Voyage en “cyberpsychologie” où l’on croisera honte, culpabilité et animisme.
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Dans une interview donnée au Monde, le psychiatre, psychologue et fin analyste de nos rapports aux nouvelles technologies, Serge Tisseron, évoque les transformations psychologiques que pourrait induire l’apparition des robots vraiment intelligents.
Nous avons condensé et synthétisé cette interview éclairante (à lire, bien entendu !) en 7 points. Pour ne pas dénaturer le propos de l’interview du Monde, nous avons ajouté nos commentaires, réflexion, rebonds et références made in Konbini.
L’analyse complète de ce qui pourrait nous attendre est à retrouver dans son dernier livre, Petit traité de cyber-psychologie, paru aux Éditions du Pommier.
1. L’impatience
Nous allons devenir encore plus intolérants à l’attente. Cela peut concerner les objets (si les fameux drones à livraison arrivent, on voudra être livrés encore plus rapidement) ou même la reconnaissance, qui pourra être fournie beaucoup plus vite par un robot que par un humain (qui, Dieu sait, rechigne longtemps avant de faire des compliments).
2. Une nouvelle solitude
La solitude ne sera plus vraiment la même. Les chatbots nous inciteront en permanence à parler et à nous parler à nous-même en nous posant des questions toujours plus raffinées. Dès lors, pourra-t-on dire que nous sommes seuls ?
[K] : C’est d’ailleurs là qu’on atteint le point Her : quand Joachim Phoenix drague et se fait draguer par la voix de Scarlett Johansson, est-il seul ou pas seul ? Compliqué…
3. La biographie redessinée
L’intelligence artificielle pourrait aussi redéfinir notre biographie et donc modifier notre mémoire subjective.
[K] Exemple : les smartphones classent déjà nos photos par ordre chronologique et marquent certains moments forts qui resteront plus gravés que d’autres. On peut très bien imaginer que d’autres éléments soient agencés chronologiquement, comme nos déplacements, des conversations téléphoniques importantes ou des moments forts détectés par l’appareil photo de notre smartphone, bientôt capable de reconnaître nos émotions.
Ce coup-ci, on atteint le point Black Mirror, saison 1 épisode 3, où un implant filme en permanence la vie de ceux qui le portent. Tout est agencé et accessible à tout moment.
4. Adieu le GPS interne
Notre perception de l’espace pourrait prendre un coup. Les GPS toujours plus sophistiqués nous incitent à aller d’un point A à un point B sans jamais se concentrer sur les intermédiaires.
[K] D’ailleurs, des études récentes suggèrent que les GPS nous font perdre notre sens de l’orientation et faisaient baisser l’activité de l’hippocampe et du cortex préfrontal. Et ce futur est approche : on apprenait très récemment que Facebook était en train de créer une IA capable de nous indiquer les directions à suivre, sans utiliser le GPS.
5. La honte
Les machines seront de plus en plus compétentes et pourraient déclencher des complexes d’infériorité chez les humains. Nous serons plus consciences de notre “incomplétude humaine”, qui pourrait déclencher un sentiment de honte et une confiance aveugle.
[K] Dans son dernier livre, Serge Tisseron continue sur son analyse philosophique et reprend, à son compte, l’expression de “honte prométhéenne” (nous ne serons plus les techniciens ou penseurs supérieurs et tout-puissants que nous croyions être). À ce propos, nous avions déjà parlé des sentiments de ce registre qu’avait ressenti le champion de Go quand il s’était fait battre par AlphaGo.
6. Culpabilité et non culpabilité
D’un côté, les robots pourraient affermir notre sentiment de culpabilité en nous disant toujours ce que nous devons faire bien (comme “attachez votre ceinture” dans une voiture autonome), et nous sermonner quand nous le faisons mal. D’un autre côté, les robots pourraient nous délester d’actions qui nous font nous sentir coupables. Exemple le plus couramment cité : les drones tueurs.
7. L’animisme
Le retour en force de l'”animisme” : comme dans certaines civilisations et cultures traditionnelles, nous pourrions accorder un caractère humain à ce qui ne l’est pas et cela pourrait créer des attachements affectifs excessifs. On parle aussi de “dissonance cognitive”.
[K] En gros, les robots pourraient devenir des super doudous pour adultes. Si l’on pousse ça au paroxysme, on peut faire un lien avec la “digisexualité“.
Le twist
Si l’on a beaucoup parlé des humains, Serge Tisseron estime aussi qu’il faudra également analyser la psychologie des machines qui, elles aussi, auront leurs caractères et comportements propres.