Pourquoi la colère de Mélenchon contre Assassin’s Creed est une aubaine

Pourquoi la colère de Mélenchon contre Assassin’s Creed est une aubaine

Le dénigrement de la grande Révolution est une sale besogne pour instiller davantage de dégoût de soi et de déclinisme aux Français. Si l’on continue comme ça, il ne restera plus aucune identité commune possible aux Français à part la religion et la couleur de peau.

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Mais pourquoi les sourcils de l’homme politique se sont-ils froncés à cause d’un simple jeu vidéo ? Pour comprendre, il faut remonter à Alexis Corbière, secrétaire national du PG, professeur d’Histoire et le premier à avoir produit l’étincelle de la contestation.
Dans un billet à charge sur son blog intitulé “Les créateurs d’Assassin’s Creed Unity véhiculent une propagande réactionnaire sur la Révolution Française”, l’homme politique accuse sévèrement :

[La bande-annonce] reprend à son compte tous les poncifs contre-révolutionnaires forgés depuis plus deux siècles. Le Peuple de Paris est présenté pour une cohorte brutale et sanguinaire, c’est lui qui produit la violence, toujours lui qui de façon aveugle fait couler le sang, notamment du bon roi débonnaire.

Première amorce : plutôt que le jeu en lui-même, c’est en fait l’un des objets promotionnels de l’œuvre qui en prend pour son grade, et non l’œuvre elle-même. Corbière tape sur ce qu’il nomme “la bande-annonce” d’Assassin’s Creed Unity.
Un trailer d’animation sans aucun passage de gameplay, réalisé conjointement par Tony Moore, dessinateur du comic book The Walking Dead, et Rob Zombie, vedette américaine du rock industriel ainsi cinéaste (on lui doit entre autres les réjouissants La Maison des Mille Morts et The Devil’s Rejects, ainsi que les remakes du Halloween de John Carpenter).
Il est ici :

Cette vidéo, on vous la présentait déjà sur Konbini le 28 juillet dernier, accompagnée de commentaires de ses auteurs. À propos de son œuvre, effectivement bien chargée en violences de toutes sortes, Tony Moore déclarait :

Je savais que travailler à nouveau avec Rob serait fun. Et sur une histoire qui implique des personnages en costume qui se font couper la tête, qui pourrait refuser ?

Une prise de liberté évidente dans le discours, une esthétique volontairement crasseuse et violente… non, cette vidéo n’est pas exactement un cours d’Histoire sur la Révolution française. Aussi, sans vouloir lui faire dire ce qu’il n’a pas dit, on pourrait interpréter les termes du cartoonist comme ceci : la véracité historique passe après les effets recherchés. Soit fiction, entertainement et gore.

Touche pas à mon Robespierre

Mais plus que l’image des révolutionnaires, ce qui n’a surtout pas plu à Alexis Corbière, c’est l’image retorse et manipulatrice de Robespierre (à partir de 2:57 environ). Il dénonce :

Comme de coutume, la caricature le plus bestiale concerne Maximilien Robespierre qui est présenté comme « bien plus dangereux que n’importe quel roi », « des familles entières furent détruites à cause de Robespierre », cette vidéo va même jusqu’à affirmer qu’avec lui « il y eut des centaines de milliers de morts et des rues entières remplies de sang ». J’en passe. Je vous laisse juge.

Il poursuit, accusant carrément Ubisoft de plonger tête la première dans le révisionnisme de la Révolution :

Après avoir regardé cette vidéo, le joueur peu averti en tirera la conclusion que la Révolution Française fut finalement une monstruosité, un bain de sang incompréhensible, conduite par des brutes, qu’il aurait fallu éviter. […] Les créateurs de ce jeu s’inscrivent donc dans ce courant idéologique de plus en plus présent dans les médias qui veut imposer au peuple français un autre regard sur la Révolution Française. C’est affligeant.

Je suis hanté par le personnage de Robespierre, à la fois très mystérieux, imposant, tragique et par moments décevant. Il a été calomnié, vilipendé presque partout. C’est important que ce personnage-là soit mieux compris.

Lorsque les journalistes de Rue89 lui demande pourquoi, il répond “La guillotine, le sang, la dictature…”, avant de le dédouaner de la responsabilité de la dictature. Sans en faire un personnage angélique, il donne sa propre vision de l’homme, guillotiné en juillet 1794 :

Le sang, la guillotine, oui, [c’est sa faute,] malgré lui. Il y a participé, il a envoyé à la guillotine les Cordeliers et les dantonistes. Mais dans le même temps, il s’est toujours opposé – avec succès – à ce qu’on mette en accusation 75 députés girondins. Il est emblématique de la Révolution.
En calomniant Robespierre, en disant que c’est un tyran sanglant, tu calomnies toute la Révolution. Tu la jettes avec lui.

Mais Ubisoft a-t-il vraiment voulu calomnier Maximilien Robespierre ? Interrogé par Le Monde, Antoine Vimal du Monteil, l’un des producteurs du jeu, désamorçait avant même que la polémique n’arrive dans une interview parue mercredi 13 novembre. Il le claironne haut et fort : les anachronismes et autres libertés artistiques sont “totalement assumés”, et de déclarer :Assassin’s Creed Unity est un jeu grand public, pas une leçon d’histoire”.
Par ailleurs, pour élaborer un univers qui soit le plus crédible possible, le studio français a collaboré avec des guides qui ont fait l’École du Louvre, des costumiers, des musées et un historien chargé de trouver des spécialistes. Antoine Vimal du Monteil ajoute qu’Ubisoft a “glané énormément de documentation, du plan de la Bastille à des livres et gravures d’époque”.

Rob Zombie, pas exactement un historien

Après tout, ce n’est pas tant le jeu en lui-même (dont on doute un peu que Jean-Luc Mélenchon ou Alexis Corbière se soient jetés dessus le jour de sa sortie) que la vidéo réalisée par Tony Moore et Rob Zombie qui est accusée par le Parti de Gauche. Aussi, si la vision des révolutionnaires qu’ils donnent est celle de “barbares, de sauvages sanguinaires” selon l’adversaire de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont aux législatives de 2012, c’est probablement parce que c’est tout à fait prévu.
L’imagerie développée par Rob Zombie, très influencée par l’univers des freaks et autres monstres de cirque, a toujours mis un point d’honneur à se rendre parfaitement dégueulasse. Rob Zombie est un fan de films d’horreur et de metal, et c’est aussi simple que ça. Ubisoft, en faisant appel à lui en même temps qu’à Tony Moore, savait très bien à quel rendu s’attendre.
Si vous avez encore des doutes, abandonnez-vous au clip abrasif et désespéré de l’hymne indus “Dragula”, ci-dessous :

Comme nous le rappelle Rue89, Déjà en 2013, Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière s’insurgeaient contre une reconstitution du “vrai visage” de Robespierre. Sur son blog, le candidat à la présidentielle de 2012 déclarait :

 Vieille ruse de l’iconographie, dont je fais les frais plus souvent qu’à mon tour : la laideur du visage est censée révéler la laideur de l’âme ! C’est le but que se proposait Madame Le Pen quand elle a dit de moi, de façon surprenante, que j’avais un “ physique repoussant ”.

Alexis Corbière, lui aussi, parlait alors de “calomnie” orchestrée par “des charlatans”. Robespierre peut ronfler tranquille lors de son sommeil éternel : les gardiens du temple sont là pour assurer que son héritage demeure intact.

Le jeu vidéo, produit culturel comme les autres

Mais si le Parti de Gauche voit rouge contre Assassin’s Creed Unity, c’est aussi une bonne nouvelle pour ce jeu vidéo… mais surtout pour le secteur lui-même. Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière, en montant au créneau contre les imperfections historiques d’un produit de divertissement, le légitiment comme objet culturel.
Dans une mise à jour de son billet, Corbière l’écrit noir sur blanc :

En critiquant un jeu vidéo, et ses partis pris idéologiques, je ne méprise pas l’univers des “Gamers”. Au contraire, je leur rend toute leur noblesse. Les jeux vidéos sont des produits culturels comme les autres et à ce titre ils peuvent être critiqués.

Malgré l’attaque en règle du secrétaire national, il faut lui accorder qu’on est bien loin du mépris ordinaire accordé au jeu vidéo dans les médias, au détour d’un plateau de télévision ou d’une émission de radio. Historiens, écrivains, politiques… Ubisoft ne peut que se réjouir de voir son petit dernier intéresser tout ce petit monde et, ainsi, entériner la légitimation d’un jeu vidéo comme objet culturel.