Rencontre avec Annique Delphine, une artiste berlinoise pour qui nourriture rime avec luttes féministes.
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Annique Delphine est une artiste allemande aux multiples talents qui se définit elle-même comme activiste et féministe. Son travail est lié à ses propres expériences, et elle envisage son art comme un outil de sensibilisation lui permettant de véhiculer son message, son point de vue, sur des sujets tels que l’oppression, la marginalisation ou l’exploitation des personnes ou de la nature.
Un banquet de rêve
En novembre dernier, elle réalise avec les commissaires d’exposition Emma McKee et Tania Olivares une installation-performance, The Last Supper, dans laquelle le public est invité à déguster un banquet très coloré digne des orgies romaines. Poulet, coquillages, fruits, légumes, beignets, bonbons, pizzas, glace… La nourriture disposée en tas opulent sur une grande table était décorée de paillettes, de gâteaux en forme de sein et de vulves en chocolat.
Cette œuvre est inspirée par La Cène de Léonard de Vinci, ainsi que par les mots “ceci est mon corps donné pour vous” que Jésus-Christ aurait prononcés pendant le repas. L’artiste voulait ainsi explorer le concept de nourriture et ses limites, entre consommation, surconsommation et exploitation de la nature, mais aussi celui de l’autre. Selon l’artiste, la manière d’agir des gens face à ce banquet fait écho à leurs comportements en société, à nos propres comportements. Elle déclare à ce propos :
“Nous avons préparé le terrain pour que les visiteur∙euse∙s fassent ce qu’elles/ils avaient envie de faire, puis nous avons essayé de relier cela à la manière dont notre société fonctionne, à la façon dont nous nous traitons les uns les autres et à la manière dont nous traitons notre planète.”
“On nous a même jeté de la nourriture”
Placé∙e∙s dans une pièce décorée d’un ciel bleu fort de symbole, les spectateur∙trice∙s sont invité∙e∙s à pénétrer dans la pièce par groupe de dix, pour une durée de sept minutes seulement. Aucune règle n’a été établie, si ce n’est qu’il était interdit de parler.
L’artiste et ses collaboratrices étaient dans la pièce, et se contentaient de regarder, d’observer les comportements, incitant parfois les gens à manger ou à jouer avec la nourriture.
“Chaque groupe avait sa propre dynamique : certaines personnes se sont immédiatement assises et ont commencé à manger autant qu’elles le pouvaient. Certaines étaient dégoûtées par le gaspillage ou le fait que d’autres aient touché la nourriture avant eux. Certaines personnes étaient trop timides pour faire quoi que ce soit, et d’autres étaient agressives et ont détruit une grande partie de l’installation. On nous a même jeté de la nourriture.”
La nourriture, métaphore de la domination masculine
Ce n’est pas la première fois que l’artiste berlinoise utilise les aliments comme moyen d’expression. Elle associe parfois glace et donuts avec des balles de plastique ressemblant à des seins.
La nourriture étant le produit de l’exploitation de la nature, Annique Delphine fait le pont entre la nature et la condition des femmes :
“Les femmes sont considérées comme des objets, de même que tous les animaux élevés pour la consommation. À cet égard, je pense que la façon dont les femmes sont traitées et celle dont la nature est traitée par le monde industrialisé sont similaires.”
Faisant de la nourriture un enjeu écologique autant qu’une analogie de la domination masculine, Annique Delphine rejoint une autre artiste, Annie Sprinkle, sur le banc des artistes écoféministes.