Jean* a été victime d’une bavure de la part de douaniers, personnes dépositaires de l’autorité publique. Il n’a pas oublié ce moment violent et humiliant, qui lui revient à l’esprit depuis l’affaire de l’agression et du viol présumé du jeune Théo Luhaka par des policiers à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Jean, aujourd’hui âgé de 35 ans, a accepté de nous raconter son histoire.
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L’histoire de Théo et de son orifice intime récemment pris pour cible par des policiers qui ne comptent en poids d’humanité que celui de leur matraque en caoutchouc a fait remonter à la surface une expérience moins douloureuse, mais pas moins traumatisante, que j’ai pu vivre au même âge.
Nous étions quatre jeunes dans une petite bagnole, une fille et trois garçons, et nous revenions d’un week-end passé dans le Nord, qui avait été ponctué par un concert à Roubaix. Ce matin-là, vers 10 heures, alors que je n’avais pas dormi, que j’étais passablement bourré/jouasse et que je tournais encore à la Kwak [bière belge], notre amie qui conduisait à jeun, et qui n’avait pas fait la fête avec nous la veille, fut sommée par deux douaniers de garer son véhicule sur le bas côté au péage de Rouen. J’avais un peu d’herbe sur moi et, après avoir menti, je finis par indiquer aux agents où cette herbe se trouvait : dans le coffre de la voiture et dans mon sac, en trois petits sachets, bien en évidence.
Je décidai de tout prendre pour ma gueule, pensant que cela simplifierait peut-être les choses. Branle-bas de combat, les agents se sont mis à me crier dessus, en me traitant de “sale drogué” et de “sale punk”. Oui, j’arborais à l’époque une crête, et j’avoue que ça n’a pas marqué des points en ma faveur. Bref, on avait acheté dix grammes d’herbe en Hollande deux jours avant et on avait copieusement entamé le paquet pendant trois jours. Mais bizarrement, les agents (qui pesèrent l’herbe on ne sait où ni comment) estimèrent qu’il y avait 16 grammes… Je commençai à bouillir… Ce n’était mathématiquement pas possible ! “On va peut-être en trouver d’autres…”, rajouta un troisième agent qui déboula de nulle part.
Ils retournèrent alors totalement notre voiture : bière vidée sur les tapis, paquets de chips neufs ouverts et écrasés… Nous regardions ça, hallucinés, assis sur le trottoir, mains menottées. Mes camarades avaient moins bu que moi et ils avaient un peu dormi, ils parvenaient donc à ronger leur frein, mais moi, je n’ai pu m’empêcher de faire remarquer aux douaniers que leur comportement était disproportionné et ridicule, que j’avais coopéré et qu’il n’y avait même pas 5 grammes d’herbe. L’un d’eux m’a alors chopé par le cou et m’a soulevé en me hurlant dessus. Il m’a secoué la tête, en me faisant atrocement mal et, quand je l’ai supplié d’arrêter, il m’a serré deux fois plus fort en me demandant si “ça allait mieux comme ça”.
Ndlr : La bavure est une faute lourde commise par des responsables de l’application de la loi. En France, il n’existe aucun chiffre officiel pour recenser le nombre de personnes blessées ou tuées dans le cadre d’une intervention de la police, de la gendarmerie ou d’autres personnes dépositaires de l’autorité publique.
Il existe en revanche des statistiques comptabilisant les violences faites aux forces de l’ordre. Selon un rapport intitulé “France. Des policiers au-dessus des lois”, publié en 2009 par l’ONG Amnesty International, les membres de forces de l’ordre qui abusent de leur pouvoir sont rarement punis en France.
La main en pince sur ma nuque, l’agent m’emmena vers les toilettes de l’aire d’autoroute. Son collègue le suivit et dit dans mon dos : “T’as de la vaseline, Jean-Michel ? – Non. À sec ! On va lui apprendre la vie à ce petit con !” À ce moment précis, c’était clair, je paniquais totalement. Quand ils ont refermé la porte à clé et m’ont demandé de me déshabiller avec un sourire pervers en coin, je me rappelle avoir crié et leur avoir demandé ce qu’ils comptaient faire de moi. Je souhaitais surtout qu’on m’entende au dehors mais, l’œil pétillant de jouissance, l’un deux m’a fait comprendre que c’était totalement vain. Je me suis déshabillé.
Un des deux m’a demandé de renifler mes pompes puis mes chaussettes. L’autre m’a dit que j’avais un bide d’alcoolique. Je me défendais en disant que j’avais le droit de boire et que ce n’était pas des flics ou des douaniers qui allaient me contredire sur ce point. Ça ne leur a pas plu. J’étais debout. Ils m’ont plaqué contre le mur, dos à eux, j’avais les bras en l’air et les jambes écartées. Je flippais mais je faisais aussi un peu le con en raison de mon état d’ébriété. “Allez connard, c’est bon, maintenant, tu vas prendre !”, m’a dit l’un d’eux. L’autre s’est marré avant de se placer derrière moi. Il s’est baissé et a regardé mes fesses avec une lampe. “Allez, tousse fort !” Là, je lui ai littéralement pété au visage. Les mecs m’ont traité de tous les noms. “Bah quoi, “pousse fort” vous avez dit, non ? Pas compris. Et si vous voulez m’enculer, sachez que le conduit est pas clean !” Ils étaient sonnés, l’humiliation avait changé de camp. Je me suis rhabillé et ils m’ont remis les menottes, en les serrant jusqu’au sang. Finalement, on a eu 200 euros d’amende à payer et une visite chez le procureur. On a ensuite pu repartir, choqués. J’ai bien sûr déposé plainte en rentrant, mais les gendarmes de ma ville se sont foutus de ma gueule, et il n’y eut jamais de suite…
Quand les policiers, les politiques ou tous ceux qui incarnent le pouvoir, au risque d’en abuser, se comportent comme ça, ils doivent être sanctionnés de la même façon qu’un autre citoyen, si ce n’est plus. Par principe. Moi, j’ai juste vécu une violence verbale et physique, et j’ai seulement pensé au viol parce que ces agents voulaient me faire peur. Mais le pauvre Théo, lui, il a vraiment subi ça. Un VIOL. Pas une simple violence déjà impardonnable… C’est une grosse nuance. C’est accablant. Que justice soit faite.
* Le prénom a été modifié