Dans ce pays où le sexe est quasi tabou, des victimes d’agressions sexuelles utilisent les filtres de l’application pour raconter ce qu’il leur est arrivé.
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Les réseaux sociaux sont souvent critiqués car ils permettent à certains (habituellement des trolls) de déclarer les pires horreurs. Mais quand il s’agit de parler ouvertement du problème des viols en Inde, l’anonymat peut être un moyen de se trouver une voix. Les réseaux sociaux peuvent alors servir d’outils de changement social.
Yusuf Omar, éditeur de la version mobile du Hindustan Times, confie à Journalism.co.uk qu’il trouvait que Snapchat était un moyen particulièrement utile et sans danger pour les victimes de parler de leurs expériences :
“S’enregistrer en portant un masque leur a apporté un sentiment de légitimité et de sécurité, l’assurance que je ne vais pas être en mesure de montrer leur visage, au lieu de devoir faire confiance à un journaliste qui leur dirait : ‘Oui, nous allons pixeliser votre visage.’ Elles se sentaient aux commandes, elles pouvaient prendre le contrôle de leur propre histoire.
En utilisant la caméra intégrée, elles avaient l’impression de se retrouver devant un miroir … elles ne me racontaient pas leur histoire à moi ni à un appareil photo, elles se regardaient simplement dans un téléphone et se remémoraient leur expérience – d’une façon très personnelle et très sincère.”
En Inde comme ailleurs, lorsque les femmes victimes d’abus sexuels trouvent le courage de raconter ce qu’il leur est arrivé, elles sont souvent ignorées par les autorités et la presse qui perpétuent le penchant qu’a notre culture pour la culpabilisation des victimes et le slut-shaming. Pour cette raison, Yusuf Omar pense que les filtres Snapchat donnent une réelle opportunité aux femmes qui souhaitent partager leurs histoires dans un pays qui souvent les met en doute :
“La stigmatisation qui entoure la violence sexuelle est un gros problème, en particulier en Inde où les femmes sont fréquemment accusées de mensonge, mais maintenant on peut voir une jeune femme raconter son histoire elle-même, et partager toutes ses émotions.”
Les victimes ont toutes reçu un selfie stick et un iPhone 6, et ont choisi leur propre filtre Snapchat — comme ce splendide dragon cracheur de feu visible ci-dessous. La vidéo, poignante au possible, est une façon intelligente d’attirer l’attention sur le fléau des agressions sexuelles en Inde : le National Crime Records Bureau (Bureau National de la Criminalité) a signalé une augmentation de près de 900 % des cas de viols enregistrés au cours des quatre dernières décennies – le nombre de meurtres par comparaison n’a augmenté que de 250 % en soixante ans — selon un article du Guardian daté de 2013.
“Tout le monde pense que Snapchat n’est qu’un outil de découverte en essayant désespérément de comprendre comment obtenir plus de followers, poursuit Yusuf Omar. Mais très peu de gens se rendent compte que c’est aussi un outil de création de contenus puissants avec tous les ingrédients que la génération numérique adore, que ce soit la possibilité d’ajouter des filtres, d’ajouter un texte en bas des vidéos en lecture automatique, ou des emojis qui véhiculent des émotions que nous ne pouvons pas exprimer avec des mots.”
Peut-être Snapchat pourrait-il se transformer en une plateforme pour le changement social, et donner une chance pour les victimes d’abus de parler sans crainte.