La Künstlerhaus Bethanien, cité d’artistes berlinoise, s’offre une bien mauvaise presse à la suite de l’annonce de sa dernière exposition “Space is the Place”. Bien que ce nom soit directement emprunté à un film de science-fiction afrofuturiste, ce courant décrit par l’écrivain Ytasha Womack comme “l’intersection entre la culture noire, la technologie, la libération et l’imagination, avec un peu de mysticisme. […] une façon de lier le futur au passé et d’aider à réimaginer l’expérience des personnes de couleur”, aucun·e artiste noir·e n’a été invité·e à participer au projet.
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Space is the Place, le film dont le nom de l’exposition s’inspire directement, a été écrit en 1972 après que le compositeur de jazz Sun Ra a enseigné à la prestigieuse université de Berkeley, en Californie, un cours sur “l’homme noir dans le cosmos”. Le musicien, qui joue son propre rôle dans le film, y est porté disparu dans l’espace en compagnie de son “archestre” (“arkestra” en version originale).
Le compositeur décide de peupler la planète sur laquelle il a atterri avec de jeunes Afro-Américains. Le film, ponctué de séquences musicales mémorables, est directement lié au mouvement de libération des Black Panther, créé quelques années auparavant.
Sun Ra et son “archestra” en concert le 23 septembre à Ann Arbor, dans le Michigan. (© Leni Sinclair/Getty Images)
Sur les 22 artistes convié·e·s à participer à l’exposition éponyme, on trouve les noms de 18 hommes blancs, de 3 femmes blanches et d’un homme singapourien mais d’aucun artiste noir, précise Soap du Jour. Le collectif est à l’origine d’une lettre ouverte dénonçant le non-sens d’un projet qui prend sa source, entre autres, dans des courants de libération et d’affirmation afro-américaines en mettant complètement de côté les artistes noir·e·s.
Une sélection difficilement innocente
Affiche de l’exposition “Space is the Place” visible au Künstlerhaus Bethanien de Berlin.
Soap du Jour cite la volonté (qui semble avoir été depuis effacée du site) de la Künstlerhaus Bethanien de lier l’événement aux utopies du milliardaire sud-africain Elon Musk qui, à travers ses inventions, se positionne selon le centre d’art “au tout début d’un nouveau chapitre de l’histoire de l’humanité” et viserait à “la colonisation de l’espace, de la Lune, de Mars et d’autres planètes”.
À la suite de Soap du Jour, de nombreux internautes ont fait entendre leur voix contre ce nouvel élan de whitewashing. Christoph Tannert, le commissaire de l’exposition qui débutait ce jeudi 2 août, s’est simplement défendu en rappelant à Artnet que le centre culturel présentait chaque année les œuvres de “50 % de femmes artistes, la plupart étant des femmes de couleur” et que les artistes présenté·e·s dans le cadre de “Space is the Place” avaient été choisi·e·s en toute connaissance de cause afin de ne pas “reproduire [la même sélection d’artistes] que d’autres expositions dans d’autres institutions”.
On ne peut que s’aligner avec le conseil donné au commissaire par Soap du Jour : celui d’ouvrir les yeux sur l’état actuel de notre planète et de ses inégalités avant de chercher à les reproduire dans le reste de l’univers.