Habitué aux missions dangereuses, soumis à la pression et à la fatigue, et travaillant en milieu hostile, le scaphandrier reste un véritable héros moderne.
À voir aussi sur Konbini
Konbini | Pouvez-vous vous présenter ?
Nicolas Marcel | Je suis le gérant d’une entreprise de scaphandriers et de travaux subaquatiques qui a pour but de réaliser des travaux en milieu immergé. Nous plongeons en Île-de-France et nous sommes spécialisés en pose et dépose de fibres optiques, maintenance des stations d’épuration, expertise sur bateaux après avarie, renflouement d’épaves. Et, plus généralement, tout ce qui nécessite l’intervention d’un technicien ou d’un ouvrier en dessous de la surface des eaux.
Comment devient-on scaphandrier ?
Il faut passer par l ‘INPP à Marseille. C’est l’Institut national de plongée professionnelle, l’école qui forme tous les scaphandriers. Vous avez plusieurs catégories de scaphandriers. Il y a les ouvriers, les techniciens, les médecins, ceux qui font de l’archéologie. Ce sont tous des travailleurs subaquatiques. Il y a une seconde école qui a vu le jour, l’École nationale des scaphandriers [à Saint-Mandrier-sur-mer, dans le Var, ndlr]. Mais l’INPP reste la référence.
Au départ, étiez-vous attiré par la plongée sous-marine et par un métier sportif et atypique ?
La plupart des apprentis scaphandriers sont des gens qui cherchent à se reclasser après l’armée. Ce sont d’anciens militaires donc. Mais le métier attire des jeunes pour différentes raisons. Nous avons des gens issus de la plongée loisir. C’est très physique. Tout ce qui concerne la formation en plongée sous-marine est géré par la fédération qui impose des normes de préparation physique très strictes. Pour plonger sans difficulté, il faut vraiment être en forme. Nous avons des cycles de trois heures de plongée en moyenne, donc c’est particulièrement dur et sans un entraînement poussé, c’est tout simplement impossible de tenir.
Dans l’imaginaire collectif, le métier de scaphandrier fait penser aux films de Cousteau ou aux livres de Jules Verne. Est-ce que ça fait partie de la culture du métier ?
C’est un peu le fantasme lié au métier. Le fait de s’appeler scaphandrier, ça renvoie à l’aventure et on a des gens qui viennent chez nous pour de mauvaises raisons. Nous sommes des techniciens sous-marins. Sur les missions particulièrement compliquées, ce sont les robots qui ont pris le relais maintenant. Il y a de moins en moins de plongeurs et de scaphandriers qui interviennent sur les missions réputées extrêmement dangereuses. Il y a aussi le problème des courants… Parfois ils sont trop forts et on ne peut pas plonger. Du coup, on fait appel à des robots. Mais les missions gérées par des humains, celles qui constituent notre quotidien, restent très dures.
Quels sont les risques et les dangers encourus ?
Dans les assistances de coulage de béton, on peut se faire submerger par le béton. Et y laisser notre peau. Dans tout ce qui est travaux sur des barrages, c’est également très dangereux. Il y a des micro-fissures qui peuvent aspirer le scaphandrier vers le fond et quand ça lui arrive il n’a que peu de chances de s’en sortir. Dans le domaine maritime, tout ce qui est en haute mer est lié aux conditions climatiques. On peut avoir des creux de mer très importants. On travaille généralement sur les plateformes pétrolières et on peut être projetés contre les structures et se blesser très grièvement. Il y a aussi les problèmes de décompression, avec les blessures qui peuvent en découler.
“On peut parfois plonger une semaine entière, on rejoint alors les conditions de vie des astronautes dans les stations spatiales”
Jusqu’à quelle profondeur plongez-vous ?
Jusqu’à environ 50 mètres. Mais si on est un scaphandrier classe III A, c’est-à-dire au plus haut niveau de compétence, il n’y a pas de limite ! Vous plongez en saturation. Et là, on rentre dans un autre monde. On peut parfois plonger une semaine entière, on rejoint alors les conditions de vie des astronautes dans les stations spatiales. On est en vase clos. Et les missions durent longtemps. Physiquement et moralement, il faut être aguerri. On est enfermés dans des lieux qui sont très confinés, donc il faut pouvoir tenir. C’est très particulier.
Vous pouvez donc vivre sous l’eau pendant plusieurs semaines ?
La descente n’est pas très longue, mais la remontée peut l’être. Si vous avez une mission qui dure dix jours, vous pouvez avoir une semaine de remontée en tenant compte de la décompression.
Avez-vous des cloches de plongée ou des véhicules sous marins ?
Non, pas de véhicules. Les cloches de plongée ou “plongée bulles” sont réservées à des plongées assez courtes et à des profondeurs au maximum de 50 mètres. Elles permettent de limiter la décompression à quelques heures. C’est une solution alternative entre la plongée saturation, où on plonge à la semaine, et des plongées plus courtes sur une après-midi par exemple. Les scaphandriers descendent dans une cloche.
Mais pour les plongées d’une semaine, avez-vous un équipement particulier ?
On travaille en étanche. On reste au chaud comme ça. On a aussi des combinaisons avec un débit d’eau chaude en continu qui permettent d’intervenir dans des conditions aquatiques très froides, mais elles nécessitent une logistique dédiée qui est assez contraignante. Les combinaisons étanches nous permettent de tenir longtemps, sans difficulté, sans s’essouffler. Parfois, on s’équipe également avec des polaires sous la protection étanche.
“Dès qu’un scaphandrier plonge, il est est soumis à une pression très forte et se retrouve du coup potentiellement en danger de mort”
Est-ce que les scaphandres ont bénéficié des dernières avancées technologiques ? Notamment les progrès faits sur les combinaisons de spationautes, conçues elles aussi pour des milieux particulièrement hostiles ?
Au niveau des communications, nous avons des technologies maintenant très performantes. Mais l’équipement de base n’a pas beaucoup changé. En revanche, les normes ont changé. On a très régulièrement des visites médicales, avec des radios des grosses articulations pour s’assurer qu’il n’y a pas de nécroses. C’est quand même vraiment dangereux de plonger. On est soumis à des pressions très importantes et les individus y résistent plus ou moins bien. À part aller sous l’eau dans un sous-marin, vous ne pouvez pas vous affranchir de ce problème. Dès qu’un scaphandrier plonge, il est soumis à une pression très forte et se retrouve du coup potentiellement en danger de mort.
“On ne peut pas toujours secourir le scaphandrier. S’il est coincé et qu’on le tire, on risque de le blesser”
Quelle fut votre plus grosse frayeur ?
Ce qui rentre dans le cadre des missions les plus dangereuses, ce sont les renflouements de bateaux. Quand le matériel supporte mal les conditions de température et que vous n’avez aucune visibilité, c’est tout de suite très tendu. Ce sont des choses qui me sont arrivées et on sait qu’on a des chances d’y passer. Il faut avoir beaucoup de sang froid pour gérer les risques et les problèmes. On ne peut pas toujours secourir le scaphandrier. S’il est coincé et qu’on le tire, on risque de le blesser.
Quels conseils donneriez vous aux apprentis scaphandriers ?
Il faut être tenace. C’est dur. Il faut cumuler les missions pour s’assurer qu’on est fait pour ça. Après, vous pouvez vous orienter vers des postes spécifiques, comme la soudure sous-marine ou le découpage de bateaux. Il faut cumuler les expériences pour acquérir de la valeur sur le marché du travail.
Et ça gagne bien comme métier ?
Ceux qui partent sur les plateformes pétrolières gagnent environ 10 000 euros par mois. Mais ils sont d’astreinte 24 heures sur 24. Si vous calculez au prorata des heures en rajoutant le danger encouru, ce n’est pas fantastique. Il y a des missions particulièrement dangereuses, dans le domaine du nucléaire notamment, avec des surprimes très importantes. Mais le salaire de base se situe autour de 2 000 ou 3 000 euros sans difficulté. Ce qui nous permet de bien vivre.