Pour contester l’érection de mosquées à l’usage des étudiants musulmans dans leurs universités, des milliers de jeunes turcs ont signé des pétitions réclamant la construction d’autres lieux de culte sur leurs campus, parmi lesquels un temple bouddhiste et un temple Jedi.
Le mois dernier, Mehmet Karaca, recteur de l’Université technique d’Istanbul (ITÜ) annonçait la création d’une mosquée sur le campus à destination des étudiants musulmans, invoquant une “grosse demande” émanant de ces derniers. De fait, une pétition en ligne, lancée il y a 9 mois sur Change.org et réclamant la construction de l’édifice religieux, réunit plus de 180 000 signataires.
Inquiets pour le maintien de l’enseignement laïc à l’ITÜ, d’autres étudiants ont décidé de réagir en lançant, il y a deux semaines, leur propre pétition sur le même modèle, réclamant cette fois-ci… un temple bouddhiste, indique Newsweek.
Parmi les raisons invoquées, la plus populaire émane d’un certain Utku Gürçağ Borataç, qui se plaint de ne pas pouvoir honorer sa religion “car le temple bouddhiste le plus proche se trouve à 2000 kilomètres et qu’il est donc difficile d’y aller sur l’heure du déjeuner”. Pour le moment, malgré les 20 000 signataires, la pétition semble avoir été ignorée par le rectorat et l’instigatrice de la pétition, Zeynep Özkatip, a indiqué au quotidien turc Hürriyet avoir reçu des “menaces” suite à son action.
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6000 signatures pour un temple Jedi à Izmir
Au même moment, dans la province occidentale d’Izmir, une pétition similaire a été lancée par des élèves de l’Université Dokuz Eylül, réclamant l’érection d’un temple Jedi. Sur la page de la pétition, illustrée par une image du film L’attaque des clones montrant Yoda apprenant le maniement du sabre laser à de jeunes Padawan (les élèves Jedi), on trouve également un manifeste, rédigé en turc et en anglais :
Il y a longtemps, dans un lieu pas si lointain…
Il y avait avant beaucoup de Jedi dans le monde, et y compris en Turquie. Mais le problème était que les Jedi ne pouvaient pas être éduqués normalement. De nos jours, le nombre de chevaliers Jedi bien éduqués décroît de jour en jour. Les Padawan non instruits ne contrôlent pas leurs pouvoirs et n’ont d’autre choix que de basculer du côté obscur. Dans le but d’éduquer de nouveaux Jedi, la communauté doit se regrouper. Pour contrôler ce pouvoir, nous voulons des temples Jedi. Il y aura un conseil des Jedi dans le temple, et nous y éduquerons et entraînerons de nouveaux élèves.”
Pour le moment, la pétition a rassemblé pas moins de 6000 signatures dont, probablement, une majorité de fans de Star Wars. Mais pas seulement.
Vers la fin de l’éducation laïque en Turquie?
Anecdotiques au premier abord, ces deux pétitions cristallisent pourtant les inquiétudes d’une minorité de la population turque (pays de constitution laïque peuplé à 99,8% de musulmans, majoritairement sunnites) envers la politique d’éducation menée par le gouvernement du président Erdogan et son parti, l’AKP. Se réclamant laïc bien qu’historiquement imprégné de l’islam conservateur, le parti de centre-droit, au pouvoir depuis 2002, est ainsi régulièrement accusé par ses opposants de suivre un “agenda sunnite” ayant pour but d’islamiser le système éducatif turc.
L’année dernière, la Diyanet, l’organisme gouvernemental qui préside aux affaires religieuses, a ainsi annoncé que des mosquées seraient construites dans plus de 80 campus du pays tandis qu’en décembre dernier, un groupe de travail gouvernemental sur l’éducation recommandait l’extension de l’éducation religieuse obligatoire à tous les élèves d’école primaire, et l’ajout d’une heure d’enseignement religieux obligatoire aux élèves de lycée, provoquant la colère des minorités, tant religieuses qu’athées.
Pour le gouvernement, un frein à la radicalisation
Le 17 septembre dernier, pourtant, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) rendait un arrêt condamnant le pays pour violation du droit à l’instruction et l’invitant à réformer “sans tarder” l’enseignement religieux. Le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, avait alors mis en avant le rôle supposé de l’éducation religieuse en tant que frein à la radicalisation pour justifier la politique de son gouvernement.
Depuis l’accession au pouvoir de l’AKP en 2002, le nombre d’élèves inscrits dans les imam hatip, les établissements scolaires religieux, serait passé de 65 000 à plus d’un million, écrit Newsweek, la plus grande partie de cette expansion ayant eu lieu entre 2010 et aujourd’hui. À Izmir, Istanbul ou ailleurs, les jeunes Padawan n’auront peut-être bientôt plus la liberté de choisir leur éducation.