Rencontre avec cet adolescent à la fois conservateur et audacieux, qui veut redonner une voix à la jeunesse.
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Valentin Ogier a 15 ans. C’est généralement l’âge où l’on commence à s’intéresser d’un peu plus près au sexe opposé, où l’on brave l’autorité de ses parents et où l’on se demande ce que l’on va faire plus tard. C’est pourtant à cet âge encore insouciant que Valentin Ogier a choisi de se présenter à l’Académie française, la plus vénérable et prestigieuse institution culturelle de notre pays.
Grand fan de l’homme politique et écrivain gaulliste Alain Peyrefitte, dont il a placardé un poster sur le mur de sa chambre, Valentin Ogier semble, avec sa voix haut perchée et son look “old touch”, sorti d’une autre époque : celle ou la télé était en noir et blanc et ou les lycées imposaient encore aux élèves le port de l’uniforme. Dans sa chambre, un drapeau français, une minuscule tour Eiffel et une bibliothèque où les ouvrages de BHL côtoient ceux d’Alain Finkielkraut, Jacques Attali ou encore Éric Zemmour.
Mais ne vous y trompez pas. Sa candidature au siège n°5 de l’Académie, laissé vacant après le décès, le 6 février dernier, de la femme de lettres algérienne Assia Djebar, est avant tout une démarche militante. Valentin veut faire entendre la voix de la jeunesse et redorer le blason des ados aux yeux de l’opinion publique. Très conservateur politiquement, Valentin vient d’écrire son premier livre, qu’il espère éditer bientôt. Rencontre avec un ado à nul autre pareil.
Konbini | Qui es-tu, Valentin Ogier ?
Valentin Ogier | En vérité, je m’appelle Enzo Ogier. J’ai choisi Valentin, mon second prénom, pour me présenter à l’Académie française car je trouvais qu’Enzo était trop moderne pour une institution qui existe depuis près de quatre cents ans. Je suis né en 2000 à Saint-Brieuc. J’habite à la campagne. J’étudie en classe de seconde au lycée Saint-Joseph de Lamballe. J’ambitionne de faire Sciences Po Paris puis l’ ENA. ou Normal Sup.
Je m’intéresse à la politique depuis l’âge de 6 ans, avec l’élection présidentielle de 2007. J’étais fasciné par l’aisance et l’éloquence qu’avaient les candidats pour s’exprimer. Je suis resté scotché devant le duel entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.
“Je voulais montrer que la jeunesse n’est pas perdue. La jeunesse actuelle est vue de manière péjorative, on la méprise parfois. Je me suis donc présenté pour le symbole”
Pourquoi as-tu décidé de présenter ta candidature à l’Académie française ?
Je n’ai pas vraiment innové. Avant moi, il y a déjà eu deux mineurs qui se sont portés candidats. L’un deux avait 16 ans : c’était en 1652, il s’appelait Armand du Cambout. Il a été élu car c’était un proche de la famille de Richelieu. À l’époque, les valeurs de mérite ne comptaient pas.
Plus récemment, en 2013, il y a eu la candidature d’Arthur Pauly, qui avait 15 ans. Je suis tombé sur un article qui le présentait, je me suis intéressé à cette Académie et je me suis rendu compte qu’un siège était vacant. Ça a ensuite été une réflexion de plusieurs mois puis j’ai pris la décision de me présenter.
Ma candidature était porteuse d’un message. Le perfectionnement de la langue française ne doit pas se faire seulement par des lettrés, mais aussi par des personnes normales. Je voulais populariser et démocratiser cette Académie. La langue française n’appartient pas uniquement aux lettrés mais à tous ! Je voulais aussi montrer que la jeunesse n’est pas perdue. La jeunesse actuelle est vue de manière péjorative, on la méprise parfois. Je me suis donc présenté pour le symbole.
Un symbole important, donc ?
Imaginons que j’aie été élu le 3 mars dernier. Qu’est-ce que cela aurait apporté concrètement ? Tout de suite, j’aurai été très médiatisé. Mon message, du coup, aurait pris beaucoup d’importance. Je suis porteur d’un message d’espérance et de confiance envers la jeunesse qui est aujourd’hui tant méprisée. Il n’y a aucune défiance dans ma candidature. Mon élection aurait été un symbole fort, celui d’un renouveau.
Les Français se seraient rendu compte que des institutions si vieilles, qui perdurent depuis plusieurs siècles, sont capables de prendre en compte la jeunesse et de se renouveler. Les Académiciens sont les représentants de la langue mais ils ne sont pas représentatifs de la population.
Comment les académiciens ont-ils accueilli ta candidature ?
J’ai écrit une lettre à dix académiciens que j’avais sélectionnés. Je leur ai proposé de les rencontrer, comme la tradition le réclame. Seulement trois ont répondu : Valéry Giscard d’Estaing ne pouvait pas me recevoir à cause d’un emploi du temps trop chargé, mais il trouvait que ma candidature était courageuse. Jean d’ Ormesson ne pouvait pas me rencontrer à cause du règlement, qui prévoit qu’on ne rencontre que des personnes que l’on connaît. Quel paradoxe ! Enfin, Dany Laferrière était admiratif de ma démarche mais il partait en déplacement au Québec.
Au final, plusieurs académiciens étaient favorables à ma candidature et je n’ai eu aucune voix. Ce que je ne comprends pas. Je pensais que mon message de renouveau aurait été reçu, mais ça n’a pas été le cas.
“Sur les réseaux sociaux, je me fais insulter. Mais je prends du recul, ça ne m’atteint pas”
Te sens-tu différent des autres ados ?
Je me suis toujours senti différent, dès la maternelle. J’ai tout de suite perçu cette barrière invisible qui se crée avec l’autre. Mais elle reste invisible car je me suis toujours senti bien là ou j’étais, au collège comme au lycée. Je suis même délégué de ma classe. Cette différence ne m’a pas empêché d’avoir des amis. Ma famille me soutient, mes parents me laissent beaucoup d’autonomie et de liberté. Et ils me soutiennent et m’encouragent. C’est formidable.
Depuis que je suis passé à la télé, on me regarde différemment au lycée. Les gens sont admiratifs de ce que je fais. Je n’ai reçu aucune remarque négative de la part de mon entourage, pas de critique dans mon propre camp. Sur les réseaux sociaux, en revanche, je me fais insulter. Mais je prends du recul par rapport à ça. Ça ne m’atteint pas.
Peux-tu nous parler de ton livre ?
Mon livre s’appelle La Nouvelle France : réflexions d’un lycée sur l’avenir. Je l’ai écrit un peu après les attentats du 13 Novembre mais il n’y a pas de lien avec ces événements. Je voulais faire quelque chose d’intemporel. J’ai écris ce livre en un mois et demi. Lorsque j’ai terminé d’écrire, il y a eu la déclaration de vacance du siège n°5 de l’Académie. C’est une coïncidence amusante. Je l’ai fait lire, j’attends les avis et j’espère le faire éditer prochainement.
Je ne me suis pas présenté à l’Académie pour rien. Il y a beaucoup de travail derrière. Ce livre parle de philosophie, de politique, de religion. Je parle de la nouvelle justice, avec des réformes concrètes. Je parle du culte du “moi”, de la différence entre être et avoir, de la confiance, des projets que chaque individu peut avoir. Je parle aussi de discrimination religieuse ainsi que d’une réforme de la démocratie que l’on pourrait mener.
Ce livre n’apporte pas de solutions. Ce sont simplement des réflexions, les premières pierres pour trouver les bonnes solutions. Ce livre ouvre le chemin à une nouvelle politique qui conduira à une nouvelle France.
“On peut sauver les meubles en ayant la volonté d’entreprendre et la volonté de s’aimer pour ce que l’on est”
Quel est ton avis sur l’avenir de notre société ?
Je m’efforce de dire qu’il faut être optimiste et faire confiance à la jeunesse. Cependant, si on n’applique pas concrètement des réformes, si on n’a pas cette volonté d’accepter ce que sont les individus et ce que sont les communautés en France et d’aller de l’avant, la situation va forcément empirer. On peut sauver les meubles en ayant la volonté d’entreprendre et la volonté de s’aimer pour ce que l’on est.
J’insiste dans mon livre sur les communautés. Je pense qu’il faut réfléchir à une possible démocratie confessionnelle. Il faut préparer l’avenir en réfléchissant. Il faut réfléchir avant d’agir. La situation globale de la France ne s’améliorera pas tant qu’une réelle volonté de changement ne sera pas en chacun de nous.
Ton message aux autres ados ?
Ne soyez pas un mouton. Soyez plutôt le berger. Il faut croire en quelque chose, c’est une notion importante. Dans la société d’hier on croyait en la religion. Actuellement on ne croit plus en rien, si ce n’est dans la situation de la société française qui ne va cesser de détériorer. Si on ne croit en rien, on ne peut pas avancer ni espérer.