un enfant possédant un rythme de développement intellectuel très supérieur à celui normal de son âge, alors que son développement affectif et relationnel correspondent aux normes de son âge.
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Et le médecin confirme. Alors oui, vous étiez parfois jaloux de ce petit garçon qui lisait son livre au fond de la cour d’école. Vous l’appeliez “intello” et pensiez secrètement qu’il était bien chanceux d’avoir un cerveau aussi performant. Seulement il s’agit plus d’un syndrome et d’une affliction que d’un cadeau. Aujourd’hui Wyatt souffre encore et voulait le crier au monde. On l’a écouté.
“Je suis handicapé et on ne fait rien pour m’aider”
Je suis handicapé et on ne fait rien pour m’aider. Je me déplace sur mes deux jambes et il n’y a pas de petit macaron sur le pare-brise de ma voiture. Je suis de ceux qu’aucun quota ne protège. Mon handicap à moi est invisible. Tout est dans ma tête.
Comme environ 2 % de la population, je suis né avec un cerveau surefficient. Mes fonctionnements intellectuel et émotionnel sont différents. Mes sens, mes perceptions, mes émotions et toutes ces conneries cognitives sont exacerbées. Je vis les choses de manière plus intense, pour le meilleur et pour le pire. – Jusqu’ici tout va bien, t’es surdoué, de quoi tu te plains, connard ? – Je me plains parce que c’est l’enfer, mon pote.
Oui, j’ai eu beaucoup de chance à la grande loterie de la vie : santé, famille, amis, grandes études, Paris, France… Tout pour être heureux. Mais la vérité, c’est que les gens comme moi n’ont pas le droit de souffrir. Et encore moins de se plaindre. L’intelligence est un double mal : « elle fait souffrir et personne ne songe à la considérer comme une maladie. » (Martin Page, Comment je suis devenu stupide)
Si la plupart des adultes à haut potentiel vont très bien, environ 30 pour cent d’entre nous sombrent dans la partie handicapante de la chose. C’est ce qui m’est arrivé. Je vais vous raconter comment j’ai raté ma vie alors que j’avais tout pour réussir. Je vais vous parler de mon petit cadeau empoisonné.
Si nous sommes dans un bar, je suis capable de vous dire de quoi parlent la plupart des gens autour de nous. Je sais comment ils sont habillés, ce qu’ils boivent et combien d’entre eux portent des Stan Smith.
C’est au-dessus de 130 de QI que les problèmes de riche ont commencé. En fait, j’ai toujours senti qu’il y avait un problème. Un problème dans le monde, un problème avec les autres, un problème avec moi. Toujours en décalage, socialement inadapté, sentiment permanent d’être incompris ou de trop comprendre… Quelque chose ne tournait pas rond. Et c’est vrai putain, y’a pas grand chose qui tourne rond ici-bas !
Seulement, comme ils avaient tous l’air d’accord pour dire que tout était okay, comme ils avaient tous l’air contents, j’ai passé les vingt-cinq premières années de ma vie à me persuader que c’était moi le problème. Je n’osais douter de la sincérité et du bon sens de la planète entière. Ça aurait été trop grave ! Je m’en suis donc pris à moi même. Je me suis persuadé que j’étais fou. Et grandir dans cette certitude, c’est pas spécialement serein quand la base de votre handicap, c’est de pas pouvoir arrêter de gamberger.
“Je suis Jean-Claude Van Damme”
Un surdoué n’est pas quantitativement plus intelligent, non, il a une intelligence qualitativement différente. Ses neurones sont plus interconnectés. Il ne vit pas le monde de la même manière, son prisme est différent. Je ne fonctionne pas comme vous. Mon cerveau perçoit beaucoup (trop) d’informations et les traite de façon moins linéaire. C’est la pensée en arborescence. Je pense à un truc qui me fait penser à des trucs qui me font penser à trop de trucs.
Et tout ça va beaucoup trop vite pour l’exprimer à l’oral. Phrases amputées, flot de mots incohérent et changements de sujets intempestifs… J’ai l’air de complètement divaguer mais la vérité, c’est que je suis déjà loin. Vous ne voyez pas le rapport car vous ne faites pas le chemin à la même vitesse. Vous ne me comprenez pas. Vous me trouvez weird. Je suis dans mon monde, un peu artiste, un peu autiste, on sait pas trop. Je suis Jean Claude Van Damme. Pas de souci les mecs, j’ai l’habitude.
Mes sens sont exacerbés dans un joyeux bordel organique. Je sens, remarque et analyse tout en permanence. Chaque détail, tout le temps, avec tout le monde. Si nous sommes dans un bar, je suis capable de vous dire de quoi parlent la plupart des gens autour de nous. Je sais comment ils sont habillés, ce qu’ils boivent et combien d’entre eux portent des Stan Smith. C’est comme un sixième sens. C’est très envahissant.
Je ressens vos émotions et m’en imprègne sans pouvoir m’en détacher. Je suis hyperempathique. Je n’ai pas besoin de vous observer très longtemps pour savoir ce que vous pensez, et je sais d’ores et déjà que vous ne m’aimez pas. Je le sens gros comme une maison. Je viens de vous dire que j’avais un sixième sens. Vous pensez que je suis un prétentieux égocentrique capable de se servir de sa prétendue intelligence comme excuse toute sa vie pour se plaindre de ses problèmes de riche sur un blog parisien. Oui, je sais, j’entends ça tout le temps. Mais vous vous trompez.
« Ceux qui pensent que l’intelligence a quelque noblesse n’en ont certainement pas assez pour se rendre compte que ce n’est qu’une malédiction. » (Martin Page).
Comment aller bien dans un monde malade ?
Nos petits cerveaux surmenés souffrent d’un sens de la morale plus développé que la moyenne, voire implacable. Les psychiatres relatent le cas de surdoués SDF, par refus catégorique de transiger sur leurs valeurs, donc de s’intégrer à la société. Dans mon cas, c’est très physique : une situation me fout la gerbe ou pas. C’est ma petite échelle de valeur. Faire des concessions m’est impossible, transiger me dégoute. Nous ne supportons pas l’injustice, pour nous comme pour les autres. Ne pas la combattre, c’est sombrer dans une culpabilité harcelante.
« Tu n’as pas à porter le poids du monde sur tes épaules » , « Arrête de mettre des pierres dans ton sac » , « On s’en bas les couilles, le tsunami c’est ce soir à la Concrete »… Je sais que je devrais voir le verre à moitié plein, mais les mecs au Népal ou en Haïti, ils le voient comment le verre ? Avec une olive et du Martini ? Connard. Assumez au moins d’en avoir rien à taper. Assumez d’être en solde. Vous êtes Charlie, okay, mais chaque jour, chaque nuit, certains se battent pendant que vous vendez âmes et sens critique contre un salaire, des fringues et des promotions. Nous portons votre croix. Un peu de respect bordel.
Je rêve de construire ma vie sans contrainte mais je me sens profondément coupable quand j’essaie d’avancer dans mon seul intérêt. Et voilà, nous y sommes : la culpabilité. Elle nous ronge. À la moindre incartade, c’est l’escalade de la violence interne. Vous voulez un petit exemple de bullshit de l’angoisse ? Je ne supporte pas l’injustice mais je suis né plus intelligent que la moyenne. Il n’y a pas plus injuste que ça donc je m’en veux. Je suis né en Occident, je m’en veux. J’ai un robinet pour boire de l’eau, je m’en veux. C’est con mais c’est comme ça. J’y peux rien et j’en souffre.
Comment j’ai tenu toutes ces années ? Comme pas mal de gosses de ma génération : je tournais la tête ailleurs. L’alcool, l’écriture et la drogue m’ont permis de tenir jusqu’à 25 ans sans trop me poser de questions. Avec le recul, c’était surtout pour fuir les réponses. Les paradis artificiels m’aidaient à combler le vide ou à évacuer le trop plein. À stagner et accepter de stagner, et désolé les mecs, mais surtout à me mettre au niveau. C’était mon refuge, ma petite cabane de couettes, mes dix piges de coma éthylique. S’abrutir pour fuir l’absurdité du monde et m’en protéger.
Et puis, j’ai eu la chance d’avoir les mots. J’ai toujours écouté beaucoup de rap, qui comme la poésie en son temps est un moyen d’expression très prisé des surdoués. Ecouter mes contemporains me donnait un peu d’espoir : oui, il existe des gens comme moi ! Des gens qui ressentent les mêmes choses et les écrivent noir sur blanc. Nous avons les mêmes tempêtes dans le crâne, les mêmes turbulences affectives, le même goût du dégoût. Avec ces mecs, nous nous connaissons bien mieux que tous les humains que je fréquente au quotidien. Nous sommes de la même race. Nous ne sommes pas seuls.
Le côté obscur de l’intelligence
Au fil des années, il est devenu de plus en plus difficile d’entrer en contact avec les autres. Que dois-je dire, comment me comporter, comment réussir à intégrer normes et conventions sociales ? Comment parler de rien pendant des heures en faisant semblant que c’est cool ? Ma famille et quelques amis me rassurent. Heureusement qu’il y a ces personnes, aimantes, ouvertes et compréhensives. Le reste du monde rejette ce que nous sommes, par ignorance, par égo, par peur ou tout simplement par méchanceté.
Alors on commence à s’isoler. Au début, c’est pour essayer, juste une fois. Mais malgré notre humanisme de nature, on préfère souvent se blinder la carapace et renoncer à nos rapports sociaux. A l’école, au travail ou en société, l’enfer c’est les autres et tout est beaucoup plus facile comme ça, ouais. De toute façon, nous sommes trop en décalage avec ce monde qui ne nous comprends pas et qui ne veut pas vraiment de nous. À 25 ans, j’ai dû choisir entre la psychiatrie et le suicide. J’ai pris la pilule rouge.
Vous êtes surdoué. Cela implique un mode de fonctionnement complètement différent. Vous vous êtes construit en ignorant cette donnée fondamentale de votre identité. Il va falloir réparer tout ça. Vous me devez 100 euros.
Je me suis senti un peu moins seul ce jour-là. J’ai appris que oui, effectivement, je n’étais pas comme les autres même si j’avais toujours voulu l’être. Je voulais fuir cette différence flippante et inconnue. Je voulais me rassurer. J’ai appris que si j’avais suivi les précieux conseils de ma mère (consulter des psychiatres dès l’âge de 10 ans), j’irais sans doute bien aujourd’hui. J’aurais apprivoisé le truc. Je l’aurais accepté. Car en gros, plus l’âge du diagnostic est reculé, plus c’est la merde. C’est le côté obscur de l’intelligence. Celui dont personne ne parle. Celui dont on ne prononce pas le nom. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il déclenche méfiance et animosité.
Je crois que je ne peux plus aimer
Une maladie à la mode
Aujourd’hui, j’ai compris que même si j’avais sans doute eu raison de me battre toute ma vie contre les fils de pute, ça ne m’avait jamais rendu heureux. Il y en aura toujours, c’est le plus vieux métier du monde. S’intégrer ? C’est faire le deuil de nos idéaux. C’est réussir à se détacher. C’est se résigner, oublier ses combats pour plus saigner. J’ai compris que je devrais aller dans le sens d’un monde qui ne va pas dans le bon sens. Redoubler d’efforts pour m’enfoncer dans l’erreur. C’est un peu l’Albatros de Baudelaire : voler seul ou perdre de sa hauteur. Cacher ses grandes ailes blanches pour traîner avec les pingouins. Accepter la solitude qui nous traque, nous ronge et nous détruit.
J’ai préféré quitter leur monde. M’y impliquer le moins possible, consterné par l’individualisme qui n’a d’égal que votre bonne foi quand vous clamez le contraire. Après de longues études brillantes et une série de tentatives d’intégration ratées, j’ai choisi un job minable où la question de l’intégrité intellectuelle ne se pose pas. Je me lève tous les matins à 7h pour décharger des palettes dans une chambre froide. Chaque jour, je paie le prix de mes valeurs pour pouvoir me regarder dans le miroir. Mais vous savez quoi ? Ça, ça n’a pas de prix.
Et parce qu’on aime tous les happy endings, parlons du verre à moitié plein. La douance est une maladie à la mode, elle a plein d’avantages : nous sommes créatifs, sensibles et passionnés. Nous manions les mots, l’humour, le charme et la justesse d’analyse. Nous voulons profondément faire le bien. Toutes ces choses font aussi partie de notre nature et de notre différence. Alors s’il vous plait, acceptez la. Faites un effort de compréhension.
Aidez-nous à mettre notre formidable potentiel au service de l’humanité avant qu’il ne soit trop tard. Nous ne vous demandons que ça.
NB : Si vous vous reconnaissez dans ce texte, je vous conseille fortement de lire la bible en la matière, Trop intelligent pour être heureux de Jeanne Siaud-Facchin et d’arrêter de claquer des fortunes à la Nuba en prévision de votre budget consultation.
Les illustrations sont la propriété d’Emily Fluen. N’hésitez pas à découvrir le reste de son travail par ici.