1/ C’est quoi une “salle de shoot” ?
Pour commencer, il faut savoir que “salle de shoot” est un nom originellement utilisé par ses détracteurs, mais qui a fini par s’imposer. Les institutions préfèrent utiliser les termes “site d’injection supervisé”, “local d’injection” ou encore “salles de consommation de drogues à moindre risque” (SCMR).
La SCMR, c’est un lieu où les toxicomanes peuvent s’injecter par voies intraveineuses des substances illicites dans des conditions d’hygiène optimales, sous la surveillance d’un personnel formé : des personnels des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques chez les usagers de drogue (CAARUD, voir plus loin), équipes issues du secteur de la santé comme du corps médico-social. On peut y trouver un matériel stérile pour s’injecter (seringues…), mais aucune drogue ne peut y être fournie.
Par sa nature même, la “salle de shoot” est un sujet clivant. Ses partisans mettent en avant la réduction des risques (l’échange de seringues, notamment) pouvant entraîner l’overdose, l’amélioration de l’accès aux soins et le suivi des toxicomanes les plus marginalisés, ou encore la limitation de la transmission des hépatites et du VIH. Mais ses opposants dénoncent une promotion des drogues qu’ils considèrent comme institutionnalisée et craignent les comportements à risque dans les quartiers aux abords de ces centres.
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2/ Pour qui ?
Les salles de shoot sont destinées à “Des gens qui ont disparu des radars de notre société” et échappent à tous les dispositifs existants, selon la présidente PS de la commission des Affaires sociales Catherine Lemorton, pharmacienne, et se targuant de “15 ans d’expérience dans un réseau de réduction des risques à Toulouse”. En gros, les toxicomanes dépendants à une drogue dure qui s’injecte par voie intraveineuse. Objectif : reclasser ces personnes souvent marginalisées, leur offrir des conditions d’hygiène optimales, et organiser leur suivi.
Ils seraient plus de 80 000 usagers de drogue par voie intraveineuse en France selon Marisol Touraine. Une centaine d’entre eux mourraient par overdose chaque année.
3/ Combien ça coûte ?
Selon la ministre de la Santé Marisol Touraine, qui se base sur le projet d’expérimentation parisien, le coût de ces salles est estimé à environ 800 000 euros par an. Par comparaison, l’État consacre 388 millions d’euros par an à la prévention et à la lutte contre les addictions.
4/ Quels résultats ?
À l’Assemblée, le débat s’est principalement articulé autour de l’idéologie. Or, selon certains praticiens, comme Jean-Pierre Couteron, psychologue et président de la Fédération Addiction, c’est une arme efficace pour empêcher les overdoses… et même amener le toxicomane sur la voie du sevrage. Interrogé par l’Express en mars 2014, il déclarait : “Le Centre d’excellence pour le VIH-sida de Colombie britannique a mené une étude sur la salle d’injections supervisées de Vancouver: elle montre une augmentation des demandes de sevrages et une chute des surdoses mortelles”.
En Espagne, le nombre de morts par overdose est passé de 1 833 en 1991 à 773 en 2008 d’après l’ONG International Drug Policy Consortium (IDPC). Toujours selon l’IDPC, en Allemagne, alors que les centres accueillent 80% d’accros à l’héroïne, dont la surconsommation peut être fatale, aucune mort par overdose n’a été enregistrée depuis 1994.
Sauf que sur ce sujet, le consensus n’existe pas et d’autres avis se font entendre. Joséphine Baxter, vice-présidente de la Fédération mondiale contre les drogues, ne serait sans doute pas d’accord avec le docteur Couteron : selon elle, “elles entretiennent la dépendance aux drogues au lieu d’aider les gens à s’en débarrasser”.
5/ Où les installer ?
6/ Des antécédents ?
Oui, mais pas en France. Si l’idée a commencé à séduire plusieurs municipalités dès 2010 selon Libération, “le coup de frein du Conseil d’État en 2013 a été dévastateur” pour la députée PS Catherine Lemorton. Pourtant, des études existent : les associations Aides et Médecins du Monde, avec l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et le financement de l’Agence Nationale de Recherches sur le Sida et les hépatites (ANRS) a expérimenté en 2014 le dispositif Aerli (Accompagnement et éducation aux risques liés à l’injection).
Cette enquête, menée dans des CAARUD (structures associatives déjà existantes, prodiguant prévention et matériel stérile) auprès de 113 toxicomanes, portait sur les habitudes et les pratiques d’injection. Les auteurs de l’étude ont constaté une baisse de 41% des complications lors de l’injection ainsi qu’une diminution de 43% des pratiques à risques de transmission du virus de l’hépatite (VHC).
7/ Et ailleurs, ça fonctionne ?
Les salles de consommation de drogues à moindre risque sont une idée répandue ailleurs, surtout en Europe : on estime que 90 salles existent dans 8 pays, dont 80 en Europe. En 1986, déjà, ouvrait la première d’entre elles à Berne, en Suisse. Médiapart héberge en accès gratuit sur son site un reportage photo de Mehdi Chebil au sein de cette structure historique. Basée sur sa politique des “quatre piliers” (prévention, thérapie, répression et régulation du marché, ainsi que réduction des risques, la Confédération en a depuis ouvert une douzaine. Selon France TV Info, l’une d’entre elles a fermé en 2011 à Bienne, dans le canton de Berne : selon la Tribune de Genève, les cocaïnomanes ont peu à peu remplacé les héroïnomanes, rendant caduque la structure.
Des SCMR existent également en Espagne (7 centres dans 4 villes), en Allemagne (26 dans 17 villes), aux Pays-Bas (37 dans 25 villes) et au Danemark, qui a voté en 2012 l’ouverture de centres de consommation de drogue.
Dans un reportage de l’AFP pour l’Obs, le journaliste décrit le SCMR de Copenhague comme “propre”, mais dont “l’air a des relents bizarres” et où “du sang gicle sur le sol au moment où un toxico tente de se piquer”. On a envie de faire confiance au directeur du centre lorsqu’il garantit qu’il n’y a “aucun jeune qui vienne ici parce qu’il pense que c’est sympa”.