“Je n’ai rien contre les étrangers, mais je leurs dis : si vous venez dans notre pays, ne vous attendez pas à ce que vous soyez pris en charge, à être soignés, que vos enfants soient éduqués gratuitement, maintenant c’est terminé, c’est la fin de la récréation.”
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En gros, quand quelqu’un commence par ce début de phrase, tu peux être sûr qu’il va pondre une connerie dans la foulée. Marine Le Pen ne déroge pas à la règle. Ce n’est pas validé scientifiquement à 100 %, mais c’est une méthode imparable pour repérer les gens aux idées sentant un peu le renfermé et la charentaise. Mécanique intellectuelle identique au fameux “Je ne suis pas raciste, car j’ai un ami arabe/noir/vegan/qui dit “La WIFI” qui {INSÉREZ ICI UN TRUC BIEN FRANÇAIS}”. Les repas de Noël approchent, testez-cette méthode en famille entre la bûche et le champagne, vous m’en direz des nouvelles (hashtag Astuce).
“Je n’ai jamais eu l’impression d’être une exception”
Je m’égare, je vais revenir au fond de son propos en m’appuyant sur mon histoire personnelle, celle d’un enfant né en Algérie en 1985 et qui atterrit en 1993 dans un village du Sud-Ouest sans parler un mot de français et qui écrivait de droite à gauche. Des parcours comme le mien ? Il y en a des milliers ! Je n’ai jamais eu l’impression d’être une exception.
On quitte l’Algérie, en proie à la menace terroriste qui mettra le pays à genoux pendant près d’une décennie. Mon père – qui n’est plus de ce monde – avait senti la violence dévastatrice pointer le bout de sa Kalachnikov à la fin des années 1980 et il a décidé de quitter l’Algérie pour tenter d’offrir un destin de l’autre côté de la Méditerranée à sa femmeet ses quatre enfants.
On gagne une première fois au loto. Il obtient un visa et réussit à s’installer dans un petit village de Haute-Garonne grâce à une famille française bienveillante de colons* ayant fui l’Algérie à l’aube de l’indépendance et avec qui mon père avait gardé contact. (* À ne pas confondre avec ceux qui torturaient impunément. N’EST-CE PAS ! P’tit clin d’œil au padre Le Pen).
Déraciné, il s’installe seul, sans un sou, trouve du boulot dans une exploitation agricole, un modeste logement et a pour seuls compagnons sa force de travail et l’espoir d’un avenir plus radieux. Rien de plus.
Quelques années plus tard, on gagne une deuxième fois au loto : nous pouvons le rejoindre, grâce à une loi qui donne de l’eczéma à Florian Philippot : le regroupement familial. La chance nous a épargné une traversée en Zodiac, nous avons quitté l’Algérie en avion, en toute légalité après de très très longs mois de démarche administrative.
Pour résumer le concept du regroupement familial : cette loi permet à une famille de construire un avenir commun en France. En poussant la comparaison, la famille Le Pen a également fait son propre regroupement familial en mettant la main sur le parti qui se vante d’être le porte-voix d’une “démocratie muette”.
Je reviens à mes moutons. On débarque alors dans ce modeste village comme une babouche sur le cassoulet. Sans klaxon, ni drapeau de l’Algérie.
“Des cours particuliers ? On va les payer avec quoi ?”
On ne parle pas un mot de français (à l’époque y’avait pas de smartphone et de Google Traduction) mais on doit vite apprendre, pas le choix. Des cours particuliers ? On va les payer avec quoi ? On se rabat alors vers un truc qui s’appelle “l’école républicaine”. On me l’a vendu comme un truc cool, alors j’y vais faire un tour. Je pousse la porte et je m’installe au fond de la classe sans rien demander – de toute manière je parlais pas français, c’était vite réglé. Ça me plaît. J’atterris alors dans une classe de 25 élèves , ils ont l’air sympas. Alors, le lendemain j’y retourne avec encore plus d’enthousiasme. Je prends mon cartable offert gracieusement par la mère d’un camarade. Y’avait un peu de rose, mais je m’en foutais, j’avais un cartable ! Et comme je ne comprenais pas le français, je m’épargne les moqueries dans la cour.
Je découvre par la même occasion la cantine. Je comprends grâce au dessin sur un tableau à l’entrée du réfectoire que c’est du porc. J’en mange pas, merlich, je reste dans mon coin, ne réclame rien à la dame avec la charlotte sur la tête et prend trois portions de pains. J’ai alors 8 ans et je commence déjà à voler le pain de la bouche des Français ! La législation sur la double ration de frites n’était pas encore en vigueur.
Les jours passent, mon ventre se remplit, tout comme mon cartable grâce la générosité de certains parents d’élèves et la bienveillance des institutrices. On m’offre une trousse, des stylos, des livres. Puis des cahiers de vacances que mes camarades n’ont pas voulu faire (aujourd’hui, je comprends pourquoi). Je prends goût à la lecture et à l’écriture. Du haut de mes 8 ans, je profite déjà du système et de la solidarité nationale en bon étranger qui se respecte. Je n’ai rien mendié et encore moins “exigé”, j’ai juste apprécié ces petits gestes d’humanité et de bienveillance. Je n’étais pas un migrant à leurs yeux, juste un enfant.
Me voilà donc avec le cartable rempli de livres et cahiers comme Dora l’exploratrice, mais il y a un gros gros problème : je ne sais toujours pas lire et écrire correctement après six mois. Et là, vous n’allez pas me croire. Je gagne une troisième fois au loto ! Incroyable (c’est l’jeu, ma pauvre Lucette). Je rencontre une voisine, une grande dame, catholique pratiquante avec une foi et une humanité immense chevillées au corps. Elle me tend la main pour me permettre de rattraper mon retard scolaire. Je m’y colle. Semaine après semaine, mon niveau scolaire s’améliore, lentement mais sûrement. Je suis toujours seul au fond de la classe mais je comprends désormais ce qu’apprennent les autres.
J’arrive désormais à lire le tag “Mort aux vaches” sur un mur près de l’école. Je me demandais pourquoi les gens en voulaient à des vaches ? Je m’accroche à cette école républicaine. Je l’aime bien. Je ne le sais pas à l’époque, mais elle est imparfaite. C’est elle qui me l’a appris en me faisant découvrir Bourdieu. Mais c’est pas grave, faut s’y accrocher, croire en elle. Alors, je m’accroche. C’est pas un sprint, c’est un marathon qui s’annonce. Elle offre gratuitement tant de savoirs, alors j’absorbe tout ce que je peux absorber. Je profite encore et encore du système.
“L’école républicaine m’a permis de devenir un citoyen français”
Puis au fil des années, avec l’école, on passe d’une “relation compliquée” à “en couple”. C’est sérieux. Relation qui va durer jusqu’à un master 2 en Sciences du sport (ça en jette, hein ? En fait, c’est STAPS). Elle me fait confiance, elle me permet d’avancer en construisant un projet de vie. Alors, avec toutes mes lacunes, je lui fais honneur. Je m’accroche car elle m’aide avec ses bourses. Chaque début de mois, c’était l’épreuve finale de Fort Boyard avec le CROUS. Je profitais du système. Elle sait qu’un jour, je rembourserai ma dette. Que je paierai des impôts qui lui permettront d’aider d’autre enfants fragiles, d’autres famille vulnérables. Elle m’aide et j’en suis conscient et reconnaissant. Je sais que je vais trouver un travail après mes études, elle me le répète depuis le début, elle me dit aussi qu’elle est garante de “l’égalité entre tous”. Alors, j’y crois. Je lui fais totalement confiance.
J’aborde fièrement l’entrée dans le monde du travail. Puis arrivent les première désillusions, les galères pour trouver un logement, un stage (même non rémunéré) et je ne parle pas des dizaines de CV restés sans réponses. Bac +5 en poche, j’étais comme un portable chez Free Mobile : j’avais un petit budget mais pas de réseau. Il en fallait plus pour me décourager. On serre les dents, demain est un autre jour. On fait l’bilan, calmement mais sûrement. On attend son tour.
Puis, au fil des rencontres, on s’ouvre à d’autres horizons, on met les pieds dans le monde du travail. On s’enrichit des gens. On décroche notre premier CDI, on paye ses impôts. On découvre les joies de la recherche d’appartement quand on a un nom qui sent la corne de gazelle. Mais c’est pas grave, je suis pas rancunier. On attend son tour. J’ai confiance en la France.
L’école républicaine m’a permis de devenir un citoyen français. Elle m’a appris à ne pas haïr. Elle m’a permis de me cultiver, de m’ouvrir sur le monde qui m’entoure, de ne pas avoir peur de l’autre. Elle m’a permis de me construire sur mon identité plurielle : un Algérien fier d’être français (et inversement). Elle a fait tout ça gratuitement tout en m’aidant à poursuivre mes études.
Enfant de l’école républicaine, sans elle je n’aurai pas pu écrire ces modestes lignes pour dénoncer les impostures du FN. C’est peut-être ça le plus bel hommage que je peux lui adresser. Migrant en 93, Français depuis 2001, aujourd’hui j’ai fondé une famille, j’ai un travail, je participe à faire vivre le “système” avec mes impôts et j’ai un petit accent toulousain(g). Qu’est-ce qu’il faut de plus pour être “intégré” ?