Les princes Harry et William brisent le tabou autour de la santé mental, avec leur fondation Heads Together et un podcast personnel. L’occasion de parler de la souffrance réprimée de beaucoup d’hommes.
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La famille royale britannique fait parler d’elle cette semaine, et pour une raison particulièrement louable. Le prince William, le prince Harry et Kate Middleton se sont engagés à briser le tabou entourant la santé mentale, et ils sont passés à l’action. Harry a ainsi fait la une des tabloïds du monde entier en revenant sur les conséquences du décès de sa mère dans le podcast “Mad World” du Telegraph. Lady Diana est morte en 1997, quand il n’avait que 12 ans, et il a selon ses mots “bloqué toutes ses émotions les 20 dernières années“, ce qui a eu de grandes conséquences sur sa vie personnelle comme professionnelle.
“Ma façon de gérer cela était d’enfoncer la tête dans le sable, en refusant ne serait-ce que de penser à ma mère, parce qu’en quoi cela pouvait m’aider ? Je pensais que ça allait juste me rendre triste, que cela ne la ramènerait pas.”
Cela a engendré des conséquences et deux ans de “chaos total“, sans qu’il réussisse à comprendre ce qui n’allait pas. Et puis son frère, le prince William, a été un énorme soutien, lui expliquant qu’il n’avait pas à subir cela et l’encourageant à chercher de l’aide. Il a donc consulté un professionnel plusieurs fois, avec succès, et souhaite maintenant encourager à son tour les gens à parler de leur mal-être. Le but :
“Normaliser ce type de conversations au point que chacun puisse s’asseoir, prendre un café et juste dire ‘tu sais quoi, j’ai eu une journée vraiment pourrie, est-ce que je peux t’en parler ?’ Parce qu’ensuite on s’en va et c’est fait. Grâce au processus que j’ai traversé pendant deux ans et demi, je suis maintenant capable de prendre mon travail au sérieux, de prendre ma vie personnelle au sérieux également, et de mettre du sang, de la sueur et des larmes dans les choses qui font vraiment une différence et les choses qui, je pense, feront une différence pour tous les autres.”
Au-delà du partage de son expérience, le prince s’est associé à son frère et à sa belle-sœur pour créer la fondation Heads Together.
La famille royale britannique et Heads Together
Le prince William, qui a lui aussi récemment évoqué le traumatisme de la mort de sa mère quand il avait 15 ans, est parti avec sa famille du constat des spécialistes que “la stigmatisation fait barrière au traitement de la santé mentale“. Heads Together explique sur son site vouloir changer la façon de parler de santé mentale, parce que les gens ont trop souvent “peur d’admettre qu’ils luttent avec leur santé mentale“, et que cette “peur des préjugés et du jugement empêche les gens d’obtenir de l’aide et peut détruire des familles et mettre fin à des vies“.
Dans le but d”aider les gens à se sentir bien plus à l’aise avec leur bien-être mental au quotidien et à avoir les outils pratiques pour soutenir leurs amis et leurs famille“, la fondation médiatise des personnes souffrant ou ayant souffert de dépression. Dernièrement, elle a mis en ligne une discussion Facetime entre Lady Gaga et le prince William.
La célèbre chanteuse parle publiquement depuis quelques années de sa dépression, pour aider d’autres malades. Elle a expliqué à William “toute la honte associée à la santé mentale“, le fait de sentir que “quelque chose ne va pas chez toi”. Et que malgré sa vie dorée, la dépression l’atteint parfois :
“Je devrais être si heureuse, mais tu ne peux rien y faire si le matin au réveil, tu es si fatiguée, tu es si triste, tu es tellement envahie d’anxiété et de tremblements que tu peux à peine penser.”
Un tabou qui touche particulièrement les hommes
Si les deux frères royaux se sont saisis de la question, c’est aussi parce que les hommes sont particulièrement victimes du tabou entourant la santé mentale en général et la dépression en particulier. On se souvient par exemple de la révélation de l’acteur américain Wentworth Miller, connu pour son rôle dans Prison Break. Il expliquait en mars 2016 avoir “souffert en silence” quand il était suicidaire, parce qu’“honteux” et se considérant comme “défectueux”.
Le sexisme et ses injonctions à la virilité toute puissante font que beaucoup d’hommes en dépression n’en parlent pas. Les médias britanniques y sensibilisent la population de plus en plus, comme The Independent qui analyse :
“Nous enfonçons notre tête dans le sable — ou dans une bouteille, pour être plus précis, puisque les taux d’alcoolisme des hommes britanniques sont trois fois ceux des femmes. Notre dépression est cachée, et n’est pas diagnostiquée. Nous ne sommes pas éduqués à parler de nos émotions, et quand ces émotions commencent à nous échapper, nous ne sommes pas équipés pour les gérer nous-mêmes. Dès notre naissance, les jeunes garçons sont décrits comme étant ‘grands’ et ‘forts”. On nous dit qu”un garçon ne pleure pas’ et on nous félicite d’être ‘un homme’ quand on est vraiment courageux.”
Pour un homme, parler de ses sentiments est donc un énorme tabou social, puisque considéré comme quelque chose de “féminin”, d’embarrassant et honteux pour celui qui doit être fort en toutes circonstances. La conséquence ? D’après le Huffington Post :
“Les hommes peuvent ne pas présenter les symptômes généralement associés à la dépression. Ils ont, par exemple, du mal à avouer qu’ils pleurent régulièrement alors qu’ils font facilement part de leur agacement ou leur énervement. Ils ont par ailleurs tendance à avoir des comportements à risque, comme une certaine violence physique, une consommation excessive de substances illicites ou une vie sexuelle débridée, autant de signes potentiels de la dépression.”
Et comme cette dépression n’est pas diagnostiquée, elle ne cesse d’empirer pour beaucoup. Alors que la dépression touche plus de femmes que d’hommes, 75 % des décès par suicide sont ainsi masculins (en France comme dans la plupart des pays), et cette “surmortalité masculine est présente à tous les âges, bien que davantage marquée entre 25 et 44 ans où la part des décès masculins avoisine 80 %“, selon une étude de l’Inserm datée de 2012. Il s’agit non moins de la première cause de mortalité entre 25 et 34 ans, et de la deuxième entre 15 et 24 ans ainsi qu’entre 35 et 44 ans, également d’après les chiffres de l’Inserm. L’Observatoire national du suicide remarque que ces décès font pour les hommes suite à, par ordre de fréquence, des “problèmes d’isolement social/de solitude, la dépression puis l’existence de maladie physique“.
La dépression est une maladie relativement commune, puisqu’elle touche dans leur vie environ une personne sur cinq d’après l’OMS. Le problème, c’est que comme le note le spécialiste Olivier Dubois, les troubles psychiatriques sont ceux qui progressent le plus, et qu’on “peut penser qu’en 2030, ils représenteront la première cause de maladie mondiale, alors qu’actuellement c’est la troisième.” Une perspective particulièrement inquiétante pour Agnès Batt-Moillo, chargée de recherche à l’Inserm au département de santé publique, qui explique que “les pays latins et la France en particulier ont plus d’une dizaine d’années de retard par rapport aux pays anglo-saxons sur les politiques de prévention en général.” Qu’attend-on pour en parler ?
Vous souffrez ou avez souffert de dépression ? Nous aimerions avoir votre témoignage sur Konbini. Envoyez un mail avec en objet “dépression” à melissa.perraudeau@konbini.com en précisant si vous souhaitez être anonyme. Racontez-nous comment votre dépression a commencé, comment vous vous sentiez, comment vous en êtes venu à comprendre que vous étiez malade, si vous en avez parlé autour de vous et si vous avez été aidé par des proches ou des médecins, et quelles ont été leurs réactions…