Fort du succès de sa mixtape So Far Gone et du génial titre “Best I Ever Had”, qui introduisait alors parfaitement son univers, Drake était de retour le 15 juin 2010 avec son tout premier album : Thank Me Later. L’artiste canadien est attendu au tournant, la sortie du projet – qui fête aujourd’hui ses 10 ans – étant repoussée depuis plusieurs semaines. À tel point que ce premier effort va même être leaké deux semaines avant sa commercialisation. Espoir très prometteur de la scène nord-américaine, Drake voit déjà les choses en grand.
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En attestent les (trop ?) nombreux featurings de Thank Me Later : Alicia Keys, T.I., Nicki Minaj, The-Dream, Jeezy, Jay Z, Lil Wayne… La plupart étant concentrée au milieu du projet, moment où Drake a une fâcheuse tendance à perdre toute son identité musicale.
Cette liste d’invités témoigne cependant de la hype qui entoure les premiers pas en long format du bonhomme. Il faut rappeler que le disque paraît sur le label de Lil Wayne : Young Money, branche de Cash Money Records. Il est donc fort logique que l’on retrouve Weezy mais aussi la rappeuse new-yorkaise, autre signature du label et étoile montante de la scène US.
Avec ce croisement entre rap et R’n’B, Drake fascine autant qu’il agace. Subtil pour certains, tout simplement chiant pour d’autres, le premier album de Champagne Papi divise autant que l’artiste – malgré des critiques généreuses. Les plus optimistes comparent déjà ce disque aux grandioses 808s & Heartbreak de Kanye West et Man on the Moon de Kid Cudi – même si avec le recul, on ne va pas se mentir, c’était un poil présomptueux.
Nombriliste sur un fil
Sûrement trop chapeauté par son label, l’album est conçu par Drake comme un véritable blockbuster du hip-hop. Avec ses gars de toujours à la production, à savoir Noah “40” Shebib et Boi-1da, il multiplie les textures sonores à s’y perdre, sans jamais créer de véritable liant au projet. D’autant plus que viennent se greffer à la production de grands noms tels que Timbaland (“Thank Me Now”), Swizz Beatz (“Fancy”) et un certain… Kanye West (“Find Your Love” et “Show Me a Good Times”).
Une addition de talents qui fonctionne par intermittence, échoue le reste du temps. Les productions sont pour la plupart langoureuses, douces et cotonneuses. Parfois trop, à tel point qu’elles en deviennent comme engourdies.
Drake parle de lui un peu, beaucoup, passionnément. Quel tchatcheur. “Tous les yeux sont tournés vers lui, surtout les siens”, résume parfaitement Ryan Dombal, critique chez le prestigieux magazine Pitchfork. Nombriliste à l’extrême, l’artiste canadien – qui avait alors 23 ans – narre ses errances sentimentales et ses pensées. Il parle de ses romances, de la célébrité naissante, de son mal-être et de ses doutes. Un rap émotionnel posé d’une voix nasillarde, qui ne cesse d’enchaîner les allers-retours entre le club de strip-tease et le journal intime.
Le rappeur veut à tout prix accéder au sommet, mais sans devenir célèbre. Malgré ces quelques contradictions, il reste de Thank Me Later quelques-uns des morceaux les plus marquants de la carrière de Drake. “Over”, qui faisait partie de la bande originale de NBA 2K11 (quelle époque), fut un single grandiose. “Fancy”, avec les participations de T.I. et de Swizz Beatz, était un modèle d’efficacité.
En route vers la gloire
Mais c’est surtout avec “Find Your Love” que Drake franchit un cap. Le morceau cartonne à l’étranger, notamment en Europe et en France. Rajoutez à cela son featuring sur “What’s My Name?” de Rihanna, extrait de l’album Loud paru quelques mois plus tard, et paradoxalement, c’est peut-être bien à cette période que Drake devient une véritable star mondiale.
Malgré ces quelques défauts, Thank Me Later se classe immédiatement numéro un aux États-Unis dès sa sortie, et atteint les premières places des charts au Canada, en Australie et en Grande-Bretagne. De quoi lui assurer tranquillement un disque de platine. Pour un premier album, on a vu pire. Il faut dire qu’il est assez facile de s’identifier au rap du 6 God, principalement fait de pensées introspectives, d’histoires de cœur et de réflexion sur le succès. Une stratégie qui lui permet, déjà à l’époque, de brasser un public plus large et varié que la plupart des rappeurs américains.
Fort de cette expérience en demi-teinte, mais au succès incontestable, Drake livrera l’année d’après l’un de ses meilleurs – si ce n’est le meilleur – albums, Take Care. Probablement le disque qu’il aurait souhaité faire pour son premier album. Mais avec Thank Me Later, celui qui vient de dévoiler sa nouvelle mixtape Dark Lane Demo Tape a tout de même prouvé qu’il était digne et à la hauteur de son statut de future superstar. Dix ans plus tard, on peut au moins le remercier pour cela.