Cela fait quatre ans qu’il vit d’émojis et d’eau fraîche en s’occupant à plein temps d’un site entièrement consacré aux petits pictogrammes. Entreprise futile ? Jeremy Burge nous assure que non.
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De la curiosité à l’encyclopédie
C’est parce qu’il a le travers de s’intéresser aux petits détails du quotidien plutôt qu’aux grands problèmes de ce monde qu’il s’est inventé ce métier tout à fait improbable. L’idée germe en 2013. À l’époque, Jeremy Burge vit encore en Australie. Côté professionnel, il est consultant auprès des universités et les conseille sur leur stratégie Web. Dans sa vie personnelle, il vit une romance avec Apple : il tient un blog sur les Mac et enchaîne les histoires avec les iPhones. Cela fait un moment déjà qu’il est témoin d’un spectacle fascinant mais impénétrable : parfois, de nouveaux émojis débarquent sur son smartphone quand il met son OS à jour. La petite curiosité qui le picotait devient démangeaison. Il commence à se renseigner. Et tombe dans la marmite.
Quatre ans plus tard, son site Emojipedia est devenu la référence absolue en matière d’émojis. Comme sur Google, un champ de recherche simple et imposant domine la page d’accueil. En contrebas, des catégories et des indices de popularité. Ces voies d’accès permettent de consulter les états-civils des 2 666 émojis officiellement reconnus. Chaque fiche comporte une petite explication et affiche les différentes déclinaisons des pictogrammes. Car, et c’est là toute la complexité, un même émoji ne s’affiche pas de la même façon sur Facebook, Android, iOS, Samsung, etc. Esprit d’encyclopédie oblige, il est aussi possible de mesurer l’évolution de chacun des émojis à travers les âges. En marge, le blog d’Emojipedia salue les derniers arrivés et relaie quelques émoji-potins. Pour les plus motivés, Jeremy Burge a créé, il y a plus d’un an, Emoji Wrap, un podcast audio. Il fédère en moyenne 5 000 auditeurs par épisode. Le site est principalement visité par des Américains, des Anglais et des Canadiens. Les Français n’arrivent qu’en huitième position, derrière les Philippins.
Les émojis, c’est sérieux
En quatre ans, la vie de Jeremy Burge a bien changé. Le jeune homme de 33 ans a posé ses valises à Londres et ne conseille plus les universités. Il a troqué sa casquette d’entomologiste dilettante : il est aujourd’hui rédacteur en chef à plein temps d’Emojipedia. Quatre free-lances à temps partiel l’accompagnent : deux personnes pour le volet technique, un “social media manager” (le terme un peu plus chic qui a remplacé “community manager”) et un designer. On s’en étonne, il s’en offusque presque. Les émojis, dit-il, méritent toute notre attention. Ils ne cessent de prendre de l’importance dans nos échanges et dans notre imaginaire.
Force est de lui donner raison : les émojis font très souvent parler d’eux. Les linguistes les scrutent avec fascination. Ils font écho à des sujets de société – des pigments de cheveux aux représentations des armes. Moby Dick (en intégralité) et La Bible (en partie) ont été traduits en émojis. En 2015, l’émoji qui rit aux larmes (😂) a été élu mot de l’année par l’Oxford Dictionary. La semaine prochaine, Le Monde secret des Emojis, un film d’animation grand public sortira en salle – Jeremy Burge était évidemment convié à l’avant-première. Et dans le futur, traduire du langage naturel à l’émoji pourrait devenir un vrai métier – on a d’ailleurs oublié de lui demander s’il avait participé au comité de recrutement.
Les émojis, c’est aussi lucratif
Cette encyclopédie de moins en moins confidentielle attire six millions de visiteurs uniques par mois. Ce qui permet à Emojipedia, grâce à la publicité présente sur le site et dans la newsletter, d’être rentable. Expert reconnu, Jeremy Burge tient aussi, quoique rarement, des conférences rémunérées. Combien rapporte exactement ce business des émojis, nous ne le saurons pas. Mais, en bon entrepreneur, Jeremy Burge contribue activement au développement de l’émoji-système. En 2014 par exemple, il a eu l’idée du “World Emoji Day” : une journée où les émojis sont célébrés dans le monde entier. Le 17 juillet dernier, la grande fête a battu son plein sur Internet avec le hashtag #WorldEmojiDay et dans les cieux new-yorkais qui ont vu l’Empire State Building projeter un éclairage jaune-émoji. Un hommage inespéré pour l’initiateur de cet événement.
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La sous-section émoji jouit d’un certain pouvoir. Le bureau regroupe des entreprises de la tech américaine, des gouvernements, des institutions et des particuliers spécialisés qui se réunissent quatre fois par an pour décider ou non de l’intégration d’un nouvel émoji. Chacun peut soumettre un nouveau pictogramme à l’Unicode, mais c’est tout sauf facile, en témoignent les tribulations du petit ravioli chinois scruté à la loupe par des linguistes et des ingénieurs. Une fois l’émoji validé, charge aux designers des grandes marques de l’ajouter à la panoplie existante et de le proposer par la suite aux utilisateurs.
Argent, pouvoir et quasi-célébrité… tout ça commence à faire beaucoup pour un seul homme. Quand on lui demande si cette passion dévorante a déteint sur sa vie privée, Jeremy Burge se veut rassurant. C’est tout le contraire. À la maison, sa fiancée, ravie, le sollicite régulièrement pour le choix stratégique des émojis à placer dans ses messages. Et puis lui-même semble être resté très terre à terre, fidèle à des valeurs simples. En témoignent ses émojis préférés, qu’il consent à partager publiquement, qui ne transpirent pas la grandiloquence :