Spoiler : tout simplement parce qu’il cumule challenge, bonne musique, sensibilité et fantastique harmonie ludonarrative.
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Tradition de fin d’année oblige, il est temps de désigner le Game of the Year (GOTY) – le jeu de l’année dans sa version française – et de le crier sur tous les toits. Une tâche loin d’être simple cependant, puisqu’il faut retenir la meilleure expérience vidéoludique de ces derniers mois et s’affranchir de la réputation du produit, de son budget, de la qualité de ses graphismes, ou encore de son score Metacritic. Bref, choisir une seule œuvre. Et on a pris le parti de vous faciliter le travail.
Certes, Red Dead 2 est dantesque dans ses meilleurs moments. Certes, des titres comme Subnautica peuvent offrir des expériences addictives et inédites. Certes, Return Of The Obra Dinn influencera d’autres jeux à l’avenir et fera progresser le format. Mais s’il n’en devait en rester qu’un, le jeu de l’année 2018 serait Celeste, qui vient de gagner un Game Award dans la catégorie du meilleur jeu indépendant.
Petit résumé pour ceux qui voudraient s’y mettre ou s’y remettre.
Salut les campeurs, et hauts les cœurs
Madeline a une vingtaine d’années et des poussières, une parka bleue, le regard un peu triste, une endurance à toutes épreuves, mais elle fuit quelque chose – son passé, une personne, son souvenir, sa taxe d’habitation, on ne le saura jamais vraiment. Madeline est dépressive et anxieuse, alors elle veut se changer les idées en gravissant le mont Celeste (qui existe réellement au Canada et culmine à 2 000 mètres).
Inutile de vous raconter le scénario en long, en large et en travers, il n’est pas d’une importance cruciale, si ce n’est de lier solidement les différentes thématiques qui composent le jeu. Disons simplement que vous aiderez l’héroïne à traverser plusieurs niveaux aux univers bien particuliers. Il y a un hôtel hanté, un téléphérique, une grotte, plein de moments de bravoure et d’introspection, des symboles, une ascension finale et quelques persos qui vous accompagnent dans cette ascension, ainsi qu’un arc — classique, mais cool.
Celeste est un jeu de plateforme (hourra), et un bon (ouf), bien dans son temps, même s’il reste un peu old school. Il se compose d’une succession de tableaux qu’il faut valider pour boucler un chapitre. Et on apprécie grandement ce goût de la précision millimétrée et du level design – rappelons qu’on parle d’un jeu de Matt Thorson, la tête pensante de l’excellent Towerfall.
Celeste est d’ailleurs le pendant solo de ce dernier et a donc hérité de ses graphismes en 2D. Madeline, elle, a hérité de son point nodal de gameplay : un “dash” dans huit directions, qui ne se rechargera qu’en remettant les pieds sur la terre ferme.
Si on perd, on sait pourquoi, et on sait quoi faire pour mieux y arriver. Chaque chapitre rajoute une contrainte : des ennemis synchronisés à éviter, du vent, des plateformes qui bougent en même temps que vous, etc., bref c’est à vous de découvrir tout ça. Retenez juste que le level design est aux petits oignons, et que la seule chose que l’on peut finalement reprocher au jeu, c’est son boss fight un poil interminable… Mais la récompense à la clef en vaut amplement la peine.
Concilier gameplay et histoire, les faire interagir, c’est ce qu’on appelle l’harmonie ludonarrative, et Celeste est champion en la matière. Le mont Celeste est une métaphore universelle des épreuves que chacun peut affronter. Madeline, c’est toi, c’est moi, avec nos soucis, nos erreurs passées. Ces dernières sembleront cependant bien faibles comparées à la difficulté de certains tableaux.
Huit chapitres, plus huit faces B à trouver et débloquer (un peu plus courtes et plus difficiles) et huit autres faces C pour les plus coriaces (à chaque fois deux tableaux courts et un très très long et vraiment difficile, qui demande de réussir une séquence parfaite d’une grosse minute). Et la construction des niveaux mériterait un roman, alors synthétisons : c’est exquis d’un bout à l’autre, jamais injuste, (presque) toujours intuitif.
Et le fond est aussi beau que la forme. Madeline est tellement adorable que l’on veut triompher pour elle. Au fil de ses rencontres avec d’autres personnages, à chaque fois qu’elle répond au téléphone ou se confronte à sa part sombre, on en apprend plus sur elle.
Pour Matt Thorson, enfant, jouer à des jeux NES difficiles était une manière pour lui de s’évader et d’oublier ses angoisses. Il a suivi et s’est inspiré du conseil de Neil Gaiman : “make good art”. Et ce jeu, bien que potentiellement stressant du fait de sa difficulté, est aussi confortable que la doudoune de Madeline.
Celeste se transforme ainsi en une expérience mémorable où jeu, histoire et sons se mêlent. L’excellente bande-son composée par Lena Raine joue avec les nappes évolutives, et le son progresse en même temps que vous.
Si ça nous paraissait un peu improbable qu’un bon jeu de plateforme puisse subtilement parler d’anxiété et de dépression, c’est finalement ce que propose le jeu, sans pour autant le clamer haut et fort. À travers cette ascension physique et romanesque, Madeline apprend que se respecter en amont est nécessaire pour respecter les autres – et le chapitre un peu sombre de l’hôtel file intelligemment la métaphore.
Sans jamais être forceur ou neuneu, ce jeu où l’on doit juste timer les bons sauts et les bonnes trajectoires nous fait aimer ses personnages, rentrer dans leurs têtes, mais aussi pleurer un peu parfois. Si vous êtes dans une mauvaise passe, récente ou depuis un moment, Celeste pourra sûrement vous faire passer un super moment, et n’est-ce pas ça la finalité du jeu vidéo ?
Dur mais accessible
Celeste est difficile. C’est d’ailleurs sa principale caractéristique. Mais que cela ne vous refroidisse pas. Oui, voir des vidéos des derniers niveaux vous donnera des sueurs froides, mais vous n’avez pas commencé la guitare en claquant directement du sweeping, non ?
Le jeu a une courbe de difficulté épatante. Si vous êtes arrivés à un tableau, c’est que vous pouvez le faire. Chacun butera sur des obstacles et des concepts qui lui seront propres, mais il suffira de revenir dessus après une nuit ou deux et ça devrait se débloquer.
Même les Faces B et C ne sont pas insurmontables avec un peu de force brute et d’huile de coude. Le temps de prononcer quelques insultes improbables comportant “foutre” ou “fortnite”, et hop, c’est déjà derrière vous. Vous l’avez fait, vous avez sué, mais vous l’avez fait. Vous avez donc embrassé le cœur du jeu.
Ce dernier a d’ailleurs l’intelligence de confier la bande-son des faces B et C à d’autres artistes pour les remixer, et la longue boucle de cette version du Sommet vous hypnotisera. Réussir la face C de ce niveau est probablement l’un des moments de jeu vidéo les plus gratifiants de l’année.
Raison numéro deux de ne pas craindre la difficulté : elle est modulable. Il n’y a donc aucune honte à avoir si vous décidez d’activer le mode “assist” qui, à tout moment, permet de choisir la vitesse du jeu, de vous donner des dashs infinis ou de rendre certaines surfaces inoffensives. Bref, de rendre la chose un peu plus facile ou complètement pétée.
Et on peut toujours débloquer les succès : le jeu ne les considère pas comme des cheat codes. C’est généreux, mais on comprendrait dans le cas inverse. Votre serviteur, de son côté, n’a toujours pas réussi à battre le boss final de Dead Cells. D’un autre côté, pour ceux qui cherchent des défis absurdes, les fraises d’or s’obtiennent sans mourir une seule fois dans un niveau. Et allez, maintenant on peut le dire : une ultime fraise se débloque si vous faites le premier niveau sans jamais dasher.
Car Celeste a, par-dessus le marché, le goût du secret. Il a du mou, ce qu’on appelle du juice dans le milieu, et il faudra le découvrir par vous-mêmes. Trouvez les cassettes qui débloquent les faces bonus, déjà. Quelques petites énigmes environnementales à la Fez, à la complexité variable, qui, lorsqu’on les déchiffre, offrent en récompense un cœur de cristal qui ouvre les niveaux les plus difficiles.
Aucun indice n’est donné. Certaines de ces énigmes nécessitent d’avoir un œil de lynx, d’autres de réfléchir un peu (un lieu précis dans le jeu est à la source de la moitié d’entre elles). L’une d’entre elles est une référence très précise de l’histoire du jeu vidéo – certains l’auront immédiatement, les autres ne trouveront jamais sans guide –, et la dernière est absolument brillante. On vous met quand même sur la voie : c’est le cœur du chapitre 2. Cette épiphanie vous procurera un sentiment de satisfaction et de sérénité jamais vu depuis The Witness.
J'ai fait une petite vidéo dont @Kocobe est le héros. pic.twitter.com/R20CwdEvsE
— Benjamin Benoit (@BenjaminBnt) 16 février 2018
Pour résumer, Celeste définit un horizon d’attente, y colle à 100 %, l’explore à fond et propose tout ce qu’il est possible de proposer, le tout dans une grande harmonie ludonarrative, avec une bande-son du tonnerre et un challenge motivant.
Bonus : le jeu a une belle grandeur d’âme, évoque des thèmes sensibles sans être moralisateur ou dirigiste. En gros, c’est un véritable travail d’orfèvre.
Celeste est enfin un jeu qui dit “prend soin de toi, t’es pas seul.e”. C’est beau, et c’est un superbe complément à VA-11 HALL-A (que l’on vous conseille aussi très très fort). Un jeu qui montre qu’on peut allier excellence d’exécution, travail d’auteur et intention poétique dans un même medium.
Celeste est disponible un peu partout : Steam, Switch, Xbox One, PS4. On vous conseillera de jouer avec un bon joystick, donc pas avec un Joy-Con ! (MAJ : Matt T. a annoncé des niveaux particulièrement difficiles à venir en DLC tout début 2019.)