Retour sur la BD la plus iconoclaste des comics américains, à l’occasion de la parution, le 25 mars, du troisième volume de l’intégrale de Preacher. En attendant son adaptation télévisuelle.
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Culte. Il n’y a pas d’autre mot pour décrire Preacher, la série de comics iconoclaste créée par Garth Ennis et Steve Dillon dont le troisième volume de l’intégrale déboule en librairie vendredi 25 mars.
Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler, le Preacher, c’est Jesse Custer, un jeune pasteur qui se voit corps et âme investi par une mystérieuse entité divine échappée du Paradis en adressant des doigts aux Archanges. Résultat, le jeune révérend texan à la tête dure se retrouve doté d’étranges pouvoirs et décide de partir littéralement à la poursuite de Dieu pour lui demander des comptes, la vie des gens sur terre étant, somme toute, bien merdique.
Un comics pas comme les autres
Publié entre 1995 et 2000 chez Vertigo, la branche indé et adulte de DC Comics, Preacher a laissé une trace indélébile aux lecteurs curieux qui ont osé s’aventurer dans son univers déglingué, loin des sentiers battus par les surhommes en cape et collants. Le scénariste irlandais Garth Ennis ironise ainsi, avec son habituel trente-huitième degré, dans la préface du premier recueil :
“Décrit de façon mémorable par Dave Gibbons, vieux débris des comics anglais, comme ‘déplacé’, et par Joe Quesada, rédacteur en chef de Marvel Comics, comme ‘une bonne lecture pour un caca’, Preacher a été beaucoup de choses pour beaucoup de gens. Certains ont aimé, d’autres ont détesté. […] La plupart ont compris qu’on irait jusqu’au numéro 66, qu’il vente ou qu’il neige, et que la chose la plus futée était d’aller voir ailleurs ou de participer à la fête.”
Le ton est donné pour cette plongée violente, teintée de surnaturel, d’humour noir et d’athéisme revendiqué, dans le Sud profond de l’Amérique des rednecks. Au final, Preacher connaîtra un large succès public et critique, récoltant des Eisner Awards (les Oscars de la BD américaine) à la pelle.
Preacher fait en effet souffler un vent nouveau sur l’industrie américaine des comics en y important une outrance et une irrévérence très européennes. Le duo composé de l’Irlandais Garth Ennis au scénario et de l’Anglais Steve Dillon au dessin – qui a plus grandi en éclusant des pintes dans les pubs qu’en pleurant les amours déçues de Peter Parker – glisse avec jubilation dans son odyssée américaine de nombreuses références musicales, un style graphique, des odes à la bière et des jurons très british.
Aux talents de ce duo (qui avait déjà séduit nombre de lecteurs sur Hellblazer) vient s’ajouter celui, ébouriffant, d’un autre dessinateur britannique, Glenn Fabry, exclusivement dédié aux couvertures de la série. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que ses peintures hyperréalistes – dont certaines lui ont pris des semaines – sont de véritables bijoux capables de transformer les vitrines des comics shops en galerie d’art, attirant immanquablement les lecteurs. Avec cet artiste-là, le diable se niche fort bien dans les détails.
Un vampire irlandais, une flingueuse blonde et un gamin nommé Tête de fion
En plus de sa trame complètement barrée et de ses dialogues d’une réjouissante vulgarité, Preacher propose surtout des personnages secondaires originaux qui ont littéralement fait exploser les limites du genre, ouvrant la voie à des comics à la fois plus réalistes et plus déjantés, comme Transmetropolitan.
Fini les stéréotypes moraux et/où patriotiques chers à Captain America et Superman, place au sexe (avec accessoires), à la violence et aux joyeuses bitures. Bref, de quoi réjouir les lecteurs de BD ayant décidé qu’il était temps d’en finir avec leur âme d’enfant.
Le pasteur Custer est notamment accompagné de Tulip, jolie blonde flingueuse qui filerait les foies au président de la National Riffle Association, et de Cassidy, un vampire irlandais rock’n’roll et alcoolo pas seulement sur les bords.
Mais les aficionados se réjouiront surtout de retrouver dans ce troisième recueil l’inénarrable Tête de fion (oui, oui, c’est bien son nom), un ado débile ayant hérité de ce surnom après s’être tiré une balle dans la caboche pour imiter Kurt Cobain. Si moche mais tellement attachant… On a hâte de le découvrir dans l’adaptation télé qui débarquera en mai sur la chaîne américaine AMC.
Ce troisième volume, qui s’ouvre notamment sur un épisode spécial aux allures de western relatant les origines du Saint des tueurs, un des personnages clés, tombe à pic. Et Urban Comics, filiale de Dargaud qui donne de la vigueur au marché du comics en France, grâce à de belles éditions cartonnées d’ouvrages estampillés DC et Vertigo, fait bien les choses.
Pour 28 euros, ce sont des heures de bonheur et de lecture qui s’ouvrent à vous avec 392 pages de BD comprenant de chouettes bonus comme les couvertures originales de toutes les parutions américaines, commentées par le dessinateur, et surtout le truculent courrier des lecteurs entretenu par Garth Ennis entre réflexions provoc’, concours saugrenus, récit de murge des auteurs durant les comic cons et débats sur les meilleures bières du monde.
Pour tous ceux qui aiment les comics sans masques ni collants, mais avec de l’humour noir, de la provocation, des vampires, des cow-boys, des pintes et du sexe, c’est un plaisir d’embarquer dans cette virée au Texas.
Preacher, livre III est disponible depuis le 25 mars 2016. Éditions Urban Comics, 392 pages, 28 euros.