Avec son casque à 219 euros, qui ne nécessite ni smartphone ni PC de gaming pour fonctionner, Facebook a tout donné pour démocratiser enfin la VR. Verdict.
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Naître au crépuscule des années 1980 est une chance extraordinaire, quand on y réfléchit. Entre mes premiers cris d’effroi poussés à l’encontre de ce monde hostile, quand je n’étais encore qu’un inoffensif amas de sécrétions vaguement humanoïde, et la rédaction de ce texte, pas loin de trois décennies après, toute l’industrie du divertissement ou presque a connu au moins une révolution, quand ce ne sont pas plusieurs.
Côté musique, les compiles sur cassettes bricolées à base de captations FM pirates se sont fait bouffer par les CD, qui ont assisté impuissants à la montée du MiniDisc avant que le lecteur MP3 et l’iPod ne finissent par mettre tout le monde d’accord. La télé cathodique aux mensurations de menhir, reine des salons depuis les années 1960, s’est transformée en une feuille de papier peint faite de cristaux liquides, que les services marketing des grandes marques nous encouragent à faire passer pour une œuvre d’art depuis que la télé est devenue un hobby de mauvais goût. Sérieusement ? Oui.
Mon Nokia 3310 de 2001, créature hybride et populaire entre une interface de communication textuelle pour illettrés (“salu cava tu fé koi 2m1 ? Ri1 é twa ?”) et un petit parpaing étanche à cinq mètres, est devenu en quinze ans une IA omnipotente (et bien trop curieuse de mes activités quotidiennes) nichée dans un appareil de luxe, trop grand pour ma poche de jean et trop fragile pour être sortie à l’air libre sans son armure de silicone, mais capable de tous les prodiges.
Bref, vous avez saisi l’idée : en une vingtaine d’années, les manières d’écouter de la musique, de regarder la télévision, d’utiliser un téléphone ou de lire les journaux ont complètement changé, largement influencées par les courants du darwinisme matériel. Au sommet de la chaîne alimentaire, les spécimens alpha de la tech se nomment désormais iPod, iPhone, Kindle, MacBook ou PlayStation. Des appareils à l’impact planétaire, dont la sortie a marqué un changement de paradigme technologique et sociétal.
La promesse d’un machin qui fonctionne
Pourquoi un cours d’histoire audiovisuelle en préambule d’un article sur l’Oculus Go ? Pour comprendre à la fois les enjeux qui entourent sa commercialisation, annoncée le 1er mai par Facebook lors de sa conférence F8, et les promesses soulevées par ce gros masque de ski bardé de technologie.
En 2018, deux ans après le big bang de l’Oculus Rift, l’univers de la VR est encore salement en chantier. Entre les appareils de gaming haut de gamme, symbiotes d’ordinateurs tout aussi onéreux (Oculus Rift, HTC Vive, PlayStation VR), les casques nécessitant un smartphone d’élite pour fonctionner correctement (Gear VR, Google Daydream) et les expérimentations bizarres qu’on regardera bientôt avec la même tendresse qu’un Minitel ou un Discman/MP3 (Google Cardboard, notamment, ou tous ces casques en toc qui fleurissent sur le marché), on est très loin d’un écosystème unifié, d’une réalité virtuelle accessible et démocratisée, et encore plus loin de trouver des casques dans tous les salons.
Bref, pour faire rentrer la VR chez madame Michu, c’est râpé. Son mari et elle aiment bien aller sur Internet et regarder des films, mais pas question de mettre un SMIC dans une GTX 1080Ti ou dans un iPhone X pour s’offrir une technologie qui, vue de loin, a l’air trop compliquée. Ce qu’il manque à la VR, c’est le casque qui les gouvernera tous, ce produit d’appel, cette tête de gondole qui alliera un prix de vente correct à une facilité totale de prise en main et une expérience virtuelle de qualité.
Ce casque, Facebook veut vraiment, vraiment, que ce soit l’Oculus Go, le premier modèle siglé Oculus à fonctionner en standalone, sans câble, ni ordinateur, ni téléphone. Le principe ? Après avoir dépensé 219 euros chèrement gagnés, vous déballez le casque de son carton, vous le connectez au wifi du salon, vous l’enfilez et boom : bienvenue dans la VR, un monde où vous pouvez chasser des licornes sur le dos d’un dragon si ça vous chante. Ready Player One, vous dites ? Exactement.
Sur cette simple promesse, Facebook a déjà attiré l’attention de monsieur et madame Michu, en balade à la Fnac. Mais puisqu’on ne construit pas l’avenir avec de simples promesses et que Facebook nous a refilé un Oculus Go lors de notre passage à la F8, on a passé une semaine en compagnie de la bête pour tenter de répondre à LA question cruciale : l’Oculus Go est-il le messie de la réalité virtuelle ? Spoiler alert : ça y ressemble.
Déballage
Commençons par une flopée de caractéristiques techniques et de prise en main. À peine déballé, l’appareil est déjà séduisant : à peu près similaire à un Oculus Rift dans sa forme et sa taille, pour un poids de 470 grammes, il bénéficie d’une finition grise mate élégante et de matériaux très confortables, qu’il s’agisse de la mousse d’obturation ou des lanières réglables qui le maintiennent sur la tête.
Le casque s’adapte plutôt bien aux différentes formes de crâne et coupes de cheveux, même si mon panel de testeurs a généralement eu du mal à l’enfiler correctement. Protip : un casque de VR ne s’enfile pas comme un masque de ski, il faut d’abord mettre le masque sur le visage puis régler les lanières, histoire de ne pas tacher les lentilles avec la sueur du front ou le gras des cheveux.
Autre brillante attention, la présence dans le carton d’un adaptateur en plastique pour ceux qui souhaiteraient jouer en gardant leurs lunettes. Globalement, l’unboxing laisse une très bonne impression : malgré un prix trois fois inférieur au Rift, le Go n’a rien de cheap et donne au contraire une rassurante impression de durabilité. Seul bémol : porté plus d’une demi-heure à la suite (le seuil maximal recommandé par Oculus), il a tendance à laisser des marques temporaires sur le visage, comme un coup de soleil chopé sur les pistes. Rien d’alarmant, mais un effet un peu ridicule.
Interface et navigation
Trêve de bavardage, le véritable show ne débute qu’une fois le casque posé sur les yeux. Immédiatement, un senseur de proximité “réveille” le système d’exploitation (de la même manière, le casque se met automatiquement en veille dès que vous l’enlevez) et vous accueille avec le logo ovale d’Oculus sur fond noir et un jingle sonore éthéré. Vous serez ensuite invité·e à calibrer votre position, contrôleur en main, pour que la manette restitue fidèlement vos mouvements dans le monde virtuel (vous le ferez à chaque démarrage, et pourrez le faire dès que vous le souhaitez pendant que vous naviguez). Premier gros problème, cependant : contrairement à la plupart des casques du marché, le Go ne propose aucune molette de réglage d’espacement des lentilles ou de netteté. Autrement dit, si vous faites partie de la faible minorité qui verra flou en l’essayant, passez votre chemin.
Une fois les réglages effectués, la connexion à votre wifi domestique activée et votre inscription terminée (nous y reviendrons plus tard), vous atterrissez sur le menu principal du Go, une homepage simple et bien pensée qui affiche trois menus flottants en 2D, légèrement incurvés, ce qui donne une interface à la Minority Report. Déjà, le charme opère. Boom : promesse d’immédiateté tenue.
Le processeur Qualcomm Snapdragon 821 et les 6 Go de RAM font leur boulot, la latence est inexistante et les temps de chargement des applis sont trop rapides pour être lassants. On se déplace dans les sous-menus (applications, réglages, navigateur, etc.) de manière intuitive grâce au contrôleur (qui reprend le design de celui du GearVR), en cliquant via la gâchette à l’index, qui fonctionne aussi comme une sorte de doigt virtuel en nous permettant de swiper pour dérouler des listes ou naviguer sur des pages. Le navigateur Web intégré, basé sur Chrome, est sensationnel et justifie à lui seul l’intérêt de ce casque, même si l’utilisation du clavier virtuel, lettre après lettre, demeure assez frustrant (n’imaginez pas écrire des commentaires, vous mourrez d’ennui avant d’arriver au bout).
Quiconque a déjà utilisé un ordinateur contemporain ou un smartphone comprendra instinctivement les règles de base de l’interface graphique, tout en étant un peu désorienté au début. Enfin, l’ergonomie du contrôleur et son minimalisme (deux boutons “Retour” et “Home”, une gâchette, un trackpad) sont excellents, tout comme son autonomie : alimenté par une pile AA, il n’a perdu que 10 % de batterie après une semaine d’utilisation. En revanche, l’Oculus Go ne capte pas les mouvements du corps, ce qui en fait un casque à utiliser assis, et ça se sent tout de suite dans les jeux − impossible, par exemple, d’éviter les balles dans les jeux de shoot !
Image et son
Outre son prix, l’un des points forts du Go réside dans la qualité de son écran : une résolution de 2560 x 1440 pixels, un taux de rafraîchissement maximal à 72 Hz (généralement bloqué à 60 Hz) et un champ de vision de 110 degrés qui le rendent techniquement supérieur au Rift, mais aussi des lentilles optiques d’excellente qualité pour l’afficher.
Une configuration qui contrebalance parfaitement le choix du LCD plutôt que l’OLED − à 219 euros, il fallait bien trouver quelques compromis économiques − et permet d’afficher des images au contraste et à la précision globalement satisfaisants, même si on est encore loin du photoréalisme et que des marges noires, un peu floues, apparaissent à la périphérie de la vision, ce qui peut être inconfortable à la longue. Il arrive que les textes manquent eux aussi de netteté dans leur affichage, sans pour autant rendre impossible la lecture. Pas de souci, donc, pour visualiser les sous-titres d’une vidéo.
Côté son, l’Oculus Go innove en proposant un système inédit de conduction sonore dans les branches en plastique latérales soutenant les lanières, qui possèdent chacune un petit haut-parleur intégré. La qualité est correcte mais sans plus. On ne s’y attardera pas : si la configuration a le mérite d’exister pour pouvoir utiliser le casque tel quel (la philosophie standalone est donc respectée) et sans se couper totalement des stimulus extérieurs, le principe d’un casque de VR est avant tout l’immersion, d’où la présence d’une sortie casque mini-jack. Avec des écouteurs intra-auriculaires à suppression de bruit active, même basiques (en l’occurrence, des TaoTronics à 30 euros), le son se révèle bien équilibré et riche, même si limité par un faible niveau de sortie.
Gaming
Autant le dire tout de suite, l’Oculus Go n’est pas un casque de gaming − pour ça, il y a l’Oculus Rift, ses deux contrôleurs, son framerate plus élevé et ses jeux ambitieux. Pourtant, la compatibilité entre les applications GearVR et l’Oculus Go fournissent à ce dernier une collection conséquente de titres, dont la jouabilité s’avère parfois surprenante même si la majorité des jeux testés, notamment gratuits, a du mal à se défaire du statut de démo aux graphismes dignes de la PS2.
Mention spéciale à Endspace et Anshar Online, deux simulations de combat spatial radicalement différentes mais extrêmement fun à jouer, à Dead and Buried, un survival de far west gratuit et simplissime qui a fait marrer tous ceux qui l’ont essayé autour de moi, ou le méditatif Lands’ End, un jeu de stratégie envoûtant qui vaut bien quelques séances de relaxation.
Pour le reste… Pas brillant, il faut bien l’avouer. Malgré environ 1 500 applications disponibles, seule une poignée d’entre elles dépassent le stade du jeu gadget ou tout simplement du jeu ennuyeux. Difficile, dès lors, d’identifier une grande réussite vidéoludique. Là encore, il faut garder à l’esprit que la commercialisation de l’Oculus Go a pour but de générer un cercle vertueux : plus l’appareil se vendra, plus les développeurs et les studios fourniront de jeux.
Enfin, on ne peut que regretter l’absence de dispositif de partage d’écran, qui casse toute possibilité d’interaction avec ceux qui n’ont pas le casque sur les yeux, ou même de jeu en réseau local : si vous voulez jouer à des jeux avec des potes, il faudra que vous vous connectiez sur les serveurs multijoueurs.
Applications
Du côté des applications, Oculus Go propose pléthore de services via l’Oculus Store. Des reportages en contenu immersif (produits par Arte , la BBC, le New York Times et des studios spécialisés comme Within). Du sport, avec Fox Sports − qui préfigure l’avenir des retransmissions de foot “comme si vous y étiez”. Des services multimédias comme Netflix, et son étrange interface graphique champêtre qui nous fait regarder une télévision virtuelle, ou Plex et son service de synchronisation multimédia en ligne avec votre ordinateur, qui élargit les possibilités d’une mémoire interne très réduite (32 Go pour la version à 219 euros, 64 Go pour la version à 249 euros, pas de port MicroSD).
On trouve aussi toute une collection d’expériences éducatives immersives : 6X9, qui simule l’isolement carcéral ; Chemistry VR et Plant Cell, des expériences de biologie interactives ; une visite grandiose de l’ISS, et même un voyage au cœur d’un utérus avec Wonderful You. Les enfants ont droit à leur sélection d’applications divertissantes, et les adultes masochistes peuvent s’entraîner aux entretiens d’embauche avec l’appli Pôle Emploi VR − si, si, j’vous jure − et le pire, c’est que c’est plutôt pas mal.
Maintenant, il faut qu’on parle des réseaux sociaux en VR. Outre Oculus Rooms, le Store vous propose plusieurs plateformes de social VR comme Altspace ou vTime. Peu importe celle que vous choisirez, il vous faudra d’abord vous créer un avatar cartoonesque dans la plateforme Oculus avant de vous lancer dans les vertes plaines de la VR en groupe. Franchement, l’expérience est encore trop étrange : selon la plateforme, on débarque généralement dans des espaces virtuels reproduisant la nature, où des groupes d’avatar discutent dans plusieurs langues.
Avec l’Oculus Go, se déplacer est un peu compliqué, ce qui fait que l’on se téléporte maladroitement par petits bonds, sans trop savoir où s’arrêter. Et puis au fond, que nous proposent ces plateformes ? De regarder une télé virtuelle dans un salon virtuel avec des amis virtuels ? De jouer au Monopoly virtuel sur la reproduction pixelisée d’une table Ikea ? Tout ça manque cruellement d’ambition. Tant que la VR n’offrira pas mieux qu’une imitation bas de gamme du réel, difficile d’imaginer comment faire décoller le taux de fréquentation de ces salons.
Quelques points négatifs… et une absurdité
Forcément, à 219 euros, l’Oculus Go n’est pas parfait, loin de là. Et si certains de ses soucis sont immédiatement excusés par son prix ou tout simplement par son ambition (notamment la jouabilité limitée, l’absence d’un second contrôleur et même le flou de certains contenus), d’autres failles posent quand même question. L’absence d’un port MicroSD pour agrandir le stockage interne, par exemple − not cool, Oculus. L’autonomie limitée (entre 2 et 3 heures selon les activités, du jeu 3D ultra-immersif à la navigation Web toute simple), même si l’appareil se recharge en 2 heures à peine et qu’il est toujours possible d’y jouer branché (attention quand même à ne pas arracher la prise, on prend vite l’habitude de la liberté de mouvement).
Autre point négatif, bien plus gênant celui-là : l’obligation, pour faire fonctionner l’appareil, de… télécharger l’application Oculus sur un téléphone, le temps que celle-ci reconnaisse le numéro de série de l’appareil et se connecte au GPS du téléphone pour vérifier quel contenu vous avez le droit de regarder, ainsi que me l’a expliqué Madhu Muthukumar, responsable du Go chez Facebook.
Une fois ceci fait, l’appareil est “débloqué” et possède tout ce qu’il faut pour fonctionner tout seul (Store, interface de connexion wifi). Vous pouvez même désinstaller l’application si ça vous chante. C’est ABSURDE, surtout pour un appareil dont le principal argument de vente est la facilité d’utilisation et le côté standalone. Tant que ce système sera en place, dire que l’Oculus Go ne nécessite pas de téléphone sera intrinsèquement faux. Il aurait été tout aussi simple, et beaucoup moins agaçant, d’imaginer un système d’authentification au sein de l’interface (se connecter à un site et y taper son numéro de série, par exemple).
Sinon, à l’heure où la vie privée en ligne n’a jamais été aussi discutée, Facebook aurait pu faire un petit effort : certes, l’Oculus Go ne nécessite pas de compte Facebook (après une semaine d’utilisation, je n’ai toujours pas entré mes identifiants ou utilisé le réseau social), mais à la manière des app stores de téléphones, les applis sont particulièrement friandes de permissions − accès au micro, aux fichiers, au stockage interne, etc. Pensez donc à bien refuser toutes ces demandes. Quant à l’appareil lui-même, difficile de savoir quelles données il recueille et comment. Seule satisfaction : l’Oculus Go ne disposant pas de caméra, pas de risque de récolte de données biométriques. Au nom du futur, j’ai fermé les yeux sur mes données personnelles cette fois-ci, tout en priant très fort pour que des solutions open source permettent bientôt de bloquer toute fuite − on n’est jamais trop prudent.
Verdict
Au fond, la mission de l’Oculus Go est de répondre à une question très simple, que ne manquera pas de se poser le couple Michu de passage à la Fnac : ce truc vaut-il 219 euros ? Je pencherais pour un “oui”, sans être pour autant capable de l’affirmer parfaitement. Disons qu’en une semaine, l’Oculus Go m’a fait à nouveau rêver de la réalité virtuelle, chose qui me semblait difficile après une première déception.
Naviguer sur le Web, écouter de la musique, regarder un film ou une série, jouer à de petits jeux marrants : l’Oculus Go remplit sa mission à merveille. S’il manque encore de connectivité locale, c’est peut-être parce qu’il veut incarner une expérience de VR intime. Et ça fonctionne : regardez une fois un film sur ce casque, allongé dans votre lit, et vous ne voudrez plus jamais utiliser votre ordinateur portable.
En cela, Facebook a réussi sa mission principale : rendre la VR accessible à tous les foyers, et bénéficier d’un effet boule de neige. En une semaine, j’ai probablement fait essayer ce casque à une vingtaine de personnes. L’immense majorité d’entre elles a eu du mal à le lâcher, quelques-unes l’ont rapidement arraché en se tenant les tempes, et trois autres, après quinze minutes de test, m’ont demandé où se le procurer. Dans tous les cas, la question du prix m’a été posée, et la réaction a toujours été celle d’une agréable surprise. Vous vous souvenez de cette époque où on se demandait si on vivrait assez longtemps pour voir la VR accessible à tous ? Peut-être qu’on la rêvait plus belle, mais peu importe : la voilà.