Nous avons rencontré le photographe français touche-à-tout Benjamin Loyseau pour qu’il nous raconte les histoires qu’il a ramenées des quatre coins du globe et qui lui tiennent à cœur.
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Le parcours de Benjamin Loyseau est impressionnant. En naviguant sur son site, on se laisse entraîner aux quatre coins du monde : de l’Inde à Cuba, quelques jours avant la mort de Fidel Castro, en passant par le Moyen-Orient et ses conflits internes, l’Afrique de l’Est et du Nord, au sein d’une réunion des Nations Unies concernant les attaques terroristes ou avec les figurants charismatiques du clip de The Blaze… Le photographe a rapporté, à sa manière, nombre des histoires qui secouent les populations de notre planète.
La force de Loyseau, c’est de ne pas se laisser enfermer dans une case. Autant attiré par les grands reportages que par les portraits et la mode, il oscille entre des thématiques qui le passionnent et des commissions qu’il manie à sa façon. Se définissant comme un amoureux de l’image sous toutes ses formes, c’est la liberté du métier de photographe qui l’a attiré : “On photographie tout ce qu’on veut, on peut tout rendre intéressant”, se réjouit-il.
Celui qui croyait que la photographie n’était pas un vrai métier part en Asie à 22 ans à peine, son appareil photo dans sa valise, afin de voyager et de “faire plein de photos”. La chance frappe alors à sa porte puisque après un rendez-vous avec l’agence française de presse SYGMA, les images de son expédition asiatique seront publiées par diverses rédactions : “Après ça, j’étais lancé. J’acceptais tout ce qu’on me proposait pour toucher à tout.”
Du Sri Lanka à la Palestine
Ce côté touche-à-tout lui permet de jouer avec son appareil, d’expérimenter à sa façon, instinctivement. Bien vite, il décide tout de même de se “professionnaliser”. Pendant deux ans, il est assistant au studio Le Petit Oiseau Va Sortir (on n’a décidément pas fini de s’amuser avec son nom de famille), en même temps qu’il “étudie la photo et bouquine sur le sujet”. De son propre aveu, si la démarche est nécessaire, elle l’a tout de même “un peu formaté”. Il estime maintenant avoir atteint un certain équilibre entre sa formation et son instinct.
Son premier vrai grand reportage le porte au Sri Lanka, où il se rend compte que la recherche photographique n’est pas une constante aventure. Comme il le constate à chaque nouveau reportage, on s’ennuie parfois, il ne se passe rien pendant des heures, voire des jours mais “c’est justement ce qui est génial dans la photo, ça descend, ça remonte” : “Il faut être aux aguets tout le temps, sans pour autant rester accroché à son appareil photo.”
Après le Sri Lanka viennent d’autres contrées éloignées qui lui permettent de raconter la grande Histoire en mêlant la sienne. C’est ainsi qu’il part en Palestine en 2007 et en 2008, à la recherche de cette génération qui avait 20 ans en 1948 (date de la création d’Israël) “en les interrogeant sur leurs rêves à l’époque”. Le photographe a mis en regard ces images et ces témoignages avec ceux de la nouvelle génération : “Ces jeunes gens de 20 ans, juifs et musulmans, héritiers d’un destin qu’ils n’ont pas forcément choisi, mais dont les rêves, s’ils paraissent plus individualistes, n’en sont pas moins brûlants.”
Israel/Palestine : Old dreams est un projet auquel il est particulièrement attaché, puisque à l’adolescence, il est parti avec son père en Israël. C’est donc à une double confrontation qu’il s’est attelé. Celle entre deux générations de Palestiniens et d’Israéliens, et celle entre ses souvenirs d’adolescents et la réalité d’aujourd’hui, ponctuée par les atrocités du conflit israélo-palestinien, et de la douleur du peuple.
“Photographier quelqu’un, c’est lui prendre quelque chose, parfois sans lui demander”
S’il avoue trouver particulièrement difficile de voyager en Palestine, tant les douleurs y sont intenses et révoltantes, Benjamin Loyseau n’a pas arrêté là ses reportages à travers le globe. La liste des personnes qu’il a rencontrées puis photographiées est longue. Il nous raconte comment il approche ceux à qui il tire le portrait :
“Partir en reportage, c’est hyper intéressant, ça nécessite beaucoup de travail. Du travail en amont, déjà, il faut bien définir ce que tu veux même si sur place, il faut savoir se laisser surprendre, trouver les gens les plus pertinents, avec des horizons très différents. Tu pars avec un contact, puis tu brodes au fil des contacts.
J’essaie d’avoir de vraies narrations dans mes photos, de parvenir à une écriture photographique. Parfois, tu es témoin de l’histoire, parfois tu dois choisir un angle, des ‘personnages’, c’est quelque chose que je suis en train d’apprendre.”
Bien que l’artiste s’émerveille de tout ce qu’il peut apprendre sur les gens et l’Histoire grâce à son travail, il n’est pas dupe de sa position parfois faussée. En effet, comme il le répète plusieurs fois :
“Photographier quelqu’un, c’est lui prendre quelque chose, parfois sans lui demander. Si je prends quelque chose à ces gens, je veux pouvoir leur rendre la pareille. Que mes images fassent bouger les choses concernant des situations autrement tues.”
Son travail sur les réserves indiennes et notamment sur Standing Rock (la réserve indienne située dans le Dakota du Nord qui est menacée par la construction d’un pipeline transportant du pétrole sur leurs territoires, et détruisant ainsi leur environnement et leur héritage) a récemment tapé dans l’œil des organisateurs du festival We Love Green. Ils l’ont invité avec LaDonna Brave Bull Allard, historienne et militante sioux. Le duo tiendra une conférence intitulée “Nouvelles de Standing Rock”, ce dimanche 11 juin 2017 à 18 h 15.
Raconter les grandes histoires
Vouloir raconter des histoires s’accompagne d’un paradoxe personnel : exposer un témoignage de façon visuelle s’accompagne d’une découverte de soi-même. Il s’interroge parfois sur la légitimité de son travail, d’autant plus que partir à la recherche d’histoires le contraint à vivre entre deux réalités :
“Ce n’est pas anodin ce que tu vis dans certains endroits, même quand tu crois que ça va, il y a des traumatismes. Ça t’affecte sans que tu le saches tout de suite. Ça vient avec le temps, tu perds un peu de ta joie de vivre, tu as du mal à revenir à ton quotidien et à parler d’autre chose.”
En effet, les histoires que raconte Benjamin Loyseau ne sont pas toujours les plus joyeuses. Pourtant, elles portent en elles un message d’humanité, de courage et de force. Il confie aimer les symboles et “les grandes histoires”. C’est sans doute pourquoi il s’est notamment intéressé aux problématiques liées aux crises migratoires en Afrique de l’Est et en France. Il a ainsi mis à l’honneur ceux qui ont fui leurs pays pour un avenir meilleur dans l’Hexagone.
Avec Talents en exil, il a exposé en grands formats, sur la place de la République (à Paris), les portraits de ceux qui ont tout quitté avec l’association Action Emploi Réfugiés : “L’idée était de les montrer comme des êtres humains, pas comme des réfugiés, avec simplement leur prénom et leur métier, à leur avantage, comme s’ils posaient pour une couverture de magazine.” Pour les Nations Unies, il a couvert l’entraînement et la venue à Rio de l’équipe des réfugiés des Jeux olympiques de 2016 : “Ce n’était pas les plus grands athlètes de l’histoire, mais ils ont eu un grand succès et cette histoire méritait d’être racontée.”
La même année, il avait aussi photographié les Jeux paralympiques et l’équipe française. Si Benjamin Loyseau refuse d’étiqueter ceux qu’il photographie, on peut tout de même affirmer qu’ils ont en commun leur qualité d’être des résistants, “des gens à qui il est arrivé des trucs durs et qui se bagarrent, qui luttent contre l’injustice”. Face à ces résistants et leurs histoires, il faut savoir allier la technique à la sensibilité, un mélange de proximité et de distance.
Récemment, le photographe a fait parler de lui en accompagnant le groupe The Blaze lors du tournage de leur clip “Territory” à Alger. L’idée était qu’il devait entrer dans leur univers sans prendre des photos de presse classiques. Une carte blanche au sein d’Alger la Blanche. Benjamin Loyseau s’est concentré sur les figurants du clip : “C’était presque un travail prémâché puisque les personnages avaient déjà été sélectionnés, je n’avais pas à effectuer tout le travail préliminaire.” Les images collent parfaitement à ce que le clip transmet : une vague de liberté, un message de jeunesse, de force et d’indépendance. La quintessence de ce après quoi le photographe court depuis quelques années somme toute.
Vous pouvez également suivre son travail sur Instagram.