Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur. Aujourd’hui, place au premier film de Danielle Lessovitz.
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Port Authority, c’est quoi ?
La culture voguing jouit depuis peu d’une mise en avant importante. On pense au Climax de Gaspar Noé, qui use de ses danseurs pour implanter son histoire de bad trip dégénératrice et meurtrière, mais aussi à la géniale série Pose qui raconte le vrai quotidien de danseurs d’une “famille” dans le New York des années 1980.
Face à ce bijou signé Ryan Murphy, Port Authority pourrait faire pâle figure. À la différence près que le long-métrage n’est pas centré sur le voguing ou ses danseurs. Un peu comme Climax. Non, le film se concentre sur une romance, entre Wye (Leyna Bloom) et Paul (Fionn Whitehead). Un amour traité comme s’il était lambda, dans le sens traditionnel, alors qu’il est loin de l’être.
Lui, fraîchement débarqué à New York via la gare de Port Authority, est à la rue après le refus de sa demi-sœur de l’héberger et est finalement aidé par une bande de petits voyous qui rackettent des personnes en voie d’expulsion. Elle est une jeune femme noire transgenre qui vit avec sa “famille” d’adoption, sa troupe de voguing, dans un petit appartement lugubre.
Lui tombe sous le charme de la danseuse, qui respire l’assurance et la fierté, sans se poser la moindre question quant à son genre. Naît alors une romance, parsemée d’embûches, de révélations, de larmes, de rires, de sourires. Vous voyez le genre.
Mais c’est bien ?
Il y a une sensation assez constante de Sundance dans ce long-métrage – produit au passage par un certain Martin Scorsese. L’aspect film d’auteur indé américain qui traite de minorités opprimées et de mixité sociale y est pour quelque chose. Sauf qu’à l’inverse de quelques films malheureux, celui-ci est original et rafraîchissant.
Le fait que le couple soit mixte (elle est noire et transgenre, lui est blanc cis) n’est pas vraiment au cœur du récit, et tant mieux — cela nous évite pas mal de scènes clichées qui auraient nui au long-métrage. Ce qui compte, c’est cet amour, aussi difficile et destructeur qu’il soit !
(© MK2)
Il s’agit plutôt d’un Roméo et Juliette moderne, où la question de la famille est posée dès le départ. Paul a choisi la sienne et il l’aime, même si c’est un peu par dépit. Car ces hommes machos et violents qu’il est facile de détester sont malgré tout les seuls à lui avoir ouvert la porte et lui avoir donné un job. Celle de Wye est une famille adoptive d’amour, mais qui est plus du côté des opprimés. Le conflit entre ces derniers est loin d’être belliqueux comme dans l’œuvre de Shakespeare, car la domination des blancs cis sur les autres est incontestable et donc dramatique.
Plutôt que de se vanter de mettre en avant cette communauté opprimée et de victimiser cette dernière, toujours sans aucune prétention sociologique, Port Authority préfère montrer à travers le regard de Paul un autre type de masculinité, qui le touche davantage – et nous touche aussi.
Ce n’est pas le film le plus original, ni la meilleure romance LGBT de l’histoire du cinéma, mais c’est si rafraîchissant qu’il est difficile de ne pas se laisser enchanter par ce conte — et peut-être même verser sa larmichette à la fin.
Qu’est-ce qu’on retient ?
L’actrice qui tire son épingle du jeu : Leyna Bloom
La principale qualité : la manière d’aborder ces sujets subtilement et sans lourdeur
Le principal défaut : utilise des ressorts un peu classiques pour sa trame
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : la série Pose
Ça aurait pu s’appeler : Whiteboy Realness
La quote pour résumer le film : “L’une des plus belles romances du cru cannois 2019”