Sept potes mordus de voile ont décidé de fêter leurs 30 ans à bord d’un voilier, tout en explorant la région du cap Horn, à l’extrême sud de l’archipel argentin de la Terre de Feu. On a posé quelques questions à l’un d’entre eux, Thibault Dumoulin, qui a réalisé une vidéo sur ce périple.
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Konbini | Est-ce que tu peux résumer l’itinéraire de votre voyage ?
Thibault Dumoulin | On est partis de France jusqu’à Buenos Aires (Argentine). De là on a pris un petit vol pour Ushuaïa — qui n’est plus du tout le fantasme du petit village perdu entre les montagnes —, d’où on a embarqué sur un voilier.
On s’est d’abord enfoncés dans les canaux pendant deux semaines (où on a tourné les images de glaciers), puis on est repassés dans un petit village du bout du monde peuplé par quelques militaires chiliens, des pêcheurs et des marins qui sont restés là parce qu’ils sont fascinés par la mystique de l’endroit. De là on est partis dans un sens, puis dans l’autre, vers le Cap Horn dont on a fait le tour [le célèbre cap étant situé sur la petite île de Horn, ndlr].
Vous êtes partis grâce à Objectif Grand Sud, peux-tu nous dire deux mots sur cette association ?
Objectif Grand Sud est une association créée par Jeanne et Bernard, les parents de Quentin, qui fait partie de la bande. Ils ont déjà fait plusieurs traversées transatlantiques et ont décidé de s’installer au cap Horn pendant quelque temps, dans le but de rendre ce type d’aventures, d’ordinaire plutôt coûteuses, accessibles au plus grand nombre, sans prérequis de connaissances en voile ou en navigation.
On a payé 60 euros par jour et par personne pour le voyage, ce qui n’est rien du tout. Il s’agit de proposer une manière de voyager en dehors du temps et à l’inverse des voyages classiques dans des hôtels, voire des circuits organisés par des agences. Par ailleurs, ils en profitent aussi pour récolter du plancton sur place, afin de sonder la qualité des eaux, en partenariat avec une autre association.
Qu’est-ce qui vous attirait dans la région du cap Horn ?
Le cap Horn c’est l’endroit où se rencontrent les courants et où il y a des hauts-fonds : ça tabasse énormément. On s’est retrouvés dans des creux de vagues de cinq mètres, le temps du passage du cap, pendant deux ou trois heures, mais le reste du temps c’était plutôt calme. L’aventure c’était surtout de se couper du monde, d’Internet, des téléphones et d’être face aux paysages, plutôt qu’au danger.
Tu n’as pas de réseau, excepté le téléphone satellite que tu utilises en cas de problème. Donc ce n’est pas la même chose que d’être en France avec son smartphone dans la poche en train de recevoir des mails, des notifications Instagram et Facebook toute la journée. Donc cela permet de prendre un petit peu de recul là-dessus car l’endroit est propice à ça.
Que vous a évoqué ce lieu, tout au sud de l’Amérique ?
Ça ne s’appelle pas le bout du monde pour rien. On sent justement que c’est un peu la fin de quelque chose. La glace remplace la terre, les arbres sont poussés par les vents, les animaux sont essentiellement des charognards. Il y a un côté un peu désolé. Les vents sont très puissants, donc il y a quelque chose de l’ordre de l’impétuosité qui est assez saisissant là-bas.
Une fois que tu es parti, tu ne croises presque plus d’autres bateaux. Il y a cette sensation que s’il t’arrive une bricole, c’est fini. Ça participe aussi à la notion d’aventure, parce que tu sais qu’il n’y a plus rien autour de toi. Par ailleurs, c’est terrible, mais une algue a contaminé l’endroit. Résultat, tu ne peux pas pêcher et le moindre poisson est contaminé. Les dernières chose comestibles dans l’océan sont les charognards, comme les crabes ou les araignées de mer.
Comment prépares-tu ce type de périple ?
C’est un séjour assez court [trois semaines et demie ndlr], donc il n’est pas nécessaire de se rationner. Mais il faut quand même prévoir suffisamment de nourriture et, surtout, de l’eau. La vaisselle se faisait avec de l’eau de mer et on se rationnait sur les douches, en faisant des toilettes de chat tous les deux ou trois jours. On faisait nous-mêmes notre pain, on pêchait des crabes pour les protéines. Mais ce n’est pas comme dans les films, avec des grandes expéditions. C’était quand même un peu plus confortable que ça.
Loin de la technologie, à quoi avez-vous consacré votre temps ?
Sur un bateau il y a toujours quelque chose à faire : les manœuvres, l’entretien, la cuisine… Rien que pétrir le pain prend du temps. Après, on partait faire des treks sur des glaciers, dès que l’on était proches de la côte.
Quelles étaient vos lectures ?
On a lu Mike Horn forcément, pour la blague [explorateur sud-africain et auteur de Latitude zéro, le récit d’un tour du monde en voilier, en suivant la ligne de l’Équateur, ndlr]. Benjamin, lui, lisait Le Rapport Campbell : La plus vaste étude internationale à ce jour sur la nutrition. Mais aussi du Jean Raspail, un aventurier qui a écrit sur la Patagonie, ou encore du Luis Sepúlveda, un écrivain chilien [dont l’œuvre est fortement marquée par l’engagement politique et écologique, ndlr].
Parle-nous de ton meilleur souvenir.
C’est un mélange. Les premiers glaciers sont toujours très impressionnants. Le fait d’avoir vu tant d’animaux, comme une baleine par exemple. Le fait aussi d’avoir eu peur lors du passage du cap Horn. L’isolement aussi, le fait d’être vraiment coupé du monde permet de prendre un temps pour réfléchir, ce qui est agréable. Et c’est d’être à contre-courant de ce que nous on connaît (à savoir être suralimenté en permanence), en utilisant le moins de technologie possible, hormis un peu d’électricité. Cette impression d’être le plus discret et le moins gênant possible pour la planète.
Quels enseignements tires-tu, a posteriori, de ce voyage ?
Ça force à devenir un petit peu plus responsable, forcément, et un petit peu plus humble surtout. Le passage du cap Horn fut effrayant. La première remarque que je me suis faite fut : “Mais je suis trop con de m’être embarqué dans un truc pareil, c’est stupide !”
Et c’est seulement après que ça te donne envie de faire encore pire. Ça devient une sorte de drogue. Le rapport au danger est très ambigu en fait, parce que sur le moment ça fait peur et on se demande pourquoi on est là. C’est pareil pour l’expérience : en soi, c’est très dur de mettre des mots dessus et d’en formaliser les bénéfices parce qu’une partie de toi a changé et tu ne t’en rends pas forcément compte sur le moment.
Est-ce que ce voyage t’a rendu un peu plus responsable ?
Cela sensibilise au besoin de préserver ces écosystèmes, à faire attention à ne pas consommer n’importe comment, se rendre compte qu’il y a une nature à préserver. Avant de partir je commençais à être plus sensible au fait d’acheter moins et mieux et ça n’a fait que confirmer cette attitude.
Cela a aussi sûrement accéléré mon départ de Paris pour le Pays basque (et je ne reviens à Paris que pour le travail). Ça m’a aussi poussé à organiser mes vacances en privilégiant des activités de randonnée, des trips de surf ou en voile. On a envie de faire plus attention à son environnement et d’aller à la découverte d’endroits qu’il y a partout dans le monde, qui sont fabuleux sans forcément coûter plus cher, tout en procurant un sentiment d’aventure plus important.
Quel sera votre prochain trip en voile ?
De mon côté je pense faire partie de la prochaine mission d’Objectif Grand Sud, qui devrait se déplacer en Polynésie, toujours dans le même esprit de partage et de découverte.