L’acte a été commandité par une raison subjective et irrationnelle. Mais il y a aussi des raisons objectives de se méfier des assistants intelligents.
À voir aussi sur Konbini
Les trois scénarios
C’est vrai, j’ai de la chance. En tant que journaliste tech, j’ai eu le privilège de tester récemment Google Home. Curieux de l’objet, je l’étais encore plus de ma réaction future et, en gros, trois scénarios se dessinaient : ou bien j’allais devenir accro (auquel cas j’en ferais un article), ou bien la technologie me laisserait de marbre (auquel cas je tairais l’aventure), ou bien encore je m’en séparerais pour une raison bien précise (auquel cas je ferais aussi un article).
Au tout départ, le scénario 2 a pris le dessus. Google Home m’a amusé sans présenter la moindre utilité. L’enceinte connectée n’était pas (encore) ce couteau suisse technologique indispensable que l’on veut nous vendre. Les incantations “mets le réveil à sept heures”, “quel temps fait-il ?”, “raconte-moi une histoire”, “parler avec Le Figaro”, “regarder Netflix” ou encore “faire un jeu” n’ont pas déclenché le moindre nouveau besoin.
Ceci dit, j’ai quand même failli basculer un moment dans le scénario 1. J’ai découvert un vrai intérêt, une petite excitation même, à pouvoir mettre une station de radio ou écouter n’importe quel morceau de musique d’un simple ordre vocal. Là, oui, ça ressemblait un peu plus à ce que l’on nous promettait : gain de temps, économie de moyens, allégement de l’esprit.
Un divorce irrationnel
En fin de compte, le scénario 3 l’a emporté. Google Home est retourné dans son carton au bout de quelques jours. La raison était plutôt irrationnelle : je ressentais une forme de “présence” dans mon chez-moi sacré. Cela m’a particulièrement sauté aux yeux et aux oreilles quand j’ai fait un test un peu débile en prononçant, depuis l’autre bout de la pièce, un “OK Google” (la commande magique de déclenchement) à voix basse. J’étais persuadé que l’enceinte n’entendrait pas. Mais si. Les oreilles de Google Home ont une fine inouïe. De ce constat bénin, j’ai basculé dans un léger malaise.
En ressentant une forme de présence, je ne crois pas être un cas tout à fait isolé. Alexa, l’enceinte intelligente d’Amazon, qui débarquera en avril prochain en France, a récemment défrayé la chronique en riant de manière accidentelle. Certains utilisateurs, narrant leur infortune sur Twitter ou Reddit, expliquent aussi avoir ressenti une forme de peur. Comme s’ils avaient prêté à cet être inanimé fait de puces et de fils une certaine intentionnalité.
Ressentir une forme de présence ou d’intentionnalité, ça se rejoint. On pourrait peut-être nommer ce phénomène psychologique en parlant “d’animisme technologique” : on prête une âme à quelque chose qui, selon toute vraisemblance, n’en possède pas. Est-ce de la technophobie ? Je n’en suis pas sûr. Ce n’est pas le progrès qui est rationnellement incriminé. Non, il s’agit d’un désagrément plutôt ressenti que réfléchi.
Des récriminations plus objectives
Cette méfiance subjective peut facilement se doubler d’un discours objectif. En décembre dernier, un journaliste du New York Times, qui éprouvait aussi une certaine réticence subjective, est allé plus loin en épluchant les conditions d’utilisation de l’enceinte d’Amazon. Il y a notamment appris que, par défaut, Amazon conservait nos requêtes vocales (son et texte) sur ses serveurs. Idem chez Google. En voilà un autre, de sentiment désagréable !
De manière plus générale, l’enceinte connectée pose aussi de nombreuses questions sur le sort réservé à nos données personnelles. Aussi n’est-il pas étonnant que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’organisme français qui veille sur la question, y ait mis son grain de sel. Attention, prévient-elle, les enceintes “monétisent notre intimité” en utilisant à des fins commerciales toutes les données et métadonnées enregistrées. On s’en rend d’autant moins compte qu’une enceinte n’a pas d’écran.
Recommandations utiles ?
La CNIL recommande deux choses : désactiver le micro quand on n’utilise pas l’enceinte et effacer régulièrement l’historique des conversations. Mais ces deux mesures ne sont pas efficaces. À quoi bon désactiver le micro quand, justement, la fonction magique et pratique est celle du réveil vocal, permettant de déclencher l’engin avec un “OK Google”, ou un “Hey Siri” avec un iPhone ? Concernant l’effacement des données, cela requiert à la fois minutie et motivation. Comme si notre esprit n’était pas assez occupé comme ça.
Bref, si j’ai débranché Google Home pour des raisons subjectives, il est intéressant de constater que d’autres – et probablement la grande majorité des récalcitrants – le feront avec des arguments plus rationnels, arguant de la protection de leur vie privée.
D’autant plus que nous ne sommes pas à l’abri de bogues, de vulnérabilités ou de piratages. En octobre dernier par exemple, un journaliste découvrait que son Google Mini l’écoutait 24 h/24. Quelques heures après, Google corrigeait le bogue. Mais le mal était fait : les paranos et les sceptiques garderont cette histoire en mémoire.