C’est prouvé, vous considérez inconsciemment la SF comme un genre littéraire inférieur

C’est prouvé, vous considérez inconsciemment la SF comme un genre littéraire inférieur

Une étude publiée le 23 novembre prouve que lire une histoire placée dans un contexte de science-fiction nous pousse à y accorder moins de valeur.

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Isaac Asimov, Philip K. Dick, Kurt Vonnegut, Harlan Ellison, Arthur C. Clarke, William Gibson, Ray Bradbury, Neal Stephenson, George Orwell, Aldous Huxley, Neil Gaiman, René Barjavel, Alain Damasio (soyons un peu chauvins, après tout)… Depuis l’invention du genre par les pionniers Jules Verne avec De la Terre à la Lune (1865) et H.G. Wells avec La Machine à explorer le temps (1895), la science-fiction s’est constitué un solide panthéon d’œuvres et d’auteurs suffisamment brillants pour regarder dans les yeux n’importe quel classique de la littérature de fiction, mais rien n’y fait, la SF est toujours une catégorie bâtarde et mal-aimée du livre.

On pourrait pourtant croire que plonger son esprit dans les méandres de la vitesse luminique, du paradoxe temporel ou de l’éthique de l’intelligence artificielle a de quoi stimuler le cerveau et provoquer, sinon la transe, au moins la concentration du lecteur, mais non : la SF souffre d’un biais cognitif inconscient, ancré en nous, qui nous fait lire en dilettante et balayer d’un revers de mépris la qualité intrinsèque des œuvres, si grandioses soient-elles.

Modifier le contexte, étudier la réponse du lecteur

Ce n’est pas un avis personnel, c’est une preuve scientifique, rapportée le 23 novembre par le Guardian après publication d’une étude de deux linguistes de l’université Washington and Lee (Lexington, États-Unis), Chris Gavaler et Dan Johnson, qui ont tenté de mesurer l’influence du contexte de genre sur l’opinion que les lecteurs ont d’un texte littéraire – en clair, prenez une trame toute simple, placez-la sur une planète étrange peuplée de droïdes lugubres et d’aliens à tentacules, et observez les différences dans le comportement de lecture.

Pour mener à bien leur étude, intitulée “The Genre Effect”, les deux chercheurs ont donc soumis à 150 lecteurs un texte de 1 000 mots relatant une histoire plutôt banale : un type entre dans un lieu de restauration publique et interagit avec ses voisins, après que son opinion négative de toute la communauté eut été rendue publique. Dans la première version du texte, notre héros entre dans un diner après que son article dans le canard du coin a été publié. Dans la version SF, il entre dans la cambuse d’une station spatiale peuplée d’humains, d’aliens et de robots. Après leur lecture, les sujets de l’étude étaient interrogés sur l’empathie ressentie vis-à-vis du héros et les efforts déployés pour comprendre sa psychologie.

Lost in perception

Selon les chercheurs, les deux textes sont presque identiques, à l’exception de quelques mots de “création de contexte” : “porte” devient par exemple “sas”. En théorie, expliquent les chercheurs au Guardian, une si faible distorsion n’aurait pas dû influer sur la capacité du lecteur à reconnaître l’état mental du personnage, un processus cognitif que la psychologie désigne par la “théorie de l’esprit”. Ici, cependant, les résultats étaient clairs : “Les lecteurs ont perçu le texte de science-fiction comme possédant une qualité littéraire inférieure”, écrivent les chercheurs.

Mais ce n’est pas tout, rapporte le Guardian : “En comparaison aux lecteurs de la trame réaliste, les lecteurs de science-fiction rapportent des niveaux de ‘transport’, d’expérience et d’empathie moins élevés, ainsi que de plus grands efforts à comprendre l’univers de l’histoire, mais moins d’efforts à comprendre les esprits des personnages. Les lecteurs de science-fiction ont généralement obtenu des scores moins élevés en compréhension générale. […]” Pour résumer, deux trois mots de SF dans un texte suffisent à ce que vous le dédaigniez. Ici, la forme prévaut sur le fond.

Attention à ne pas comprendre les résultats de travers : non, lire de la SF ne vous pousse pas à lire de manière désintéressée et inattentive ; c’est vous, et votre subconscient plein de sales petits préjugés, qui cessez de respecter une œuvre littéraire dès qu’elle évoque des espèces extraterrestres, des portails temporels ou des conflits cybernétiques (je vous vois, et je suis sûr que vous avez levé les yeux à cette énumération de concepts). Comme le résume Chris Gavaler, “si vous êtes assez stupides pour être biaisé vis-à-vis de la SF, vous la lirez bêtement”. Un biais cognitif surprenant, de l’aveu même des chercheurs, qui ne s’aventurent pas à en examiner l’origine.

En revanche, Chris Gavaler et Dan Johnson ne comptent pas s’arrêter là et souhaitent explorer l’influence d’autres types de biais cognitifs en littérature via des “marqueurs de genre”, comme affubler un personnage d’un chapeau de cow-boy ou d’une baguette de sorcière. Pas de raison, en effet, que la SF soit le seul genre à souffrir de cette distorsion. Et si vous en êtes atteint, vraiment, je vous plains. Ne paniquez pas, et gardez votre serviette près de vous.