Un projet de directive européenne soumis au vote le 20 juin prochain pourrait modifier profondément la face du Web.
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Cette directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, qui pourrait changer la face du Web, était tombée dans l’oubli médiatique. Et pour cause, elle avait été pondue fin 2016. La voilà qui remonte à la surface deux ans après. La raison ? Les parlementaires européens procéderont au vote le 20 juin prochain.
Pourquoi s’alarme-t-on ? Parce qu’une bonne partie de la culture et du partage intrinsèquement greffés à Internet pourraient prendre cher. On parle d’une menace pesant sur les mèmes, les gifs, les parodies, les discussions et même les hyperliens. Avant d’analyser les tenants et les aboutissants, penchons-nous deux minutes sur la directive :
“L’évolution des technologies numériques a transformé la façon dont les œuvres et d’autres objets protégés sont créés, produits, diffusés et exploités. De nouvelles utilisations sont apparues, de même que de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles économiques.”
Sur le constat général, tout le monde sera d’accord. La controverse commence un peu plus bas :
“Dans ce nouveau cadre, les titulaires de droits rencontrent des difficultés lorsqu’ils cherchent à accorder des licences sur leurs droits et à être rémunérés pour la distribution en ligne de leurs œuvres. Cette situation pourrait mettre en péril le développement de la créativité européenne et la production de contenus créatifs.”
12 673 mots plus bas (que cela ne vous dissuade pas de lire ce texte), nous arrivons au très controversé article 13, source de tous les maux, et intitulé “Utilisation de contenus protégés par des prestataires de services de la société de l’information qui stockent et donnent accès à un grand nombre d’œuvres et d’autres objets protégés chargés par leurs utilisateurs”. Extrait :
“Les prestataires de services de la société de l’information qui stockent un grand nombre d’œuvres ou d’autres objets protégés chargés par leurs utilisateurs et qui donnent accès à ces œuvres et autres objets prennent, en coopération avec les titulaires de droits, des mesures destinées à assurer le bon fonctionnement des accords conclus avec les titulaires de droits en ce qui concerne l’utilisation de leurs œuvres ou autres objets protégés ou destinées à empêcher la mise à disposition, par leurs services, d’œuvres ou d’autres objets protégés identifiés par les titulaires de droits en coopération avec les prestataires de services. Ces mesures, telles que le recours à des techniques efficaces de reconnaissance des contenus, doivent être appropriées et proportionnées.”
Une censure praticable ?
En langage courant, ça veut dire que les mèmes, gifs, hyperliens et même les blogs, les remix et certains codes informatiques sont menacés. Par extension, les plateformes comme YouTube, SoundCloud ou même Wikipédia devront mettre en place des systèmes de reconnaissance de contenus qui empêcheront les téléchargements qui violent le copyright.
Une plateforme comme Giphy, qui héberge de nombreux gifs de La Casa de Papel par exemple, pourrait devoir les supprimer. Les 1 700 mèmes et détournements de Rick et Morty sur Imgur pourraient passer sous le joug de la guillotine. Cela paraît aussi absurde que grotesque. Et même impossible. Mais, après tout, on pensait la même chose pour la neutralité du net aux États-Unis. Et pourtant…
Les opposants crient à la censure. En tout premier lieu, le collectif Save Your Internet, formé pour l’occasion. De son côté, L’Electronic Frontier Foundation (première organisation mondiale de défense des droits numériques) a demandé le retrait du texte dans une lettre ouverte et invite les internautes à interpeller leurs eurodéputés avant le vote (au cas où, la liste de nos 74 eurodéputés est ici).
Au-delà de la controverse idéologique, BFMTV a recensé quelques-unes des critiques et les zones d’ombres gravitant autour du projet de directive : il serait très difficile de fournir des listes des contenus à supprimer. Les systèmes de blocage automatiques pourraient “manquer de discernement” et supprimer des contenus qui ne devraient pas l’être, ce qui pourrait considérablement freiner le développement du logiciel libre.
Peut-on vraiment supprimer les coquillages enfouis dans l’océan ? Car les gifs et mèmes, pour ne citer qu’eux, pleuvent et se disséminent par millions sur toutes les plateformes. Mais leur éradication partielle ne serait pas impossible, car les algorithmes de reconnaissance d’images avancent à pas de géants, et même un détournement de détournement de détournement pourrait être automatiquement supprimé. Nicolas Cage doit s’en frotter les mains.
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un projet de directive européenne. Si celle-ci est adoptée, il dépend ensuite de chaque pays de fixer les modalités d’application. Belle cacophonie de lol et de mèmes en perspective.