Tomás Saraceno investit le Palais de Tokyo.
À voir aussi sur Konbini
Depuis 2013, le Palais de Tokyo donne le champ libre à des artistes dans l’enceinte du musée. Pour cette quatrième invitation, c’est l’artiste Tomás Saraceno qui s’est emparé de l’immense superficie du bâtiment. Avec ce terrain de jeu monumental à disposition, l’artiste a créé une expérience sensorielle absolument remarquable, au sein de laquelle les pièces se succèdent autant que les surprises.
À la croisée du plaisir esthétique, du savoir scientifique et du manifeste écologique, “ON AIR” est un labyrinthe qui fait rapidement perdre ses repères aux spectateurs et spectatrices. Le public doit habituer sa rétine aux ambiances obscures et lumineuses qui se suivent et se répondent, et accepter de se laisser égarer au sein du parcours établi.
La visite débute dans une salle noire, éclairée simplement par des projecteurs diffusant une douce lumière, à la verticale, sur des cubes de verre renfermant des tissages de toiles d’araignées. Différentes espèces d’araignées ont été réunies afin de pousser à la création de toiles hybrides, introuvables dans la nature. Le résultat est impressionnant, autant par la diversité des formes et des matières que par la beauté des créations. On jure que même les arachnophobes seront conquis.
Le projet se veut évolutif puisque l’artiste explique vouloir que les arachnides (ils seraient plus de 500 à peupler l’intérieur du Palais de Tokyo) se joignent à ces œuvres, nous faisant ainsi repenser notre coexistence avec l’environnement qui nous entoure. Ces formations de soie sont magnifiées par les lumières qui les habillent et les vibrations de l’air qui les font se mouvoir doucement. Dans d’autres pièces, les toiles sont mises à plat et encadrées. De loin, on pourrait parfois croire à du marbre, de près à des fils de tissus, et certaines prennent même des allures de tests de Rorschach.
L’intérêt porté à l’influence des éléments naturels et humains sur l’art est mis en exergue dans des installations participatives. L’impact de l’invisible, de l’air notamment, est illustré par des stylos accrochés à des ballons d’hélium. Les mines dansantes dessinent sur des feuilles de papier étalées par terre et exposent, à l’œil nu, les mouvements imperceptibles de l’air et l’effet de notre présence à un endroit donné. Ces expériences deviennent une sorte d’ode à l’effet papillon (théorie selon laquelle un battement d’ailes de papillon au Brésil peut entraîner une tempête au Texas).
“ON AIR” a pour ambition de nous faire sortir de notre zone habituelle de compréhension de la réalité. En plus de nous faire voir l’imperceptible, les installations présentées nous le font ressentir, voire écouter, à l’image de cet instrument de musique composé de cinq longs filaments de soie d’araignées qui ondoient par vagues douces et résonnent :
“Il n’est pas joué individuellement par un être humain mais par un ensemble de forces et de présences qui transforment l’espace et ses dynamiques : des mouvements invisibles provoqués par les changements de température, le flux et la respiration des visiteurs. En traduisant les vibrations en fréquences sonores, cette installation nous permet d’entendre la voix de l’air“, détaille le Palais de Tokyo.
À mesure que l’on avance dans l’exposition, la participation du public est de plus en sollicitée. Ainsi, une grande salle aux murs blancs est envahie de cordes noires tendues, rappelant des toiles d’araignées sophistiquées. En les pinçant, les visiteurs et visiteuses deviennent les chefs d’orchestre d’une symphonie collective et changeante. Les fréquences qui résultent de cette interaction sont parfois audibles, parfois simplement ressenties. Le musée a installé des amplificateurs d’infrasons afin de transformer le sol “en une gigantesque enceinte”. Le public est d’ailleurs invité à s’allonger sur le sol : “Notre corps devient une sorte de vaste oreille, une membrane vibrante déplaçant notre attention vers d’autres modes de perception.”
En nous invitant à nous détacher de nos sens et de nos perceptions, Tomás Saraceno nous pousse à repenser notre façon d’appréhender les éléments naturels, leurs cycles et nos relations avec ceux-ci. Lorsque l’artiste met à l’honneur l’argyronète (une espèce d’araignée vivant sous l’eau grâce à une bulle protectrice d’oxygène qu’elle se crée elle-même), il questionne notre capacité à nous adapter aux évolutions terrestres. En s’interrogeant sur les possibilités pour les hommes d’un jour vivre dans les airs, par exemple, il semble s’envoler dans des considérations tout à fait utopistes. Pourtant, la suite de l’exposition légitime ces questionnements.
Art et conscience environnementale
La deuxième grande section de cette carte blanche présente les avancées de la communauté Aerocene, qui travaille à l’élaboration de structures non polluantes capables de flotter dans les airs et dont l’élaboration est “continue, ouverte et collective”. L’organisation à but non lucratif œuvre à la conception d’outils “pour imaginer une nouvelle ère sans énergies fossiles”.
La poésie s’associe au politique. En effet, certains vols menés par Aerocene (“l’envoi d’une personne dans les airs grâce à la seule énergie solaire […] et le vol de huit sculptures plus légères que l’air”) se sont déroulés là-même où les États-Unis avaient fait leurs premiers essais de bombe nucléaire.
L’expérience est participative. L’équipe d’Aerocene propose aux visiteurs de mettre la main à la pâte en participant à la création d’une immense structure (dans laquelle on entre comme à l’intérieur d’une grotte), faite de morceaux de sacs plastiques assemblés à la manière d’un patchwork. La communauté internationale et interdisciplinaire Aerocene pose à travers ces installations la question suivante : “Que ressentirions-nous en respirant dans une époque post-énergies fossiles ?” Traduire ces considérations abstraites par une expérience physique permet au public d’entrer plus profondément dans le débat.
Des ateliers, séminaires et concerts sont organisés de façon ponctuelle afin d’approfondir l’expérience. Un vendredi par mois, des assemblées sont organisées “entre humains, non-humains et matières” afin de discuter des problématiques soulevées par l’exposition. Des ateliers “do it yourself” et “do it together” sont également proposés, suivis d’événements musicaux “interespèces” auxquels participent le public et des musiciens expérimentaux.
L’exposition carte blanche laissée à Tomás Saraceno, “ON AIR”, se tient au Palais de Tokyo jusqu’au 6 janvier 2019.