La tendance du naked yoga (ou yoga nu) qui déferle sur Instagram consiste à magnifier la femme à travers sa nudité et exhorte à l’acceptation de nos corps. Sauf que les clichés qui font le buzz dévoilent surtout des silhouettes singulièrement parfaites.
À voir aussi sur Konbini
On ne compte plus les dérivés du yoga : avec des chèvres, de la bière, sur de la musique metal… et maintenant à poil. En théorie, pratiquer le yoga dans le plus simple appareil fait sens : yoga signifiant “union” ou “unité”, à la fois avec soi-même (sur les plans physique, psychique et spirituel) mais aussi avec le divin, l’univers. Alors, quoi de plus cohérent que de pratiquer cette union de la façon la plus rudimentaire ? C’est-à-dire sans vêtements, tels que nous sommes arrivés sur Terre, en osmose avec la nature, de la façon la plus libre qui soit.
C’est ce que propose plusieurs instagrameuses à l’instar de Nude Yoga Girl, une mannequin de 27 ans dont le compte rassemble 676 000 abonnés et qui a popularisé la “discipline”. “Vous êtes beaux/belles exactement comme vous êtes”, assène sa bio qui incite les adeptes du yoga à poser dans le plus simple appareil, sans fards. Une démarche plus que louable. Sauf que ses clichés et ceux des internautes qui se sont emparés du hashtag NYGyoga révèlent pour la plupart des corps parfaits, des images artistiques ou au cadrage bien étudié.
Est-il vraiment possible de prôner l’acceptation de soi via le yoga et la nudité sur Instagram alors que le réseau social est la vitrine de la perfection par excellence ?
Des corps jeunes, minces et souples
“Avec mon compte je veux inspirer les gens pour qu’ils réalisent qu’ils sont tous beaux et capables de faire des choses formidables avec leurs corps […] Peut-être pourront-ils aussi accepter leurs corps par le yoga”, déclarait Nude Yoga Girl dans une interview au site The Cut.
L’intéressée encourageait alors toutes les femmes à pratiquer le “body positivism” en posant à leur tour nues, dans une posture de yoga. Un défi cocasse mais non dénué de sens puisque le yoga encourage ses pratiquants à s’accepter comme ils sont et à être à l’écoute de leur propre corps, sans se comparer ni se juger.
Étant moi-même une fervente pratiquante de yoga, je loue ce genre d’initiatives qui ne peuvent être que libératrices. Pour que le corps et la nudité – en particulier celle des femmes – ne soient pas un tabou. À condition de jouer le jeu et que les gens se dévoilent comme ils sont, c’est-à-dire à l’image du monde. Or sur ces clichés, je ne vois (quasiment) que des femmes jeunes, minces, souples… Où sont les hommes, les vieux, les corps asymétriques, bien en chair, raides, avec des défauts ?
L’essence même du propos initial est alors ramenée à toute sa vacuité.
Sommes-nous hypocrites ou lâches sur Instagram ?
Combien de fois ai-je par ailleurs entendu des remarques graveleuses d’hommes me lorgnant en train de faire du yoga (habillée), avant de me sortir : “Hé, tu connais le yoga nu ?” Question dont le ton empli de sous-entendus m’évoquait plus le “Esss ke tu baizzz ?” de Jean-Pierre dans le sketch des Inconnus que l’interrogation “est-ce que tu pratiques le body positivism entourée de papillons qui volent dans la forêt ?”.
Remarques probablement inspirées par le nouveau trend naked yoga sur PornHub et que ce genre de photos ne fait qu’alimenter puisqu’elles rendent le yoga (et a fortiori le yoga nu) esthétique, performant, sexy, désirable, sexualisé selon des critères normés. Et ce alors que le propos initial était justement celui de l’acceptation, en dehors des critères classiques de beauté dont sont déjà remplis les magazines.
Tout ça pour dire que si je devais aujourd’hui poster une photo de moi faisant du yoga nue, elle serait probablement esthétisée pour rester dans le moule et je ne me risquerais pas à mettre en avant un quelconque défaut, aussi caractéristique soit-il de ma personne. Ce serait alors hypocrite : il n’y aurait pas de véritable libération à l’œuvre ni de “body positivism”, juste une envie de likes et d’esthétisation de mon image. C’est-à-dire l’antithèse d’être soi-même.
Pour conclure, le naked yoga, comme le yoga, n’échappe pas à l’appel de la perfection sur les réseaux sociaux. Et s’il consiste à voir des corps sublimes faire des grands écarts ou mettre le pied derrière la tête, je ne vois pas tellement ce qu’il a d’émancipateur par rapport à ce qui existe déjà. Je dirais même que cela en rajoute une couche sur l’échelle des complexes (déjà bien haute). Qu’il est difficile de sortir du carcan d’Instagram même avec la meilleure volonté du monde !