. Un autre jour, je pouvais en avoir quinze durant la même matinée !

Est-ce qu’il y a des rencontres qui t’ont marquée plus que d’autres ?

Ce projet est en deux étapes : l’année dernière, j’ai fait une première partie en studio, maintenant je me consacre au reportage. En studio, c’était extrêmement rapide, je n’avais pas vraiment le temps de tisser des liens, alors qu’aujourd’hui j’ai la chance de suivre quatre ou cinq cholitas passionnantes, car elles ont des parcours de vie atypiques. Il y en a une qui est à l’université, une autre qui a ouvert son magasin de vêtements, une qui est secrétaire dans une agence de lutte contre le crime, une autre qui a ouvert une école de mannequinat. C’est maintenant que je commence vraiment à développer des affinités, car je passe plus de temps avec elles.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de construire une série à la fois avec des photos de studio et des images de reportage ? Comment ces deux travaux s’articulent ?

C’est un travail qui se développe progressivement, ce n’était pas prévu. Plus je m’intéresse à l’histoire des cholitas, plus j’ai envie de découvrir des choses à leur sujet, d’aller encore plus loin. La première partie a commencé en studio, j’avais envie de les sortir de leur contexte et de leur donner une image un peu différente que celle que nous, Occidentaux, pouvons avoir de la cholita. Quand on pense à la Bolivie, on a souvent l’image de la petite mémé avec ses pommes de terre sur le marché ou alors celle de la femme qui transporte son bébé sur son dos, dans les rues un peu sales. Je voulais vraiment casser cette vision un peu cliché de la cholita, car c’est bien plus que ça, surtout aujourd’hui. Le studio me permettait de mettre en valeur leurs vêtements, tous les détails, leurs bijoux, leurs chapeaux melon, de souligner leur élégance et leur féminité. Faire un mix entre photo de mode et photo documentaire. À l’inverse, la partie reportage me permet vraiment de comprendre ce que c’est d’être une cholita de nos jours, je découvre leur quotidien. Mais pour aller encore plus loin, je m’intéresse aussi à leur histoire, donc je fouille et réalise un véritable travail d’investigation en allant au musée, dans les archives nationales…

Tu expliquais qu’il y a eu une sorte de boum de la cholita, qu’est-ce qui fait que la situation a évolué selon toi ?

Il y a toujours des discriminations, même aujourd’hui entre Boliviens, mais c’est vrai que la situation s’est améliorée. Il y a encore quelques années, les cholitas n’avaient pas le droit d’entrer dans certains hôtels, ou dans certains centres culturels… Alors qu’aujourd’hui, la directrice du centre ethnologique de La Paz est cholita. La tendance s’est véritablement inversée, il y a même maintenant des jeunes filles qui ne sont pas cholitas qui s’approprient cette culture, il y a des “fausses cholitas” ! Mais savoir d’où vient ce mouvement c’est assez compliqué. Certains disent que c’est grâce à l’arrivée d’Evo Morales au pouvoir avec comme fer de lance “le pouvoir au peuple”. Il a d’une certaine manière redoré la culture indigène et changé le regard qu’on pouvait avoir sur ces traditions. Mais en discutant avec des Boliviens, certains pensent qu’il n’y a pas vraiment de lien. C’est assez complexe et je suis toujours en train d’essayer de comprendre…

Quelle est la suite du projet ?

Je continue à travailler la partie investigation et la partie reportage. Je vais aussi voyager dans le pays un peu partout pour faire des photos un peu plus poétiques à associer aux portraits. J’ai une exposition prévue avec la Chata Gallery le 7 novembre à Paris, il y a peut-être des expos qui vont s’organiser en Amérique latine.

Vous pouvez retrouver le travail de Delphine Blast sur son site personnel ou sur son compte Instagram. Ses images de la série Cholitas, la revanche d’une génération sont en vente sur le site de la Chata Gallery, 10 % des bénéfices des ventes seront reversés à l’association bolivienne CERPI.

La série est intégrée au programme des Rencontres photographiques du 10ème et sera exposée  du 7 au 20 novembre, au 14 rue du Château d’Eau, à Paris.