Dans Rétro shot, chaque mois, on vous propose un retour vers le meilleur du passé ! Un petit voyage dans le temps, à la recherche des tendances, des fringues, des affiches d’avant… Aujourd’hui, retour sur l’histoire du mouchoir : vieux tire-jus des familles, outil de propagande ou signe d’élégance ?
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Quand on pense mouchoir en tissu, on imagine plus le vieux bout de tissu crado du grand-père, rempli de morve et fourré dans une poche, qu’un accessoire de mode. Pourtant le mouchoir en coton n’est pas seulement un range-crottes de nez. Entre le vieux tire-jus des familles, le souvenir olfactif et le signe extérieur de richesse, connaissez-vous toute l’histoire du mouchoir en tissu ? Petit tour d’horizon.
Mouchoirs et néodandys
Même si en ce moment, la mode a tendance à tourner le dos à l’élégance d’antan au profit de joggings à bandes et sweats XXL, le mouchoir, lui, continue de séduire les néodandys en tous genres ! Il n’y a qu’à regarder du côté du salon Pitti Uomo, le temple de l’inspiration en matière de mode masculine. Un défilé à ciel ouvert qui regorge de mecs sapés comme jamais, mouchoir à l’appui. Quel que soit l’âge, le mouchoir se glisse dans toutes les vestes, plié, froissé, devenant l’origami de ces mâles stylés.
Le hanky code, symbole de la culture gay
À l’époque de la libération sexuelle, dans les années 1970, un journaliste du magazine The Village Voice déclara sur le ton de la plaisanterie que cela serait plus facile si les gays arboraient un mouchoir pour indiquer leurs préférences sexuelles. Une blague qui prit de l’ampleur, le mouchoir devenant l’emblème d’un langage sous-terrain entre actifs et passifs.
Le raccourci “hanky code” provenant de la formule originelle “handkerchief code” (le code du mouchoir en tissu) fut mis en pratique à travers l’usage du bandana, choisi pour l’image de cow-boy viril qu’il renvoie. Décliné dans toutes les couleurs, le bandana devint alors le messager des pratiques sexuelles et fétichistes. Un nuancier qui comporte un paquet de variantes selon les préférences de chacun. Mieux vaut être bien renseigné au risque de passer pour un amateur de fist fucking, de BDSM ou de golden shower.
Le mouchoir, mieux que le magnet sur le frigo
Quelque temps avant qu’il ne se fasse jeter “comme un vieux mouchoir” par Kleenex, le mouchoir en tissu était LE souvenir de vacances par excellence, mieux que le magnet ou le porte-clés cocotiers. Il n’était pas rare de recevoir ou d’offrir un joli mouchoir à l’effigie de son dernier voyage : Floride, Alaska, la Côte d’Azur ou Andernos-les-Bains pas un lieu touristique n’échappait à la folie du mouchoir. Très colorés, un brin kitsch ces “hanky greeting cards” connaissent leur apogée dans les années 1950. Du mariage aux funérailles, pour essuyer les larmes ou étouffer les rires, à chaque contexte son mouchoir. Une tendance qui fait écho à l’importance du mouchoir pendant les deux guerres mondiales.
Les femmes embaumaient avec leur parfum des mouchoirs en tissu qu’elles offraient en signe d’amour aux soldats avant leur départ au front. Dans ces périodes de vaches maigres, les femmes durent renoncer aux joies du consumérisme et le mouchoir incarnait la seule fantaisie possible pour moduler sa garde-robe.
Du rituel scolaire à la dynastie Kleenex
Puis est arrivé le Kleenex avec ses mouchoirs en papier destinés à enlever la crème sur le visage. Avec les stars du moment vantant les mérites de ces mouchoirs démaquillants, la promo était bien ficelée : c’était les prémices du celebrity marketing (autrement dit les stars transformées en égéries publicitaires).
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Sauf que de nombreux clients utilisaient bien plus les Kleenex pour se moucher que pour se démaquiller. Un mystère qui intrigua la manufacture, mais qui fut vite élucidé par un sondage auprès des consommateurs. Le constat fut sans appel : près de 60 % des utilisateurs de Kleenex avaient pour habitude de se moucher dedans. La marque opéra donc un changement de stratégie à destination de ceux qui avaient la goutte au nez. D’où le fameux slogan “Don’t carry a cold in your pocket”, qui porta Kleenex en tête des ventes.
Le mouchoir Kleenex devint si populaire qu’il inspira un livre pour enfants, Things to Make and Do with Kleenex Tissues, histoire d’occuper sa progéniture les mercredis de pluie. Inévitablement, le mouchoir en tissu commença à basculer doucement dans l’oubli, le Kleenex détrônant même le rituel scolaire du “show and blow” institué au début du XIXe siècle par les autorités américaines, soucieuses de l’hygiène dans les établissements scolaires. Les mères devaient munir leurs enfants d’un mouchoir en tissu pour prévenir des échanges de microbes. Cependant, ces femmes trop occupées à devoir tout faire avaient pour astuce de donner deux mouchoirs à leurs chérubins. L’un pour “show” c’est à dire pour arborer un carré toujours propre devant la maîtresse et le second pour “blow” afin de déverser ses miasmes en toute impunité et pouvoir ensuite le fourrer dans sa poche ni vu ni connu. Mais rembobinons encore un peu.
Amour, gloire et politique
Si le mouchoir en tissu a été importé en France au Moyen Âge, son usage remonte au temps des Romains. La première référence à l’objet figure dans un poème de Catulle (84 av. J.-C-54 ap. J.-C), il est alors décrit, sous l’appellation sudarium, comme un accessoire utile pour se protéger du soleil et s’essuyer le front. Rapidement, il devient le symbole des joutes, donnant le signal de départ des combats lorsqu’il touche terre. Un usage que l’on retrouve aujourd’hui dans les courses automobiles, le race flag remplaçant le mouchoir d’antan.
Protagoniste du rococo et de l’opulence, c’est l’Italie qui propulsa le mouchoir en tissu dans les sphères du luxe. Simple marqueur de son époque, il devint l’objet de toutes les convoitises. Les membres de la noblesse prennent la pose devant les peintres avec leur mouchoir, signe de prestige et de richesse. L’histoire raconte même que Louis XVI publia un décret afin d’interdire à quiconque de posséder un mouchoir plus grand et plus somptueux que le sien. Henri IV, aurait pour sa part, offert deux mouchoirs en tissu hors de prix à sa maîtresse ; des objets tellement inestimables qu’il demanda à ce qu’on lui rapporte à la mort de sa favorite. Radin dites-vous ?
Outre les croyances et les rites qu’on lui attribue, le mouchoir en tissu inspira également le monde politique. Support de diffusion massif, il fut récupéré par les candidats pour faire leur promotion lors des campagnes électorales. Chacun affichait ouvertement son candidat préféré grâce à un mouchoir à son effigie. La royauté ne fit pas exception à la règle, utilisant le mouchoir pour représenter des événements-clés comme le discours d’abdication du roi d’Angleterre Edouard VIII en 1936.
Ceux qui ont connu le mouchoir en tissu sont un peu comme les Gaulois dans Astérix et Obélix : des “irréductibles” qui pour rien au monde ne délaisseraient leur vieux “tire-jus” pour la version américaine. Même si la logique laisse à croire que le mouchoir en papier est plus hygiénique que son prédécesseur, bon nombre de personnes fourrent leur Kleenex dans la poche après utilisation. Une habitude qui ne rompt pas avec l’usage du mouchoir en tissu, qui pouvait rempiler plusieurs fois d’affilée avant de passer au lavage.
Où en dénicher ?
Aujourd’hui, plutôt que d’y ranger vos crottes de nez, faites du mouchoir en tissu un art de vivre. À offrir, en guise de déco ou pour sécher vos larmes lorsque Marc-André vous laissera tomber. Même si le site Etsy déborde de mouchoirs vintage hallucinants, des petites marques comme Beard and Owl, qui fabriquent leurs propres mouchoirs au fin fond des États-Unis, The Handkerchief Shop – la référence – ou encore Handkerchief to Kurasou, à Tokyo, ont su remettre au goût du jour cet accessoire longtemps zappé.
Quoi qu’il en soit à l’ère du bio, du végétal et du naturel, il n’y a pas à douter du retour imminent du mouchoir en tissu. Avis aux écolos…