Immersion dans l’univers dangereux et fascinant du poison, où, sous la menace toxique, se cache parfois l’antidote.
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C’est au confluent du Rhône et de la Saône qu’a ouvert en décembre 2014 le musée des Confluences à Lyon, un lieu atypique qui se fonde sur le concept d’interdisciplinarité.
Depuis quelques jours a débuté l’exposition Venenum, un monde empoisonné qui s’intéresse à “l’univers fascinant du poison”, entre histoire et toxicologie, biologie et anthropologie, au travers d’un parcours plongé dans l’obscurité intimiste et jalonné de tableaux, de documents d’archives, d’objets de tous temps, d’animaux naturalisés et vivants, et de vidéos.
La longue histoire des poisons
Mortels, les poisons fascinent autant qu’ils sont craints, et ce dès l’Antiquité, où ils font partie des légendes mythologique : Héraclès qui tue le centaure Nessos avec des flèches empoisonnées, ou Circé, la sorcière, fille d’Hélios, experte en poisons. L’histoire de l’art regorge de représentations d’empoisonnements, comme Cléopâtre empoisonnée par un serpent, ou bien Socrate, un des pères de la philosophie grecque, qui, condamné à mort, boit la ciguë (une plante toxique). Ces scènes présentées en début de visite au travers de tableaux évoquent une mort douce et sans douleur, bien loin de la réalité décrite par Flaubert dans Madame Bovary, où Emma, l’héroïne désespérée, qui absorbe de l’arsenic, périt dans d’affreuses souffrances.
C’est à la Renaissance que le poison vit son âge d’or, très largement employé pour commettre des assassinats. Catherine de Médicis, épouse du roi Henri II, et donc reine de France durant son règne, de 1547 à 1559, avait en particulier la réputation de se débarrasser de ses rivaux par le poison.
La saga des empoisonneuses
Depuis la sorcière mythologique Circé, c’est surtout la femme qui est associée au poison. Les affaires d’empoisonneuses s’enchaînent et défraient la chronique, leurs portraits faisant les unes des magazines : Marie Lafarge, impliquée dans une trouble histoire d’empoisonnement à l’arsenic, et qui fut condamnée aux travaux forcés à perpétuité en 1840. Violette Nozière aurait quant à elle tenté d’empoisonner sa famille. Marie Besnard, dont histoire est adaptée dans un téléfilm avec Muriel Robin en 2006, est condamnée à la peine capitale en 1949 pour avoir tué par empoisonnement douze personnes, avant d’être acquittée en 1961, faute de preuves. Ou encore Hélène Jégado, la célèbre Bretonne dont l’histoire est romancée par Jean Teulé avant d’être adaptée au cinéma : considérée comme la plus grande tueuse en série de France avec quatre-vingt-dix-sept tentatives d’empoisonnements à l’arsenic, dont une soixantaine conduisant à la mort. La justice ne retiendra que cinq meurtres contre elle et elle est guillotinée en 1852. Même la fiction s’y met avec la fatale Poison Ivy, la redoutable adversaire de Batman, capable de contrôler les plantes et de fabriquer des poisons mortels.
Carole Millon, chargée de l’exposition, nous raconte que “statistiquement, il n’y a pas plus d’empoisonneuses que d’empoisonneurs.” Cet engouement pour les empoisonneuses n’est que le reflet de stéréotypes qui voudraient que les femmes ne tuent que par perfidie en dissimulant du poison dans la nourriture, la cuisine étant par ailleurs “une affaire de femmes”. Et pourtant, la première guerre mondiale, une “affaire d’hommes”, signe l’avènement des poisons de synthèse (gaz sarin, gaz moutarde, agent orange, zyklon B, etc.) massivement mortels, et faisant plus de victimes que toutes les empoisonneuses réunies.
Venimeux ou vénéneux ?
L’exposition Venenum a eu la brillante idée de présenter des spécimens vivants d’animaux toxiques : dendrobates, rascasse volante, mygale saumonée, veuves noires, serpent liane, méduses bleues, etc.
Certains animaux venimeux se servent du venin pour chasser leur proie ou se défendre. C’est le cas de nombreux serpents (la vipère, le cobra), d’insectes (la guêpe, le frelon) et d’araignées (la veuve noire, la mygale). On retrouve également du venin chez certains poissons (le poisson-pierre), mollusques (les cônes venimeux) ou méduses. Plus surprenant, certains mammifères aussi sont venimeux, comme l’ornithorynque qui possède des aiguillons empoisonnés sur ses pattes, la musaraigne à la salive toxique, ou le loris qui dispose de glandes venimeuses au niveau du coude.
Certains animaux et végétaux se contentent d’être toxiques, utilisant le poison comme défense passive : on dit alors qu’ils sont vénéneux. C’est le cas des plantes (le laurier rose, l’if ou encore le colchique) et champignons (la célèbre amanite tue-mouches) toxiques, mais aussi de certaines grenouilles tropicales (les dendrobates), de poissons (le poisson-coffre, le fugu), d’insectes et même d’oiseaux (les pitohui, oiseaux de Nouvelle-Guinée).
Beautés fatales
Le monde vivant n’a pas le monopole du poison, et les minéraux aussi peuvent être toxiques. Nombreux, ils ont été très longtemps employés, particulièrement dans le maquillage : du blanc de plomb et du cinabre (dérivé du mercure) rouge sont utilisés jusqu’au XVIIe siècle pour le visage, et le khôl à base d’antimoine utilisé dans l’Antiquité avait des effets similaires à l’arsenic. Plus proche de nous, le radium, élément radioactif découvert par Pierre et Marie Curie en 1898, a longtemps été utilisé dans des crèmes de jour avant d’être retiré du marché en 1937. De quoi rendre le teint… rayonnant.
La question de la toxicité des produits de beauté ne s’est pas arrêtée pour autant : aujourd’hui les poisons sont issus de la chimie et portent d’autres noms : propylparaben, methylisothiazolinone, triclosan, etc.
Les poisons contemporains
Ces composés chimiques que l’on nomme perturbateurs endocriniens inquiètent aujourd’hui les scientifiques comme Francelyne Marano, biologiste et toxicologue qui a participé à la conception de Venenum. Nous sommes quotidiennement exposés à des centaines de molécules chimiques, à petites doses certes, mais qui se cumulent, et s’accumulent au fil des ans : pesticides, plastiques, solvants, conservateurs, auxquels s’ajoutent les composants polluants issus de l’utilisation massive de pétrole, de charbon et de gaz. Peut-être nous faudra-t-il encore quelques siècles pour admettre le danger de ces nouveaux poisons, car comme Francelyne Marano nous le rappelle :
“Alors que dès l’Antiquité grecque on se doutait de la toxicité du plomb, il aura fallu attendre 1955 pour qu’on en interdise l’utilisation dans les canalisations d’eau.”
L’empoissonnement des mulots tiré d’un quotidien de 1923. (© Musée des Confluences)
Pharmakon : du poison au remède
Mais le poison n’est pas complètement mauvais, et la frontière entre le mal et l’antidote est mince, et l’on bascule très facilement d’un côté à l’autre, question de dosage. Les Grecs employaient le terme pharmakon, un mot qui désigne à la fois ces deux aspects, poison et remède.
Bon nombre de médicaments sont produits à partir de substances toxiques : le venin de vipère est utilisé pour traiter l’hypertension, la digitale, mortelle à forte dose, est utilisée pour traiter les problèmes cardiaques, l’if, qui peut causer des troubles digestifs, contient du paclitaxel, efficace contre le cancer. La toxine botulique produite par un bacille et qui peut causer des paralysies respiratoires est employée afin de traiter des spasmes musculaires… ou pour lutter contre les rides.
Des recherches sont actuellement en cours, notamment sur le venin de mygale pour lutter contre la douleur. Denis Richard, pharmacologue qui a lui aussi œuvré sur l’exposition, nous rappelle juste un petit problème :
“Nous détruisons plus vite ces espèces animales et végétales que nous ne réussissons à les étudier pour en extraire des remèdes.”
Ces mêmes remèdes qui peut-être un jour soigneront nos maux, causés par notre propre empoisonnement à d’autres toxines plus chimiques…