Être indé est devenu une mode
Aujourd’hui, la galaxie culturelle se voit à travers un filtre Instagram et les gosses cherchent Cassiopée sur leur smartphone. Amère désillusion. À mon goût, la dénomination “indie” n’a plus vraiment de sens. Être indé est devenu une mode, une culture sponsorisée comme une autre. Les petits nouveaux copient grossièrement les rythmiques des Foals, l’élocution de Gainsbourg ou le grain d’Alt-J. Les textes de voyage, d’amour à la plage, les guitares en palm-mute et les synthés french-touch résonnent sur toutes les scènes françaises.
Tous les jours des disques font irruption, des clips par dizaines demandent notre attention, des artistes émergents se battent sur les réseaux sociaux pour obtenir un like, un partage, une ligne dans un grand média. Ce combat quotidien, cette supplique incessante, ce culte de l’attention, c’est la nouvelle manière de faire de la musique. La voie officielle.
Créer la musique qui doit plaire au public. Composer un morceau qui va le faire danser. Un autre plus calme aussi, parce qu’un morceau calme dans un set, c’est bien. En espérant que les gens applaudissent fort à la fin. Qu’ils crient, peut-être. Mais qu’ils likent la page Facebook, surtout. C’est le mot d’ordre.
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L’ère de la boulimie du partage
Mais devant cette nébuleuse, cette fièvre du succès et cette boulimie du partage, j’ai comme un goût amer dans la bouche. J’ai comme l’impression d’un désenchantement. Un trop plein. Aujourd’hui, la plupart des disques que j’écoute sonnent faux, fades. Les morceaux s’enchaînent sans laisser aucune trace à l’intérieur. Aucune réminiscence, aucune vision, aucune réflexion, néant.
À certaines heures, ma timeline ressemble à une page de publicité en continu, où l’on vend sa musique comme l’on vend son âme. Voire son corps. J’ai parfois l’impression que l’on compose comme on mate un porno. À la va-vite, parce que ça ne coûte rien et ça détend.
En live, mis à part ceux que j’ai choisis, rares sont les artistes qui me vont droit au cœur. Qui me prennent aux tripes, me retournent le bide. J’ai l’impression de voir des clones, qui en vain s’agitent dans les airs et répétant des refrains périmés. Do, sol, la, fa…
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Même Sigur Rós, groupe que j’aime tant, me semble entrer dans cette optique. Leur dernier album, Kveikur, est grinçant et froid. Leur pureté pourtant si belle paraît affectée par des années de trop longues tournées. Leur son est lourd, presque industriel. Quelle tristesse, pour moi qui ai tant pleuré devant le mystique et sauvage ().
Comme quoi, même les plus grands perdent un jour leur innocence tant choyée. J’ai eu le même ressenti avec Reflektor, le dernier album d’Arcade Fire qui, après maintes écoutes, me semble tourner en rond, sans aller à l’essentiel. Pas un seul frisson, pas une larme. Que reste-t-il de la ferveur et de l’intensité de Funeral ?
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Le dernier Daft Punk est, à mon avis, l’exemple parfait : la production est irréprochable, les musiciens sont excellents, rien n’est à côté. L’ensemble est plutôt agréable à écouter, efficace et facile d’accès. Cependant Random Access Memories n’est qu’un bel objet, rien d’autre. C’est un corps sans âme, un automate dénué de sentiments. Neutre et aseptisé. Au goût du jour.
Et même avec mon groupe Kid Wise, je nous surprends parfois à glisser dans cette politique du “Like”, où le nombre de vues YouTube importe autant que la qualité de la vidéo et où le pouce vert seul décide du talent de l’artiste. C’est la prise de conscience de cette triste réalité qui me mène à écrire ces lignes. Pour réfléchir à la réelle place qu’occupe la musique aujourd’hui dans nos vies.
Aujourd’hui, quelque chose manque. Une chose pourtant si naturelle, si évidente. Là, juste devant nos yeux. C’est l’Honnêteté. La pièce manquante du puzzle. Jouer la musique avec le cœur, et non la tête. Savoir apprécier la différence. Faire rejaillir ce qu’on a dans le bide, et jouer tout d’abord pour nous- même. Car les émotions savent faire le lien avec autrui. Passer d’un cœur à l’autre. C’est là la beauté de la chose.
Aujourd’hui, on ne sait plus comment considérer l’art. Une marchandise, un exutoire ou un bien précieux. À trop vouloir le vendre, beaucoup ont perdu le mystère de son authenticité. Voici mon opinion.
L’art ne s’envisage pas, il se vit
Le besoin de créer doit être une nécessité sinon rien. La musique, et l’art en général est constitué d’assemblages de règles et de codages. Être (artiste), c’est sublimer ce langage pour faire naître celui des émotions.
La musique est animale, son instinct est sauvage. Il faut la laisser venir à nous, l’apprivoiser, ne jamais forcer son approche. Le langage des sons, des couleurs et des mots est muet pour ceux qui n’observent pas. Il faut ouvrir les yeux pour l’imaginer, les fermer pour l’entendre.
Un grand album est semblable à un regard pur, sincère et profond. C’est la voix de cinq heures du matin après l’amour. Les mots délicatement échangés. Au cœur de la nuit et au creux de l’oreille.
Il nous faut redécouvrir l’émerveillement
Retrouver l’innocence première. Avec des oreilles et des yeux neufs, observer le monde comme au premier jour. L’écoute d’un disque doit être une expérience à chaque fois unique. Elle demande une immersion totale et des sens aux aguets. C’est un voyage initiatique, que l’on fait en solitaire.
La composition doit être un éveil de l’esprit au monde des songes. Une danse au corps à cœur. Entre mystique et extase.
Apprécier chaque note comme la première et l’écrire comme la dernière. Il nous faut ne jamais oublier la propriété première de l’art. Crier, Danser, Pleurer.
Nota Bene de l’auteur
Tout au long de cette tribune, j’ai dressé le portrait d’une scène. La dénommée “scène musicale indépendante actuelle”. Le terme “indie” dans la musique désigne pour moi une certaine manière de penser, d’appréhender et d’écrire la musique. Faire abstraction des codes, du consensuel et des traditions. Créer son propre son, loin des refrains populaires à la conscience marketing.
Il me semble qu’aujourd’hui, même cette scène à part est touchée par la déshumanisation de notre société. Victime de son époque. Petit à petit, elle devient une mode à l’esthétique vendeuse. Triste constat. Mais cette tribune n’est pas défaitiste. Au contraire. Si ces exemples ne sont qu’une facette, présentée à la vue de chacun, de l’autre côté de l’iceberg, sur des sentiers plus sombres et méconnus évolue une scène à l’âme réellement indé, où les artistes écrivent la musique qu’ils ont au fond du bide sans se soucier d’un format ou d’une esthétique. C’est cette scène, à mon goût, qu’il faut écouter, qu’il faut soutenir. Partager, propager. Qu’importe sa dénomination. Ce sont les vrais artistes d’aujourd’hui, les créateurs de demain.
Alors merci à Nils Frahm, Lubomyr Melnyk, Peter Broderick, Dustin O’Halloran, Olafur Arnalds, Daniel Lopatin, Tim Hecker, Ben Frost, Colin Stetson, Constellation Records, Sargent House Records, Erased Tapes Records, This Will Destroy You, Caspian, La Dispute, Mono, Nicolas Jaar, Justin Vernon et tous les autres, pour leur honnêteté et leur passion.