Parce que l’homme est victime d’amnésie infantile, il n’a pas de souvenir de lui bébé, avant 2 ans. Mais pourquoi au juste ? Explications.
À voir aussi sur Konbini
Que vous ayez une mémoire d’éléphant ou non, il y a quelque chose qui n’est, à coup sûr, pas inscrit dans votre mémoire : votre vie de bébé. Si, si, vous avez beau y réfléchir, pas de souvenirs de vos siestes prolongées, de vos premiers pas ni même de la première fois ou vous avez dit le mot “gâteau”. A moins que ces souvenirs soient enregistrés sur de vieilles cassettes, CDs ou autres supports, bien sûr… Mais alors, pourquoi ne se souvient-on pas de notre vie avant 2 ans?
Sûrement pas parce que bébé n’a pas de bande pour enregistrer les choses. Ou du moins de neurones, car pour bien comprendre comment toute cette boutique fonctionne, il faut savoir que les souvenirs sont stockés dans des groupes de neurones partout dans le cerveau. Ces neurones connectés entre eux sont un peu comme des ordinateurs en réseau. Dès que l’un d’eux est activé (par un stimuli visuel, olfactif par exemple), le souvenir revient en tête. Magique !
Seconde hypothèse : parce que le cerveau de bébé est un truc mou en formation, il ne saurait pas encore mémoriser. Mais là encore, raté. Bébé sait déjà faire fonctionner sa mémoire, c’est même la folie dans le crâne des bambins : l’activité y est intense. Et pour cause, à la naissance, tout est fabriqué en surnombre.
Tout, c’est-à-dire les neurones et les liens entre eux, qu’on appelle contacts dendritiques et synapses, ainsi que les autres cellules cérébrales. “Et ce, de façon exubérante pendant les premières années postnatales. Puis les liens les moins utilisés vont être éliminés pour former des réseaux cérébraux de plus en plus efficaces. Ce processus de raffinement des connexions est un des moyens essentiels d’apprentissage du cerveau”, précise Jessica Dubois, dans le livre C3RV34U, écho à l’exposition de la Cité des Sciences et de l’industrie.
Bébé laisse de côté les routes secondaires
Un peu paradoxalement, c’est cette neurogenèse qui est en partie responsable de notre amnésie infantile. “On ne perd pas la mémoire parce que de nouveaux neurones se forment et tuent les anciens. Ce qui nous conduit à oublier, c’est plutôt le fait que les nouveaux neurones forment des connexions synaptiques qui surpassent celles existantes”, explique Katherine Goold Akers, neuropsychologue à l’université de Wayne State (Michigan).
Donc bébé, une fois qu’il a des autoroutes dans la tête pour faire voyager ses informations et ses souvenirs, il laisse de côté les routes secondaires qu’il a fabriquées au début de sa vie. On fabrique de nouveaux neurones pour oublier et pour mieux apprendre. “L’oubli est un mécanisme tout à fait important”, expose Marion Noulhiane, chercheuse en neurosciences au CEA Saclay. La nuit lors du sommeil, votre cerveau fait le tri. Il se débarrasse de toxines accumulées, dont certaines seraient d’ailleurs responsables de maladie d’Alzeihmer.
L’hippocampe, cause partielle de l’amnésie infantile
Certains chercheurs ont tenté de stimuler (ou d’atténuer) la neurogenèse de jeunes animaux. Cela ne suffit pas à ramener des souvenirs. Et ce n’est pas surprenant : la neurogenèse n’est pas la cause principale dont vous parleraient immédiatement des chercheurs. Certes, bébé à des neurones, mais son enregistreur de souvenir, l’hippocampe, n’est pas encore bien mature. “Pour récupérer des souvenirs, il faut que le développement de l’hippocampe soit achevé. Cette partie du cerveau accroche le souvenir à des précisions spatio-temporelles. Elle indique où et quand tel ou tel événement est arrivé”, explique Marion Noulhiane.
Impossible, donc,de récupérer des souvenirs de la période de nous bambins, puisqu’ils ne sont pas là, que l’hippocampe n’a pas été capable d’appuyer sur le bouton “enregistrer”. C’est seulement vers 6 ans que l’enfant commence à avoir des souvenirs : c’est l’émergence. Et à 10 ans, là plus de souci.
Les souvenirs marquants, exceptions à la règle
Il existe toutefois une exception à la règle : les souvenirs marquants. On se souvient de la naissance de son frère, d’un accident de voiture, de la fois où on a joué les Indiana Jones et qu’on s’est royalement ouvert le genou. “C’est dû au souvenir en lui-même, éclaire Marion Noulhiane. S’il fait intervenir des sens, comme Proust et sa madeleine, ou est traumatisant, il persistera, puisqu’associé à d’autres parties du cerveau que juste l’hippocampe.”
La principale zone responsable se nomme amygdales. Pas comme les organes que vous avez au fond de la bouche et qu’on vous retire lorsque vous enchaînez les angines. Non, les amygdales de votre cerveau : ces deux petites régions sont situées de part et d’autre, de manière symétrique, en amont de l’hippocampe.
Les amygdales contrôlent les hormones et autres molécules liées au stress et à l’humeur (dopamine, sérotonine, adrénaline, noradrénaline) et sont essentielles pour décoder les émotions. Leur position dans le cerveau leur permet d’être en lien étroit avec l’hippocampe. Résultat si c’est l’hippocampe qui vous rappelle que vous avez peur de quelque chose, ce sont les amygdales qui accélèrent votre cœur, vous donnent les mains moites, etc.
Et la psychanalyse, alors ?
Dans un article consacré à l’amnésie infantile, Patrick Perret, directeur du département de psychologie développementale. à l’université d’Aix Marseille, ramène la question à Freud. Le philosophe était l’un des premiers à penser cette amnésie comme non pas un fait naturel, mais un problème à résoudre. Comme si, cette absence de mémoire était la résultante du refoulement de désirs œdipiens. Les dernières recherches, dont celles de Katherine Ackers ou celles de Paul Franckland et leurs équipes, prouvent que non, l’amnésie infantile est bel et bien liée à l’hippocampe, c’est à dire d’ordre neurobiologique,
Évidemment, l’amnésie infantile ne touche que la mémoire à long terme liée à notre autobiographie, la mémoire dite explicite. Et heureusement ! Si l’autre pan de notre mémoire à long terme, la mémoire dite implicite, était touchée de la même sorte, on ne se souviendrait plus de comment marcher, parler. Bref, on redeviendrait une version bêta de nous-mêmes tous les matins au réveil. L’angoisse !