Emballement médiatique
En dix minutes bien ficelées, Oprah Winfrey a en effet su progressivement s’éloigner de l’émotion de l’anecdote classique et du milieu restreint de l’industrie audiovisuelle, en se servant de l’affaire Weinstein pour aborder des questions plus générales, comme l’importance des droits civiques.
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Dans un premier temps, l’animatrice a subtilement fustigé l’administration Trump, en rappelant le rôle essentiel de la presse dans la démocratie :
“J’aimerais remercier la Hollywood Foreign Press Association, parce que nous savons tous que la presse est assiégée en ce moment. Nous savons également que c’est l’insatiable détermination à découvrir la vérité absolue qui nous empêche de détourner le regard de la corruption et l’injustice, des tyrans et leurs victimes, des secrets et des mensonges. J’ai plus que jamais de l’estime pour la presse, alors que nous essayons de naviguer à travers ces temps difficiles […]”.
Elle a ensuite insisté sur l’importance de la poursuite des luttes pour l’égalité – notamment pour la minorité noire et les femmes –, en évoquant les histoires de deux de leurs icônes : Recy Taylor et Rosa Parks. Son développement, marqué par sa foi en un grand changement imminent, s’est achevé par une standing ovation.
Ce soir-là, Oprah Winfrey a offert une belle leçon d’éloquence à Donald Trump, dont la crédibilité est remise en cause à chaque fois qu’il s’indigne avec vulgarité sur son compte Twitter. Ce discours galvanisant – qui a touché directement les minorités en quête d’un renouveau nécessaire –, vaut à son autrice d’être aujourd’hui au cœur d’un emballement médiatique sans précédent. Les voix l’appelant à se porter candidate à l’élection présidentielle de 2020 sont plus nombreuses que jamais.
OPRAH FOR PRESIDENT!!!! #Oprah2020
— Larry Wilmore (@larrywilmore) 8 janvier 2018
Oprah for president? She’s got my vote.
— Lady Gaga (@ladygaga) 8 janvier 2018
— Marc (@MarcSnetiker) 8 janvier 2018
Cette idée surprenante est apparue en mars 2017, à la suite d’une interview accordée à Bloomberg au cours de laquelle elle avait joué la carte de l’ambiguïté sur cette question. Bien que la principale intéressée ait affirmé ne pas y penser, son partenaire de longue date, Stedman Graham, s’est laissé aller pour sa part à quelques confidences auprès du Los Angeles Times :
“Ce sera aux gens de décider. Mais elle le ferait, c’est sûr.”
Est-ce pertinent ?
À 63 ans, Oprah Winfrey n’est pas une novice de la politique : elle s’est engagée et investie dans les campagnes de Barack Obama dès 2006. Son influence aurait même permis au candidat de gagner environ un million de voix lors des primaires démocrates de 2008, lui permettant de creuser un écart décisif face à son adversaire Hillary Clinton et s’offrir ainsi une victoire historique.
Impressionné par sa capacité à rassembler, le gouverneur de l’Illinois a par la suite offert à Oprah Winfrey la possibilité de rejoindre le Sénat américain afin d’occuper le siège vacant d’Obama. Si cette dernière a refusé à l’époque – selon ses dires par manque d’intérêt et de compétences – serait-elle prête aujourd’hui à occuper un siège d’une autre envergure ? Et surtout, le devrait-elle ?
L’idée de voir une femme brillante et inspirante (et noire, de surcroît) succéder à un homme raciste, misogyne et xénophobe est tentante et plébiscitée. Elle comporte cependant des risques non négligeables. En premier lieu, celui de voir se pérenniser ce qui aurait dû rester une exception.
En effet, en élisant un homme inexpérimenté à leur tête, les États-Unis ont déjà prouvé le poids déterminant des pouvoirs médiatiques et financiers dans la course à Maison-Blanche, au détriment d’autres facteurs, comme celui, pourtant crucial, de la compétence politique. Et bien qu’Oprah Winfrey s’érige en figure anti-Trump, elle partage cependant avec ce dernier une influence colossale qui pourrait la mener très loin.
En choisissant de se présenter à l’élection présidentielle de 2020 sous l’étendard du parti démocrate afin de devenir (éventuellement) la première femme présidente des États-Unis, Oprah Winfrey perpétuerait le mythe du rêve américain – et confirmerait au passage un bouleversement bien réel dans la vie politique du pays, où le pouvoir d’influence serait davantage reconnu que la capacité à diriger.