Armé d’un appareil photo caché dans un sac, Robert Adams a immortalisé l’Amérique des années 80

Armé d’un appareil photo caché dans un sac, Robert Adams a immortalisé l’Amérique des années 80

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

Jusqu’au 29 juillet 2018, la Fondation Henri Cartier-Bresson met à l’honneur le travail du photographe Robert Adams qui pointait du doigt le danger des centrales nucléaires dans les années 1980.

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Reconnu pour son travail photographique sur la transformation du paysage de l’Ouest américain et sa conscience écologique, Robert Adams a réalisé une série, dans les années 1980, intitulée Our Lives and Our Children, aujourd’hui présentée dans son intégralité pour la première fois à Paris, à la Fondation Henri Cartier-Bresson jusqu’au 29 juillet. Ce travail témoigne de la menace que représentent les catastrophes nucléaires sur une petite ville, à la manière d’un essai photographique.

C’est dans les années 1970 que Robert Adams prend conscience de la gravité de la présence des centrales nucléaires aux États-Unis. Un jour, il voit de la fumée sortir de l’usine de production d’armes nucléaires de Rocky Flats, près de Denver, dans le Colorado. Il se met à se questionner sur les conséquences de cette fumée et sur ce que deviendrait sa ville si une catastrophe nucléaire venait à se produire :

“Les bombes nucléaires et thermonucléaires américaines sont équipées de détonateurs au plutonium fabriqués à l’usine d’armes nucléaires de Rocky Flats. Cette usine se trouve à environ seize kilomètres de Denver, dans le Colorado, au vent de la ville. Le plutonium, qui figure parmi les éléments les plus toxiques qu’on connaisse, s’enflamme spontanément au contact de l’air humide ; il y a eu plus de deux cents incendies dans cette usine, bon nombre impliquant du plutonium. […]

En résumé, les détonateurs au plutonium fabriqués non sans risques à Denver s’intègrent ensuite à un système mondial sujet à tant d’erreurs et de dysfonctionnements possibles qu’il est raisonnable de penser que, dans un avenir à peine imaginable mais inévitable, ils tueront bon nombre d’entre nous.

Face à une telle conclusion, l’envie nous prend de renoncer, de nous affranchir de ce qui semble être un espoir irréaliste. D’après moi, pour trouver en nous-mêmes la volonté d’interroger inlassablement les politiciens, nous devons d’abord chérir les individus avec lesquels nous vivons. Il nous faut découvrir ce que chacun de ces êtres recèle d’absolu mystérieux. Combien d’entre eux, dans les moments de réflexion, de joie ou de souci, manifestent une sorte d’héroïsme. Chacun réfute l’idée de pertes acceptables.”

De ce constat découle cette série de photos qui met en images ce drame menaçant. En montrant tout ce qui compose son quotidien, la quiétude des familles, leurs habitudes, les magasins, les paysages, Robert Adams pointe du doigt tout ce qui pourrait être détruit en une explosion.

Avec beaucoup de lucidité, Robert Adams sait que, même s’il n’y a pas d’explosion, les conséquences sur la santé des travailleurs dans les centrales nucléaires, et sur la santé de ceux qui habitent dans les alentours, sont graves. À travers une réflexion environnementale, ce dernier brosse un portrait de l’Amérique des années 1980, menacée par le développement du nucléaire et de plus en plus consciente des risques.

Une Amérique douce, naïve et menacée

C’est armé d’un Hasselblad caché derrière un sac à provisions qu’il sillonne sa ville, sa petite banlieue tranquille située tout près de Rocky Flats, ses parkings et ses centres commerciaux où rien ne se passe. En toute discrétion, il se met à photographier tous ces passants plongés dans leur routine façonnée par une société de consommation en plein essor.

“Être attentif au monde, qu’il soit agréable ou non, relève de la responsabilité des artistes pour nous aider à vivre dans le respect. Le beau, plus que tout autre est ce qui définit l’art. Le beau n’est rien moins qu’un mystère, mais porte en lui une promesse. Ainsi, l’art pousse à la gratitude et à l’engagement, tant dans nos actes privés que publics.”

En noir et blanc, les visages naïfs défilent, femmes, hommes et enfants, dans le mouvement, le grain, le flou, et parfois la vitesse. Les images de Robert Adams fonctionnent comme des instantanés, des moments décisifs volés et voyeuristes. Le danger reste invisible. La menace pèse. Mais le monde reste insouciant et anecdotique. Selon Adams, face au hasard aléatoire de ces catastrophes, seule la chance pourra nous sauver.

“Robert Adams, Our Lives and Our Children”, une exposition à voir à la Fondation Henri Cartier-Bresson jusqu’au 29 juillet 2018.