Le photographe américain Charlie Cole est mort la semaine dernière à Bali, en Indonésie, à l’âge de 64 ans. Il s’est éteint trente ans après avoir pris sa photographie la plus connue : le “Tank Man”, une image devenue un symbole de non-violence face aux répressions armées. On y voit un homme faire face à une colonne de chars d’assaut, lors des manifestations de Tiananmen de 1989. En l’honneur du photographe, retour sur une image historique et la folle aventure de sa diffusion.
À voir aussi sur Konbini
Le 5 juin 1989, Charlie Cole est en mission à Pékin pour le magazine Newsweek, pour qui il travaille habituellement depuis le Japon. Il couvre alors les manifestations dites “de Tiananmen”, qui agitent le peuple chinois depuis deux mois. Les manifestants exigent des réformes politiques et souhaitent dénoncer la corruption gouvernementale. Organisé par des ouvrier·ère·s, des étudiant·e·s et des intellectuel·le·s, le mouvement s’étend aux grandes villes du pays. Dans la capitale, d’importantes manifestations et des grèves de la faim sont organisées sur la place Tiananmen, qui a fini par donner son nom à l’événement.
Plus d’un mois après le début du mouvement, à la fin du mois de mai 1989, le gouvernement chinois instaure la loi martiale et, le 4 juin, fait appel à l’armée. Le lendemain de l’annonce d’une intervention militaire, Charlie Cole, aux côtés de deux cameramen et cinq autres photographes, immortalise un instant qui restera dans les annales : un jeune homme fait face à une longue colonne de tanks, qui sont obligés de s’immobiliser devant lui.
Le cadrage choisi par Charlie Cole est très serré (notamment comparé aux images de ses collègues du jour), accentuant ainsi la grandeur du geste de l’homme dans ce face-à-face rappelant David contre Goliath. La posture de l’homme (en habits de ville et avec des sacs à la main), le rend d’autant plus ordinaire. On dirait qu’il rentre d’une course et qu’il a décidé de faire face à ces tanks sur un coup de tête. Face à ce geste de bravoure, les chars n’ont pu que se stopper et tenter de le contourner, avant que l’homme ne leur barre la route de nouveau, relatait le New York Times en 2009.
Une image sauvée des tentatives de censure du gouvernement
Le photographe raconte s’être senti “honoré” de capter un tel moment, qu’il savait être historique. Cependant, il se rend rapidement compte que le Bureau de sécurité publique de la République populaire de Chine n’allait sans doute pas le laisser sortir aussi facilement du pays avec une telle image en poche :
“J’avais trois pellicules et deux appareils. Une pellicule contenait les images de cette rencontre avec le tank, tandis que l’autre contenait des images assez bonnes de la foule, des confrontations et de civil·e·s blessé·e·s à l’hôpital”, se remémorait le photographe il y a dix ans.
Charlie Cole décide alors de placer dans un premier appareil une pellicule vide et “avec regret”, il condamne la pellicule contenant les images des blessé·e·s en la mettant dans un autre appareil : “Je me suis dit que si le Bureau de sécurité publique me fouillait ou fouillait ma chambre, ils deviendraient soupçonneux si l’un des appareils était vide”. Digne d’un héros de film d’espionnage, il décide de rapidement cacher la dernière pellicule :
“J’ai entouré la pellicule du tank dans un film plastique puis j’ai mis le tout dans un sac, et j’ai attaché ça à la chaîne de la chasse d’eau dans le réservoir. J’ai caché mes appareils du mieux que je pouvais dans la chambre. Moins d’une heure plus tard, le Bureau de sécurité publique forçait l’entrée de ma chambre et commençait à la fouiller.
Cinq minutes plus tard, ils avaient trouvé les appareils et déchiré les pellicules qu’ils contenaient. Ils semblaient satisfaits d’avoir neutralisé la couverture de l’événement. Ensuite, ils m’ont forcé à signer une déclaration dans laquelle j’avouais avoir pris des photos en temps de loi martiale et ils ont confisqué mon passeport.”
Charlie Cole développe ses images et les envoie à Newsweek “juste à temps pour la publication”. L’année suivante, il gagne grâce à ce cliché le prestigieux prix de la “Photo de l’année” décerné par World Press. Trente ans plus tard, le photographe a disparu mais son image historique rappelle que la liberté de la presse est un combat continu.