J’ai passé Noël dans un village en Israël qui célèbre le même soir à la fois Hanoukka, la naissance de Jésus-Christ et celle du prophète Mahomet…
À voir aussi sur Konbini
Incroyable mais vrai : dans le village de Neve Shalom, situé entre Jérusalem et Tel-Aviv, cohabitent en bonne intelligence et dans le respect le plus total environ 300 habitants à la fois juifs, musulmans et chrétiens. La situation du village est singulière dans le contexte actuel : Israël a connu ces dernières années une flambée de violence entre le pays et Gaza ainsi que de très récents attentats. Vivre ensemble c’est déjà un exploit, mais faire la fête ensemble, c’est un miracle !
La paix en Israël, aussi simple qu’un Père Noël, un éléphant et un chandelier ?
Le 24 décembre, à 18 heures pétantes, des dizaines de famille arrivent dans le gymnase de l’école de ce petit village pour faire la fête. Ensemble. Les enfants se précipitent dans l’entrée, ravis de retrouver leurs amis. Les parents, eux, portent gâteaux et sucreries qu’ils déposent sur une grande table.
Dans le couloir se trouve une grande planche en carton sur laquelle sont peints un sapin de Noël, un éléphant (le prophète Mahomet est né l’année de l’éléphant), une Kaaba mais aussi le chandelier de Hanoukka et un dreidel. Je suis presque déçue de ne pas voir aussi le petit Jésus. Les gosses sont ravis de placer leur tête dans le décor pour faire des photos.
Peu à peu, la salle se remplit. Elle est peuplée d’enfants et d’adultes, de femmes musulmanes voilées et de gamins déguisés en Père Noël. Des petits garçons portent la kippa, d’autres des keffiehs et des djellabas. Les enfants jouent tous ensemble, se courent après dans tous les sens, dansent et se marrent. Les parents discutent assis sur des chaises en plastique. On voit même passer deux prêtres vêtus de vêtements liturgiques.
Le gymnase a été décoré par les enfants. Ils ont collé sur les murs des dessins qui représentent les trois fêtes religieuses. Tout le monde semble s’entendre à merveille. Réveillez-moi, je suis en pleine utopie. Il y a de la musique, un groupe joue. On entend à la fois des chansons en hébreu et en arabe. Je crois reconnaître la chanson “Jingle Bells” et effectivement il s’agit de cette mélodie, mais chantée en arabe. C’est une version libanaise, originellement chantée par Fairouz. Tout le monde chante ensemble. Je reconnais des chants juifs de Hanoukka, puis passe le chant musulman “Madad madad ya rasulullah”.
Une enclave pacifique
Le village de Neve Shalom se fait aussi appeler “Océan de paix”. Ce nom sort tout droit de la Bible, où il est écrit “Et mon peuple habitera dans une oasis de paix” (phrase d’Isaïe 32, 18). Ce qui se traduit par “Neve Shalom” en hébreu et par “Wahat as-Salam” en arabe. C’est cette phrase qui a inspiré le fondateur du village, Bruno Hussar, un prêtre dominicain issu d’une famille juive et citoyen d’Israël.
C’est en 1970 que cette utopie contemporaine débute. Ce sont les prêtres du monastère voisin de Latroun qui louent les terres pour le projet, il s’agit d’un terrain de 20 hectares, qui se trouve à égale distance de Jérusalem, Tel-Aviv et la ville palestinienne de Ramallah. Ces terres sont alors un no man’s land, personne ne les habite ni ne les cultive depuis l’époque byzantine. En 1977, les premières familles juives et arabes viennent s’y installer dans un esprit de communauté et de coexistence fondé sur l’acceptation mutuelle, le respect et la coopération. Le but n’est cependant pas de se ressembler car chaque personne demeure fidèle à sa propre identité nationale, culturelle et religieuse. D’ailleurs depuis toutes ces années, le village n’a marié qu’un seul couple mixte, une Juive avec un Palestinien. Une bonne cohabitation ne veut pas dire une fusion.
Neve Shalom héberge une soixantaine de familles et il y a 34 nouvelles maisons en cours de construction. Pour avoir la chance d’y habiter, il est possible de faire une demande. Et la liste d’attente est longue ! Pour habiter ici, il faut partager une conviction : celle que les citoyens arabes (20,7 % de la population israélienne) devraient être les égaux des Juifs dans ce pays. La vie quotidienne de la communauté est organisée sur des bases démocratiques. Le village emploie autant de femmes que d’hommes, autant de Juifs que d’Arabes, autant d’habitants du village que de gens venus de l’extérieur. Parité, parité, parité.
Une école très spéciale en Israël
La soirée de Noël/Hanoukka/naissance de Mahomet est organisée par l’école du village. C’est la directrice qui accueille parents et enfants. Il s’agit d’une école primaire assez unique en son genre car elle fut la première en Israël à proposer un enseignement bilingue et biculturel. Pendant six ans, les enfants juifs et arabes suivent une éducation commune. Ça peut paraître banale, mais en Israël ça ne l’est pas, car en temps normal les enfants juifs et arabes ne vont pas à l’école ensemble…
Ils vont dans des écoles différentes. Les écoles “juives” sont divisées en trois groupes : les écoles laïques, religieuses ou ultraorthodoxes. L’éducation se fait en hébreu (les Juifs israéliens ne parlent généralement pas l’arabe). Les Arabes, qu’ils soient musulmans, chrétiens ou druzes vont dans des écoles où l’éducation est dispensée en arabe (les Arabes israéliens parlent cependant généralement l’hébreu quand même).
Mais à Neve Shalom, dès la première classe, l’hébreu et l’arabe sont enseignés. Les enfants apprennent les traditions, la littérature et la culture des deux “clans”, l’idée étant de concilier les deux cultures. La connaissance et la compréhension des différences est au cœur du projet éducatif de Neve Shalom. Selon le vœu de Bruno Hussar, les enfants juifs et arabes y sont éduqués dans la compréhension de leurs différences, “pour les rendre capables de la paix dont nous avons nous-mêmes été incapables”.
Pendant la fête, je discute avec quelques parents. Ils m’expliquent leur choix d’inscrire leurs enfants dans cette école.
“Je voulais qu’elles aillent à l’école avec des enfants juifs, pour qu’elles voient comment ils vivent, pour qu’elles se sentent à l’aise, pour leur apprendre à savoir vivre ensemble. Dans cette école, les choses sont centrées sur les relations. Ce soir, l’une de mes filles va dormir chez sa copine juive”, me dit Abir, la mère de Nara, Amalie et Céline, trois petites filles musulmanes.
“Cette école offre quelque chose de différent, les autres écoles n’ont comme focus que les notes. Dans cette école il y a d’autres valeurs, comme la tolérance. On apprend à accepter la différence, les enfants ne se moqueront jamais de qui que ce soit de différent. Il ne s’agit pas de religion ou de politique au quotidien, ici tu ne vois pas un enfant juif ou arabe, tu vois juste des gosses. Des gosses qui apprennent la valeur de la démocratie, des gosses qui apprennent les droits de l’homme, des gosses qui apprennent qu’on est tous humains. C’est une expérience sociale”, m’explique la mère d’Ila et Maya, deux petites filles juives.
“Je pense qu’apprendre l’arabe est très important, les Juifs devraient parler arabe, il y a plus de 20 % d’Arabes en Israël. Ma fille comprend l’arabe, même si elle est encore un peu timide pour parler, elle le lit et l’écrit”, ajoute-t-elle.
Mais que se passe-t-il alors quand les enfants quittent l’école primaire pour rejoindre le système éducatif traditionnel ? “Quand ils quittent l’école primaire, ils deviennent des ambassadeurs. Ils transportent le message du village à l’extérieur. Ils en sortent avec des compétences qu’ils n’auraient pas eues ailleurs”, me raconte Adas, la mère de Yogev, un petit garçon juif de 8 ans.
Depuis, cette école en a inspiré quatre autres dans le pays. Mais “l’école de la paix” n’est pas réservée aux seuls enfants. Les adultes en ont eux aussi bien besoin. De nombreuses conférences et séminaires forment chaque année de nombreux adultes à la médiation de conflits, et ceux-ci œuvrent ensuite dans des ONG en Israël et en Palestine comme “facilitateurs de paix”. Des programmes variés de rencontres entre Juifs et Palestiniens visant à promouvoir la connaissance, la compréhension et le dialogue entre les deux peuples sont organisés. Le village accueille aussi un centre spirituel pluraliste, le Doumia-Sakinah, qui propose des enseignements ouverts sur toutes les religions. Des activités y sont ainsi organisées : dialogue, étude ou encore méditation.
Une renommée internationale
Le village a été sélectionné pour le prix Nobel de la paix 1988 et a été récompensé en 1993 par le prix Niwano de la paix. Anecdote amusante, en 2006, Roger Waters, ancien membre des Pink Floyd avait délocalisé à Neve Shalom le concert qu’il devait donner à Tel-Aviv, attirant dans ce tout petit village plus de 40 000 personnes. “J’ai fait changer le lieu du concert, qui aura lieu à Neve Shalom-Wahat as-Salam en signe de solidarité avec les voix de la raison, palestiniennes ou israéliennes, qui cherchent une voie non violente pour une paix juste”, avait-il déclaré.
Mais on ne célèbre pas toutes les fêtes ensemble…
À Neve Shalom, on discute de tout. Mais il reste cependant une fête que Juifs et Arabes ne peuvent célébrer ensemble. Il s’agit de la fête d’indépendance d’Israël, très problématique car joyeuse pour les Juifs et triste pour les Arabes,“Al Nakba”, jour de catastrophe…
Quant aux moments difficiles de guerre entre Israël et Gaza, une mère m’explique: “Beaucoup d’Arabes, ici, ont de la famille à Gaza. Ici on utilise ce genre de moments critiques pour se rappeler pourquoi on est là, et qu’on doit continuer à communiquer. On parle de droits de l’homme, de démocratie, et dans ces moments-là, c’est notre empathie qu’on met en avant, bien plus que nos avis politiques”, dit-elle.
“Des ponts, pas des murs” : voilà quel pourrait être le slogan de ce lieu unique et magique de coexistence en Israël. Un lieu plein d’espoir pour ce pays à la politique contestable où est pourtant née ma mère, que je garderais toujours dans un coin de ma tête et de mon cœur.
Dora Moutot à Neve Shalom-Wahat as-Salam, le 24 décembre 2016
Pour en savoir plus sur Neve Shalom-Wahat as-Salam, trois documentaires à voir :
Pour vous rendre sur place :
À compter d’avril 2017, la compagnie aérienne française XL Airways reliera Paris-CDG à Tel-Aviv avec deux vols directs par semaine. Billets à partir de 199 euros TTC aller-retour, bagage en soute et repas compris. Infos et réservations : xl.com ou en agence de voyage.