Si vous n’avez rien compris à l’affaire MoDem, voici le résumé

Si vous n’avez rien compris à l’affaire MoDem, voici le résumé

Un collaborateur sort du bois

Le matin du mercredi 7 juin, Jean-Luc Bennahmias se réveille, allume sa radio… et s’étrangle avec sa tartine. L’un de ses anciens collaborateurs l’accuse publiquement de l’avoir rémunéré pour un emploi fictif, avec l’argent du Parlement européen. En 2011, Jean-Luc Bennahmias est eurodéputé sous la bannière du MoDem. Ce collaborateur, qui souhaite aujourd’hui garder l’anonymat, vient de se faire embaucher pour bosser au siège du parti à Paris. Il affirme que la direction lui propose dès le lendemain de son arrivée de modifier son contrat : il serait devenu un collaborateur à temps partiel de Jean-Luc Bennahmias, et aurait reçu la moitié de son salaire de la part du Parlement européen. Cependant, il aurait continué de travailler pour le compte du MoDem à Paris sans que son job n’ait un lien avec l’Union Européenne.
Le collaborateur affirme ainsi n’avoir jamais bossé pour Jean-Luc Bennahmias, n’avoir jamais mis les pieds dans sa circonscription d’eurodéputé à Marseille et encore moins au Parlement européen. Les contacts avec son “patron” sont donc minimes, et il dit l’avoir croisé “de temps en temps […] comme les autres eurodéputés”, écrit Le Parisien. En gros, il accuse le MoDem d’avoir tapé dans les caisses de l’Union européenne pour rémunérer son activité à Paris, livrant au passage un détail croustillant : une demande de Jean-Luc Bennahmias, lui intimant de lui envoyer une signature vierge par mail. Afin de la glisser en bas d’un contrat d’assistant parlementaire européen ? Le collaborateur affirme n’avoir jamais vu ce contrat, tout étant méticuleusement verrouillé.
Jean-Luc Bennahmias dément en bloc. Dans une interview au JDD, l’ex-député européen argue que le collaborateur gérait son “site Internet”, diffusait ses “communiqués” et s’occupait de ses “relations avec la presse nationale”. Cependant, Corinne Le Page, cofondatrice et ex-vice-présidente du MoDem, affirme que cette pratique a été érigée en système par le parti de François Bayrou, et qu’il est presque systématiquement proposé aux eurodéputés d’embaucher des collaborateurs du parti pour payer leurs salaires avec de l’argent européen. Elle déclare ainsi sur France Info :

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“Je me souviens très bien qu’on m’avait demandé un assistant, et j’avais refusé en disant que c’était irrégulier. […] Je leur avais dit qu’en revanche, s’ils voulaient qu’un de mes assistants travaille sur un sujet européen pour le parti, c’était tout à fait possible. Ils ne me l’ont jamais demandé. […] Je pense que mes cinq collègues députés MoDem ont probablement acquiescé à la demande qui a été faite.”

Les accusations d’une eurodéputée Front national

L’histoire ne manque pas d’ironie : c’est une eurodéputée FN, parti lui-même mis en cause dans une affaire d’exploitation à grande échelle des fonds européens, qui a en grande partie alerté la justice française sur de possibles emplois fictifs au MoDem. Marielle de Sarnez, numéro deux du parti et actuelle ministre des Affaires européennes, est ainsi accusée d’avoir rémunéré son assistante parisienne grâce à l’argent du Parlement européen.
Flairant l’anguille sous roche, le parquet a donc décidé de lancer une enquête préliminaire, qui vise aussi 18 autres eurodéputés français issus de partis différents, pour abus de confiance et recel d’abus de confiance. Sylvie Goulard, actuelle ministre des Armées, fait ainsi partie des personnes concernées. De son côté, Marielle de Sarnez a porté plainte pour “dénonciation calomnieuse”. Mais le mal est fait : la justice est désormais sur le dos du MoDem, et compte bien mettre en lumière les pratiques financières suspectes du parti.

Le drôle de coup de fil de François Bayrou à Radio France 

Il semble qu’aujourd’hui en France quand un ministre n’aime pas la tournure que prend une enquête journalistique, il ne se gêne pas pour appeler la rédaction et leur demander d’arrêter de faire leur job. Car François Bayrou, ministre de la Justice, est lui aussi mis en cause dans ce qu’on peut désormais appeler l’affaire MoDem : les deux tiers du salaire de sa secrétaire personnelle auraient été réglés grâce à de l’argent européen. Encore une fois, c’est Marielle de Sarnez qui aurait servi d’entremetteuse en présentant la secrétaire (parisienne) de Bayrou comme sa propre assistante parlementaire (européenne).
Deux jours avant que France Info ne révèle ce système présumé de financement illégal des activités du parti, François Bayrou ne s’est donc pas gêné pour appeler en personne le directeur de la section investigation de la radio publique, Jacques Monin. On imagine la surprise du journaliste devant ce coup de pression venu du ministre de la Justice, qu’il décrit en ces termes :

“Le garde des Sceaux ajoute qu’il étudie, avec ses avocats, la possibilité d’une qualification de harcèlement. Je lui réponds que le harcèlement, c’est une qualification pénale, donc que je peux interpréter son coup de fil comme une pression sur moi.”

Une véritable tempête médiatique se déchaîne alors sur ce ministre qui fait visiblement peu de cas de l’indépendance de la presse, pilier essentiel de toute démocratie qui se respecte, alors même qu’il porte une loi sur la moralisation de la vie politique. Dans la tourmente, François Bayrou sort une justification qui rentrera probablement au panthéon des pires phrases jamais sorties pour rattraper une bourde : “Ce n’est pas le ministre de la Justice ni le président du MoDem qui a appelé, c’est le citoyen.” Comme si tous les citoyens pouvaient décrocher leur téléphone et mettre la pression sur le responsable d’un grand média, qui plus est public.
Face à l’indéfendable, le Premier ministre Édouard Philippe recadre sévèrement son garde des Sceaux et lui rappelle que quand on est ministre, on ne peut plus réagir comme quand on est un simple citoyen”. Quelques jours plus tard, il lui renouvelle finalement sa confiance. Pour combien de temps ? Car François Bayrou est plus que jamais sur un siège éjectable.
Primo, parce que ses errements judiciaires entachent un peu plus un gouvernement déjà fortement fragilisé par l’affaire Ferrand. Deuzio parce que sur un plan purement politique, le ministre de la Justice n’est plus indispensable. Il avait négocié son ministère contre le soutien de son groupe parlementaire MoDem à la République en marche (LREM). Mais depuis, LREM a explosé tous les scores au premier tour des législatives et devrait obtenir une majorité parlementaire plus que confortable, avec ou sans le MoDem. Plus rien ne retient donc le gouvernement pour se séparer de François Bayrou, à part peut-être le souci de ne pas faire preuve d’ingratitude.