Ils sont jeunes, ils votent Front National, ils disent pourquoi

Ils sont jeunes, ils votent Front National, ils disent pourquoi

Rencontre avec trois jeunes qui ont voté ce dimanche 6 décembre pour le Front National.

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27%, c’est le score qu’a réalisé, au niveau national, le Front National ce dimanche lors du premier tour des élections régionales. En réaction, la presse a sorti les grandes manchettes des lendemains qui déchantent : “Le choc” ont lancé en chœur Le Figaro ou L’Humanité, “Tous contre elle” s’est écrié Nice-Matin, “Résister” a imploré La Marseillaise tandis que Le Dauphiné Libéré, moins dans l’emphase, a souligné “Des régionales inédites”.

Paradoxalement, les “enseignements” qui ont été tirés de l’élection sont venus d’un sondage réalisé par Ipsos/Sopra Steria. Concocté avant les régionales, il éclairait avec rigueur la sociologie des électeurs. Et le plus étonnant est venu de la part des jeunes qui ont voté pour le Front National, avec des pourcentages jamais vus, dépassant largement les 27% de vote au niveau national :

-> 35% d’intentions de vote chez les 18-24 ans – 21 % pour le PS et Les Républicains;

– > 28% d’intentions de vote chez les 25-34 ans – 27 % pour le PS et 21 % pour Les Républicains.

Pour comprendre ce vote, on a discuté avec trois jeunes qui ont choisi le parti de Marine Le Pen ce dimanche. Ils s’appellent Pierre, Marine et Paul. Le premier a 25 ans et est juriste à Marseille. La deuxième a 21 ans, vit à Paris et travaille dans la communication. Le troisième a aussi 21 ans et travaille dans la fonction publique. Entre évolution des choix politiques, justification de leur attirance pour le Front National et vision de la société, on a essayé de saisir la popularisation du vote extrême-droite chez les jeunes en France.

L’évolution du vote

Trois, c’est le nombre de dates qui ont conduit Pierre à voter pour le Front National. 2009, les élections européennes : il choisit le MoDem et François Bayrou. Aux élections présidentielles de 2012, son vote prend une tournure droitière : ce sera Nicolas Dupont-Aignan, le président de Debout la France. 2015, ce 6 décembre : Pierre choisit Marion-Maréchal Le Pen dans sa région PACA.

Paul a un parcours différent : en 2012, s’il est trop jeune pour voter, il participe déjà à la campagne de Nicolas Sarkozy. L’élection présidentielle passée, il porte sa voix vers le Front National pour tous les rendez-vous suivants, à l’exception des municipales : il préfère choisir la maire socialiste du village de ses parents, “car elle assume la fonction depuis des années et je n’avais rien à reprocher à sa ligne directrice”.

Enfin, Marine. Depuis ses 18 ans, elle a toujours voté pour Les Républicains (ex-UMP à l’époque). Mais ce 6 décembre, elle a décidé de franchir le pas en optant pour la première fois, pour le Front National. Elle dit ne plus se reconnaître “dans Les Républicains, qui n’offrent à l’heure actuelle aucune solution aux grandes problématiques du pays : emploi, sécurité, engagement dans les conflits internationaux, Europe, etc.”.

La justification du vote

Ce dimanche 6 décembre, Paul, Marine et Pierre n’ont pas voté aux élections régionales afin de donner une orientation précise aux compétences régionales. Car quand on leur demande de justifier leur choix, leurs explications, qui sont à peu de choses près les mêmes, sont liées à des enjeux de politique nationale.

À la question de savoir si les attentats du 13 novembre les ont incités à voter FN, Marine et Pierre ont répondu par la positive (les événements ont peut-être légèrement influencé mon choix” pour la première, “cela n’a fait que renforcer mon vote et a aidé à la mobilisation de l’électorat” pour le deuxième), tandis que Paul souligne que les dés étaient déjà jetés (“le FN montait déjà bien avant les attentats, mais il ne fait aucun doute que ces évènements ont sûrement “jou锓).

Au-delà de cette actualité récente, trois thématiques reviennent dans les échanges. La première est l’Europe : pour Pierre, il faut “lutter contre les différentes politiques menées par l’UE et pour le retour de notre souveraineté”; pour Marine, le FN représente “la remise en question de l’espace Schengen, ou cette idée de faire passer la France avant l’Europe”. Même son de cloche chez Paul qui réprouve “la trop forte ingérence de l’Union européenne dans la vie quotidienne des Français”.

Le deuxième est l’immigration. Un mot d’ordre qui s’incarne dans des phrases courtes :“La lutte contre l’immigration de masse” (Paul) comme “La régulation des flux migratoires” (Marine).

Paul va plus loin, évoquant une préférence toute nationale :

Même si la situation [des migrants] est accablante et incroyablement difficile, je trouve qu’on a déjà une tonne de problèmes à gérer chez nous. Je dis oui à l’accueil des personnes, dès lors qu’elles souhaitent réellement s’intégrer, et n’imposent pas tel ou tel aspect de leur vie antérieure comme la “seule bonne voie”.

La troisième est la sécurité. Paul parle de “problèmes”, Marine évoque un renfort des forces de l’ordre si le FN avait été au pouvoir “avant les attentats”. Pierre parle de sa vision de “jeune blanc”, soulignant une division structurelle au sein de la société en fonction des origines, en lien avec le “racisme anti-blanc”, un thème cher à l’extrême-droite, dont le concept a été rejeté il y a peu par la justice :

Le jeune qui vote FN est souvent issu d’un milieu populaire ou est déclassé, comme moi. A ce titre, il a subi au quotidien les méfaits de la délinquance (essayez de trouver un babtou de 20 ans qui ne s’est jamais fait emmerder à Marseille). Il fait un parallèle entre délinquance et immigration et vote, pour son confort quotidien, pour le seul parti qui propose de la stopper.

De plus, il remarque que des jeunes blancs qui ont la possibilité de vivre dans des quartiers où la délinquance n’est pas une réalité quotidienne, le traitent de raciste et facho. Cette double domination qu’il subit le pousse à voter massivement pour le FN et haïr, tout aussi massivement, le petit fils de profs qui lui fait la leçon.

À ces sujets, Paul ajoute les “problèmes de sécurité” et la “justice qui part en vrille”; Pierre apprécie la vision géopolitique du FN et “notamment leur rapprochement avec la Russie et la Syrie“.

En quelques points, Pierre, Marine et Paul sont ainsi en phase avec les sujets ancrés solidement dans l’ADN du Front National depuis des décennies, celui de Jean-Marie Le Pen comme de Marine Le Pen : une défiance à l’égard de l’Europe, une peur de l’immigration et la question, toujours centrale selon eux, de l’insécurité. Les références au chômage ou à l’économie sont légères : Marine voit, sans aller beaucoup plus loin, un parti ayant des “réponses concrètes et applicables aux problématiques du chômage”. Paul, lui, trouve un écho particulier dans la politique économique mais la caractérise comme étant “vacillante”.

L’arrivée au pouvoir

Si les trois jeunes se trouvent en phase avec les idées du Front National, ils émettent, et c’est tout le paradoxe, des doutes quant aux capacités du parti à diriger la France. Marine pense ainsi que les réponses politiques du FN mériteraient “d’être nuancées”.

Pierre est peu confiant…

Je ne suis pas un grand optimiste sur leurs capacités, une fois arrivés au pouvoir, à changer les choses. Je me dis que j’ai 25 ans et que je préfère ça plutôt que de ne rien faire en expliquant à qui veut bien l’entendre que la solution c’est de partir en Corrèze élever des poules […].

Comme une sorte de prise de risque au Poker, Paul se la joue Pari de Pascal : le Parti Socialiste et Les Républicains étant inefficaces selon lui, pourquoi pas tester le FN, tant qu’on y est ?

Cela pourrait passer pour une réponse d’enfant, mais on critique depuis des années successivement la droite, puis la gauche, puis encore la droite, et ce sans fin. Or, l’extrême-droite n’a jamais eu de réelle période où elle était majoritaire et élue en France. Pourquoi ne pas tenter le coup, et voir ce qu’il en résulte ?

2017, 2022 ?

Là encore, l’optimisme n’est pas de rigueur. Pour Marine, la présidente du Front National n’accédera pas à la présidence, la faute à ses positions : “Si elle a le charisme nécessaire pour briller sur la scène internationale, certaines de ses positions sont encore trop tranchées et extrêmes pour être acceptées à l’échelle nationale“. 2017 ou 2022, la question ne se pose même pas.

Si Paul pense que Marine Le Pen “n’aura jamais autant de chance d’être élue à l’élection présidentielle qu’en 2017”, il ne veut pas se “voiler pas la face”. Pourquoi ?

À cause de l’invention “vomitive” et totalement anti-démocratique du “barrage républicain” qui consiste pour une ou plusieurs formations politiques à s’allier avec d’autres formations (aux idées parfois diamétralement opposées) pour faire en sorte qu’une autre ne passe pas. Comment résister face à ça ? Je n’ai pas beaucoup de solutions.

Pierre, lui, a déjà prévu le coup : ce sera pour 2022.

Raciste le FN ?

À la question de savoir ce qu’ils pensent de la corrélation entre Front National et racisme, les trois ont des réponses différentes. Pierre commence ainsi sur des chapeaux de roue, pour mieux souligner une réalité économique :

Les gens qui me traitent de raciste sont des fragiles qui baissent les yeux quand ils voient un arabe dans la rue […]. Mes potes arabes ou juifs vivent la même réalité économique que moi et en ont marre de la décadence festive qu’on leur vend. On galère tous à avoir un boulot, on galère tous pour s’en sortir. Ils sont Français, ce sont mes frères, un point c’est tout.

Paul, lui, se défend de l’être :

Je ne suis ni raciste, ni xénophobe, ni homophobe, ni antisémite. Simplement, j’aime profondément mon pays, et je refuse de le voir partir à la dérive comme il le fait depuis des années et des années. J’estime que nos anciens se sont assez battus pour une idée de la France, et je trouve atroce de tout laisser partir en vrille comme on le fait actuellement.

Marine, quant à elle, use d’un certain recul à l’égard d’un parti autrefois dirigé par Jean-Marie Le Pen, habitué aux fameux “dérapages” :

Concernant la question du racisme au FN, je pense qu’elle est clairement existante chez nombre des membres du parti dont l’idéologie frôle le nazisme. Tout n’est pas bon à prendre.

La montée du FN chez les jeunes : pourquoi ?

Et une question reste en suspens : pourquoi une telle montée du Front National chez les jeunes ?

Paul se lance :

Simplement un refus d’une nouvelle alternance droite/gauche qui n’en finit plus, et qui ne fait rien changer.

Marine complète :

Je pense que les jeunes ont choisi de voter aussi massivement FN par absence de propositions réelles et concrètes des Républicains et du PS. Les jeunes sont la France de demain et nous avons besoin de certitudes. Je pense qu’à l’heure actuelle, malgré la faiblesse de certaines parties de son programme, le FN est le seul à offrir ceci, représenté par des leaders charismatiques, ce qui explique pour moi cette progression.

Pierre est en forme. Dans un premier temps, il voit dans le parti un espoir :

Le Front National nous donne un espoir, il nous dit que la France est belle et qu’on doit être fier d’être ce qu’on est. Il nous dit aussi qu’on peut se relever et faire quelque chose de notre vie.

On insiste : les explications sont plus concrètes, plus précises. Il se confie sur trois nouveaux éléments. Le premier ? La fin de “l’idéologie SOS Racisme qui n’a plus le même impact chez la génération Y, notamment du fait d’une contre éducation populaire que l’on trouve sur Internet (Soral/Dieudonné/Zemmour/etc.) et qui a permis de démystifier de nombreuses croyances auxquelles sont encore très attachés des gens qui ont grandi avec la télé”. Il précise : “En gros, YouTube est le fossoyeur du NPA”.

Le deuxième est d’ordre socio-économique :

La situation économique et sociale fait qu’un jeune de 25 ans qui ne sort pas d’une grande école et qui choppe un CDI relève de l’exploit. Il est désormais endetté et enchaîne les petits boulots ou les jobs sous payés et n’a droit à rien.

Le troisième et dernier ?

“Le goût de la transgression quand on est jeune, dans une société où voter FN est l’unique façon de choquer le bourgeois et ses parents” allié à une “recherche d’une transcendance à travers le retour aux racines chrétiennes interdites depuis 30 ans et l’amour de la France, également stigmatisé”.

Les “racines chrétiennes”, retrouver “une France”, la vraie : et si le vote des jeunes pour le Front National était avant tout un vote de repli sur soi ?