Jusqu’au 15 juillet 2018, le designer le plus discret de la fashion sphère a droit à sa première rétrospective française, au Palais Galliera, à Paris.
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Le très mystérieux créateur Martin Margiela, diplômé de la prestigieuse Académie royale des beaux-arts d’Anvers, est à l’honneur d’une grande rétrospective. On vous explique pourquoi “Margiela / Galliera 1989-2009” est l’un des événements immanquables de 2018.
Cette expo chronologique, qui revient sur les trente années de la maison de couture de Martin Margiela, est l’occasion de (re)découvrir à quel point le designer belge était d’une avant-garde déconcertante, à travers 130 créations et plusieurs installations et vidéos. Cette première rétrospective française regroupe les pièces iconiques du créateur belge, de ses emblématiques chaussures tabi à ses doudounes-couettes, en passant par sa robe-perruque qui rend hommage à Sonia Rykiel.
Enfant des stylistes japonais et père du déconstructionnisme
Bien qu’il ait la réputation d’être un électron libre, Martin Margiela est souvent associé aux “six d’Anvers”, les six créateurs belges qui ont révolutionné le monde de la mode au cours des années 1980. Ils sont perçus comme des “enfants” des stylistes japonais, et plus précisément ceux de la conceptuelle Rei Kawakubo et du ténébreux Yohji Yamamoto.
Tous formés à Anvers, en Belgique, les six créateurs et Martin Margiela sont considérés comme les précurseurs du déconstructionnisme. Ce courant tend à redéfinir le rôle des vêtements, ainsi que la façon de les porter. Il est souvent associé au “démontage et remontage” des vêtements, laissant apparaître coutures, ourlets et autres éléments intérieurs. Ce style, apparu à la fin des années 1980, mêle punk et avant-garde japonaise. Certaines des créations exposées au Palais Galliera nous bluffent ainsi par leur incroyable intemporalité.
Le plus célèbre des anonymes
Considéré comme le fils spirituel de Jean-Paul Gaultier, Margiela travaille aux côtés du créateur français dès 1984, et ce jusqu’à la création de sa propre marque, très sobrement appelée “Maison Martin Margiela”, en 1988. À cette époque, la mode, qui starifie mannequins et designers, use également des logos à outrance. Mais parce que Margiela n’a jamais rien fait comme personne, il décide de devenir l’homme de l’ombre de la mode en refusant de montrer son visage ou de donner la moindre interview. Depuis toujours, le designer belge rejette le culte de la personnalité, pourtant caractéristique de la mode des années 1980.
Les créations de la Maison Margiela ne révèlent ni logos, ni griffes sur leurs étiquettes, et les défilés de la marque détonnent par la sobriété de leur mise en scène. Martin Margiela préfère qu’ils se tiennent dans des lieux de Paris plus ou moins underground − station de métro, parking, club −, et privilégie le street casting pour recruter ses mannequins. Des choix atypiques qui appuient la démarche avant-gardiste du créateur, comme en témoignent les podiums actuels de marques telles que Vetements ou Y/Project.
“Le vêtement passe avant tout”
L’anonymat deviendra le maître mot du designer belge, qui refuse de se mettre en avant et veut voir les mérites de sa marque revenir au collectif. Un parti pris qu’il applique jusque dans certains de ses défilés, où les mannequins sont dissimulées par une sorte de cagoule-masque conçue à partir de bas, qu’elles enfilent sur leur tête. Pourquoi masquer ainsi ses modèles ? Parce que Margiela, pour qui le vêtement passe avant tout, souhaite que l’attention soit principalement portée sur ses créations.
Et on comprend rapidement pourquoi avec cette exposition, qui permet de redécouvrir la manière dont Margiela s’amuse avec les matières. Le créateur belge utilise régulièrement des matériaux inhabituels tels que du Plexiglas, des sacs-poubelle ou des bâches, pour concevoir ses pièces. Des assiettes brisées deviennent un gilet, tandis que des ballerines se transforment en un sac de soirée. Une approche conceptuelle qui rend sa mode totalement surréaliste.
Un précurseur de l’upcycling
Si les créateurs de mode se sentent aujourd’hui de plus en plus concernés par l’urgence écologique, Margiela prône le recyclage depuis ses débuts. Alors que le “powersuit” de Thierry Mugler et Claude Montana − pour ne citer qu’eux − affolaient les podiums des eighties, Margiela, lui, transformait des chaussettes militaires en pull, et des gants de cuir en corsage bain-de-soleil.
Le designer belge décompose pour mieux recomposer, faisant ainsi de chaque pièce une œuvre “déconstructurée” à part entière. Son travail artisanal vise à reprendre de vieux vêtements hétéroclites afin de les refaçonner à sa manière. Margiela s’amuse à rendre visible tout ce que la mode souhaitait jusqu’alors dissimuler.
Tout au long de sa carrière, il n’a cessé de réutiliser l’ancien. Dans les années 1990, après dix ans de création, le designer va même jusqu’à rééditer ses pièces préférées en les teignant en gris, car pour lui “ce qui est bien reste bien”. Une façon d’aborder la mode qui s’inscrit à merveille dans l’air du temps. C’est aussi en cela que le travail avant-gardiste de Margiela donne, aujourd’hui encore, beaucoup à réfléchir.
Sa mode a interpellé les intellectuels dès le départ, tant il ne cesse de remettre en question les pratiques du métier. Son approche anticonformiste a fait de lui le “créateur des créateurs” – les designers d’aujourd’hui continuent d’ailleurs à s’en inspirer.
Ainsi, les bottes-leggings de Demna Gvasalia pour Balenciaga, ou les pulls en laine oversize et déchirés de Raf Simons en 2016, ne sont pas sans rappeler certaines créations de Margiela. Deux exemples parmi de nombreux autres, que l’on peut retrouver tout au long de l’exposition.
Si la mode du créateur belge a toujours interpellé la fashion sphère par son authenticité, cela n’a jamais empêché son succès commercial ni sa reconnaissance. La Fédération française de la couture a d’ailleurs décerné à la Maison Martin Margiela l’appellation “haute couture”, en 2012.
Pour découvrir ces créations et l’ensemble de l’œuvre de Martin Margiela, qui a quitté sa propre maison fin 2009, rendez-vous au Palais Galliera jusqu’au 15 juillet 2018. Plus d’infos sur le site officiel du musée.