Depuis bientôt dix ans, la famille Kardashian est tous les jours en première page des tabloïds. Derrière ce phénomène people hors du commun se cache une stratégie commerciale élaborée.
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“Les Kardashian sont connues pour être connues, elles n’ont aucun talent.” Depuis de nombreuses années, cette phrase est martelée pour discréditer l’omniprésence médiatique de cette famille hors du commun. En réalité, le clan Kardashian fonctionne comme une véritable entreprise et en moins de dix ans, Kris Jenner, la “momager” (contraction de “mom” et de “manager”) a su ériger un empire qui pèsera bientôt un milliard de dollars.
Comment Kim, Kourtney, Khloé, Kendall, Kylie, les reines du drama et du too much ont pu s’imposer en véritables égéries lifestyle à travers le monde ? Peut-on décrypter la stratégie et le business model qui leur a permis d’augmenter de façon exponentielle leur degré d’influence au fil des ans ?
Scandale, sexe, argent : la genèse d’un phénomène
Impossible d’aborder les Kardashian sans dresser un rapide portrait de l’intrigante Kris Jenner, la mère, l’ultime maestra de cette organisation matriarcale. Née à San Diego en 1955, Kristen Mary Houghton fut élevée par sa mère et sa grand-mère (son père ayant plié bagage alors qu’elle avait à peine sept ans, un épisode qui est décrit comme un véritable traumatisme dans ses mémoires). Kris passera la plupart de son temps libre dans la très chic boutique familiale, dans laquelle on pouvait trouver des objets de décoration et des bougies.
Devenue adolescente, la jeune femme a soif d’ailleurs. Kris deviendra alors un temps hôtesse de l’air, avant d’épouser en 1978 un riche entrepreneur et avocat de près de douze ans son aÎné, Robert Kardashian. Cet homme, petit et moustachu, lui offrira une vie de luxe, dans une demeure juchée sur les collines huppées de Los Angeles.
Robert Kardashian marqua l’histoire judiciaire américaine puisqu’il fut l’un des cinq avocats d’O. J. Simpson, entre 1994 et 1995. C’est d’ailleurs David Schwimmer, (Ross dans Friends) qui campe son rôle dans la série American Crime Story, qui retrace la sordide affaire dans laquelle la star de football américain fut accusée du double homicide de son ex-femme Nicole Brown Simpson et de son compagnon.
Kris se sépare définitivement de Robert en plein procès puisque, selon elle, il défendait l’assassin de sa meilleure amie (ils avaient divorcés en 1991, mais continuaient à élever leurs enfants ensemble). Oui, dans le genre “drama”, ils ne font pas semblant. En 2003, Robert Kardashian succombera à un cancer foudroyant laissant son ex-femme et ses quatre enfants, Kim, Kourtney, Khloé et Robert Jr., dans une profonde tristesse.
Mais pas question pour Kris de se morfondre. De toute façon, dès l’année de son divorce, elle s’était remariée avec le champion de tennis Bruce Jenner, avec qui elle a eu deux filles, Kendall et Kylie. Si de son vivant Robert Kardashian voulait que ses enfants s’éloignent du star system comme de la peste en suivant de longues études dans des facs prestigieuses, Kris Jenner a d’autres projets…
Aujourd’hui âgée de 60 ans, Kris Jenner se consacre exclusivement au développement du business que représente sa télégénique progéniture. “Ce qui motive Kris ? Le pouvoir, le pouvoir, le pouvoir”, analyse sa propre sœur, Karen en 2013 dans les pages du magazine In Touch. “Et l’argent. Elle est venue au monde en demandant où était sa Ferrari… C’est une addiction qui témoigne de son mal-être. Son vide intérieur ne pourra jamais être comblé”, assène sans ambages Karen.
Programmée depuis toute petite par sa mère Mary Jo (appelée MJ) pour entreprendre et réussir, Kris Jenner n’a peur de rien. Comme le rappelle l’un de ses mottos les plus connus : “Si quelqu’un vous dit non, c’est que vous vous adressez à la mauvaise personne.”
Un sex tape comme rampe de lancement
Le grand public a découvert l’existence de l’aînée du clan, Kim Kardashian, en 2007 au travers d’une sulfureuse sex tape. La séquence de 41 minutes représente la pierre angulaire sur laquelle s’est construit l’empire Kardashian. On y découvre la brunette, alors âgée de 23 ans, en plein ébat avec Ray J, le frère de la chanteuse Brandy.
Aujourd’hui encore, beaucoup d’interrogations persistent autour de cette sex tape. Tournée en 2003, la vidéo a mystérieusement leaké sur Internet en février 2007, par le biais d’une société de production spécialisée dans le porno, Vivid Entertainment. Il est important de relever l’improbable synchronicité puisque Kim K Superstar, le titre prémonitoire du film, est sorti seulement six mois avant la diffusion du premier épisode de Keeping up with the Kardashians, la série étendard de la chaîne E!.
Cette émission servira de catalyseur aux plans de Kris Jenner et fera passer chaque membre du clan de l’ombre à la lumière. Il est aussi important de préciser que là aussi la matriarche est la grande instigatrice de ce projet. C’est elle qui ira frapper, courant 2005, à la porte du producteur Ryan Seacrest pour lui proposer l’idée de filmer sa propre famille pour en faire un show télé, qui serait semblable à celui sur les Osbourne, sur MTV. D’après elle, ses six enfants âgés entre 7 et 26 ans avaient un énorme potentiel. “On pourra toucher les gens de 10 à 100 ans !”, avait-elle alors affirmé au producteur, comme elle le relate dans son livre paru en 2011, Kris Jenner… and all things Kardashian.
De nombreuses sources, dont l’auteur Ian Halperin dans son livre sorti ce printemps Kardashian Dynasty : The Controversial Rise of America’s Royal Family, affirment que c’est Kris Jenner elle-même qui aurait entièrement orchestré l’affaire de la vidéo. La momager aurait assisté au montage de la vidéo et aurait même fait retourner certaines scènes, jugeant la prestation de sa fille pas assez “hot”.
À ce propos, Kris expliqua dans le tout premier épisode de Keeping up with the Kardashians, diffusé le 14 octobre 2007 : “Quand j’ai entendu parler pour la première fois de la sex tape de Kim, en tant que mère j’ai voulu la tuer, mais en tant que manager, je savais qu’il y avait quelque chose à en tirer.” C’est bien là toute la complexité de Kris Jenner. La frontière entre bienveillance maternelle et sens aigu du business est ténue.
Un modèle de family business
“Je ne voulais pas que mes enfants s’éloignent de moi en faisant leur vie chacun de leur côté. Grâce à notre téléréalité on vit et on travaille ensemble”, clame fièrement Kris Jenner dans son autobiographie. La matriarche aux faux airs de pimp a su mettre sur pied un véritable empire financier, qui récolte chaque année des millions de dollars.
Le principal actif de la famille provient de l’héritage laissé par le père, Robert Kardashian, décédé en 2003. Le célèbre avocat a légué 100 millions de dollars (90 millions d’euros) en biens immobiliers à ses quatre enfants. Mais l’argent ne suffit pour Kris Jenner : ce qu’elle veut pour sa famille c’est la reconnaissance et le succès.
Méticuleusement, elle va se muer en femme d’affaires redoutable. Même si le démarrage de Keeping up with the Kardashians fut compliqué, la série a gagné au fil des épisodes un public de plus en plus fidèle. C’est à ce moment que Kris Jenner aura la bonne idée de multiplier dans le show des placements de produits, en collaboration avec des marques “teen” et “girly” : autobronzants (Sunbeam de Kardashian Beauty), comprimés brûleurs de graisse (QuickTrim), soins antiacné (PerfectSkin), vernis à ongles (Kardashian Kolor avec OPI)…
Dès 2009, deux ans seulement après leur première apparition cathodique, les produits estampillés Kardashian sont absolument partout. Si vous avez voyagé pendant cette période aux États-Unis et vu au moins une coupure publicitaire à la télévision, vous avez forcément remarqué leur omniprésence.
L’équation parfaite trouvée par Kris Jenner va lui permettre d’engranger des millions de dollars. Les trois brunettes Kim, Khloé et Kourtney ont rapidement prouvé qu’en s’associant avec n’importe quelle marque, elles pouvaient en faire un hit commercial (et cela bien avant leur utilisation frénétique des réseaux sociaux).
Les Kardashian ont su proposer des produits et services pour absolument tout le monde, avec d’un côté des produits très accessibles (comme leurs lignes de cosmétiques vendues en supermarché ou leurs livres de conseils pour moins de 20 dollars) et de l’autre des prestations exclusives (comme des apparitions dans des clubs de Las Vegas et Dubaï, rémunérées entre 300 000 et 800 000 dollars).
La stratégie du clan est globale et surtout basée sur la monétisation d’un style de vie outrancier et tapageur. “Les Kardashian ont une existence qui font rêver. Les consommatrices pensent ‘Hey, moi aussi je peux devenir une Kardashian en achetant ça et ça !’, explique le journaliste du magazine People David Caplan. Et avec cinq sœurs différenciées, chacun peut désormais s’identifier à une Kardashian.“
Sachant qu’en plus des trois sœurs iconiques, deux nouvelles amazones ont émergé au sein de la famille : Kylie et Kendall. Biberonnées à la téléréalité, les deux demoiselles ont grandi entourées de cadreurs et de maquilleurs. Les deux benjamines ont ainsi été façonnées avec une grande précision afin de plaire à tous les profils : Kendall, 20 ans, grande et élancée sera la caution glamour et chic qui défilera pour les plus grandes maisons de coutures. Kylie, 19 ans, aura quant à elle un style plus tranché, plus edgy. Avec ses excès de chirurgie et sa silhouette surnaturelle, elle se positionnera sur le créneau hype et choc. On aura alors d’un côté le joli cygne blanc doux et délicat et de l’autre “black swan”, à l’attitude plus sombre et volontairement provocante. Là aussi, Kris se laisse un prisme large pour pouvoir exploiter toutes les éventualités et placer ses deux filles sur un maximum de cases de l’échiquier du branding.
Le digital, à fond !
Le clan Kardashian a souvent fait partie des “early adopters” sur de nombreuses plateformes de partage, comme Twitter, Instagram ou plus récemment Snapchat (même si Kim a longtemps traîné des pieds pour rejoindre le réseau).
Le clan cumule plus de 344 millions d’abonnés sur Instagram et 136 millions sur Twitter. Cette assise digitale représente un véritable pactole pour la famille, qui peut négocier en force chacun de ses contrats publicitaires.
Mais depuis 2014, la sphère virtuelle de l’empire Kardashian a pris un shot de Viagra puisque Kim s’est lancée dans un tout nouveau business, qui lui a rapporté selon Bloomberg près de 200 millions d’euros en 2014 : les applications et les jeux pour smartphones.
Avec son jeu Kim Kardashian : Hollywood (qui est resté dans le top 5 des applications les plus téléchargées dans le monde pendant de nombreuses semaines) et ses “Kimojis“, (des emojis sexy qui ont été téléchargés plus de 9 millions de fois par seconde à leur lancement) la brune s’est muée en véritable figure de la Silicon Valley.
“Nous avons proposé notre projet de jeu interactif à Kim Kardashian car elle représente une puissante marque à elle toute seule”, explique Niccolo de Masi, le directeur de Glu, l’entreprise qui a développé le jeu.
Le point fort de Kim Kardashian : Hollywood réside dans le fait que les joueurs voient la star évoluer en temps réel. Très régulièrement, des mises à jour sont réalisées. Intrigues, évènements, vêtements portés… Les fans ont un aperçu de la vraie vie de Kim Kardashian. C’est cette promiscuité entre réalité et digital qui a séduit les millions de personnes qui ont téléchargé le jeu.
Selon Forbes, la plus bankable du clan aurait gagné, en cumulant toutes ses activités digitales, environ 71,8 millions de dollars sur l’année 2015. Petit coup de calculette : l’empire Kim Kardashian empoche près de 5,9 millions de dollars par mois grâce au développement de ses images faites de pixels et d’achats en ligne.
Les reines de la communication
Rien n’échappe à Kris Jenner. C’est pour cela que la “momager” a créé sa propre agence de communication, Kardashian Jenner Communications, qui assure évidemment la promotion de ses six enfants. Et qui dit manager, dit forcément commissions : Kris Jenner empoche en moyenne entre 10 et 12 % de tous les contrats signés par les membres de sa petite famille.
D’ailleurs, ce rapport unique entre mère et enfants avait été moqué dans un épisode de leur émission de téléréalité dans lequel Kris prend Khloé dans ses bras et lui dit : “Je t’aime ma fille adorée”. Cette dernière lui répond alors : “Non mais toi, tu aimes tout ce qui peut te rapporter 10 %.” Bim !
Mais étant donné qu’on n’est jamais assez bien protégé du côté d’Hollywood, Kris Jenner a aussi su s’entourer des meilleurs attachés de presse et conseillers en communication du monde du show business. Dès son arrivée à Beverly Hills, à la fin des années 1970, Kris a très vite compris l’importance du storytelling et du personal branding.
Elle a ainsi pris l’habitude de distiller au compte-gouttes des petites histoires qui permettront d’alimenter quotidiennement la presse internationale. Et là où elle fait encore plus fort, c’est qu’elle arrive toujours à tourner à son avantage les pires situations. Exemple : lorsque son mari Bruce Jenner décide de changer de sexe quelques semaines après son divorce, elle utilise l’événement en mettant en scène une discussion entre celle qui se fait maintenant appeler Caitlyn et ses filles, dans leur émission.
D’ailleurs pour booster les audiences en berne de la septième saison de Keeping up with the Kardashians, Kris aurait même organisé le rapprochement en Kim et Kanye West, d’après Ian Halperin. Voulant à tout prix caser sa fille adorée, Kris Jenner lui aurait proposé une short list de plusieurs noms parmi lesquels se trouvaient : Justin Bieber, le basketteur Nick Young des Lakers (qui fricotera un temps avec Khloé), Matt Kemp de l’équipe de base-ball des Dodgers (qui fricotera aussi un temps avec Khloé…) et… Kanye West.
Étant donné que la frontière entre vie privée et vie publique est inexistante au sein du clan — je vous rappelle que la famille ne cesse d’utiliser la réalité pour alimenter la fiction dans leurs diverses émissions —tout, absolument tout, est communication chez les Kardashian.
Des influenceuses hors pair
Qu’on apprécie ses looks ou qu’on les déteste, on peut clairement affirmer que Kim Kardashian s’est imposéE au fil des années comme une icône de la mode. Photographiée par les plus grands, de Karl Lagerfeld à Patrick Demarchelier en passant par Jean-Paul Goude, celle qui était il y a encore quelques années persona non grata au Met Ball a clairement pris sa revanche.
Le vrai tournant a eu lieu lorsqu’elle a épousé le prince du swag, Kanye West. Véritable génie du design à l’inspiration débordante, l’homme de 39 ans a su totalement transcender l’image de Kim Kardashian en la relookant. En quelques mois, elle est devenue sa poupée IRL. En s’improvisant styliste, Kanye West a défini pour sa femme une nouvelle ligne de mode, en la dirigeant vers des tenues structurées, minimalistes et ultra sexy.
En se changeant trois voire quatre fois par jour pour multiplier les séries de photos envoyées aux rédactions, Kim Kardashian a su faire la différence et taper dans l’œil de créateurs et de personnalités influentes.
Dorénavant, elle est aux premières loges de tous les plus prestigieux défilés. Le couple Kardashian-West est devenu un véritable “power couple”, puisque une fois sa femme confortablement assise au sommet du monde de la mode, Kanye a vite compris qu’il pouvait aussi l’utiliser comme muse ultime pour sa collection de chaussures estampillées Yeezy. Qui de mieux que Kim Kardashian et ses nombreuses sœurs pour faire la promotion de son merchandising ?
Mais d’une façon plus structurelle, Kim Kardashian a offert au monde un nouvel absolu du corps féminin. À travers de multiples interventions de chirurgie esthétique, la pulpeuse brune a totalement modifié la silhouette de référence de notre époque. Kim Kardashian a révolutionné les proportions en poussant à l’extrême la silhouette “sablier” (gros seins, grosses fesses et mini taille). Quitte à devenir une version caricaturale d’elle-même.
Même si elle garde sous silence ses petits secrets pour avoir un corps pareil, Kim et ses soeurettes ont largement contribué à la démocratisation de la pratique du “fat transfert”, aussi connu sous le petit nom de “BBL” (pour “Brazilian butt lift”). En gros, le processus consiste à réaliser une liposuccion des zones grasses de votre corps, pour ensuite réinjecter le surplus de graisse obtenu dans vos fesses. Oui, c’est incroyable.
D’ailleurs, pour prouver que son physique s’est imposé comme une nouvelle norme esthétique, le très respecté Vogue titrait en 2014 un article par : “Nous entrons officiellement dans l’ère des grosses fesses”.
Au demeurant, sur le plus haut trône de la mode, Kim Kardashian n’est jamais assise que sur son boule. À méditer.