Parce que les femmes aussi regardent du porno et qu’elles sont de plus en plus nombreuses à le faire, des lectrices nous ont parlé de leur consommation. Elles nous racontent leurs fantasmes et le regard qu’elles portent sur le sexisme de l’industrie.
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Les statistiques le montrent : les femmes regardent moins de porno que les hommes. L’année dernière, Pornhub évaluait les spectatrices de porno françaises à 26 % du public. Le nombre de femmes regardant du porno est pourtant en constante augmentation, parallèlement à l’émergence d’une pornographie féministe, notamment portée par la réalisatrice suédoise Erika Lust. Ces films pornos-là proposent une vision de la sexualité qui n’est pas sexiste et qui laisse de la place à d’autres visions que l’hétéronormativité.
Les lectrices consommant du porno nous ont raconté quelles vidéos elles aimaient regarder, et quelle place cette pratique tenait dans leur sexualité. Elles ont commencé à différents âges et pour différentes raisons, mais ont toutes trouvé au moins une bonne raison de continuer à regarder des vidéos pornos.
Premier porno : une découverte à tous les âges
Marie a commencé le porno par curiosité : elle avait huit ans, et pas froid aux yeux. Elle a directement “écumé toutes les catégories et pratiques possibles”. D’autres lectrices ont raconté qu’elles avaient, quant à elles, découvert les vidéos à 14 ans, quand leurs hormones ont commencé à les chatouiller. Anna s’en souvient comme d’une bonne époque :
“À cette époque, le désir commençait à se manifester, et je ne savais pas trop comment le satisfaire. Une nuit, j’ai fait un rêve érotique, et mes doigts ont naturellement glissé vers mon sexe. J’ai eu mon premier orgasme. À partir de ce moment-là, j’ai commencé à traîner sur des sites comme YouPorn.”
Mais pour certaines, la découverte fut plus tardive. Léa n’avait pas trop le choix : jusqu’à ses 19 ans, elle vivait chez ses parents, où l’ordinateur familial se trouvait au milieu d’un couloir. Elle regrette donc que les smartphones avec Internet ne soient pas arrivés plus tôt. Elle a dû attendre d’avoir son appartement et son propre ordinateur. Sa découverte du porno s’est donc faite au même âge que Cathy, à 19 ans, mais pas pour les mêmes raisons. Cathy était en couple avec un militaire, qui était alors en mission à l’étranger. Elle l’attendait depuis trois mois :
“C’était long, et je songeais au plaisir. J’ai eu mon premier orgasme en regardant une vidéo, seule, un soir, dans mon lit. Je ne me rappelle plus du contenu de cette dernière, mais la découverte de l’orgasme fut très intense. C’est comme ça que j’ai appris à me connaître, un porno en fond sonore.”
Sarah, quant à elle, a découvert le porno à cause de (ou grâce à) la consommation de ses partenaires. Frustrée par des comportements égoïstes qui lui semblaient conditionnés par le porno, elle s’y est intéressée. Et c’est là qu’elle a aussi trouvé son remède :
“J’ai fantasmé sur un cunnilingus absolument érotique puisque je n’avais jamais rencontré un mâle à l’aise avec cette pratique, et c’est comme ça que je me suis moi-même retrouvée à taper des mots-clés sur YouPorn comme ‘cunnilingus’, ‘erotic’, ‘tongue’, ‘close’, etc.”
Une encyclopédie utile des pratiques sexuelles
Cette notion d’encyclopédie utile du corps et des pratiques a été évoquée par quasiment toutes les lectrices qui ont témoigné. Elles y ont trouvé une façon d’ouvrir leur imaginaire et leurs pratiques. Et aussi, d’abord, d’apaiser leur curiosité. Amandine a ainsi regardé son premier porno parce qu’elle ne connaissait “rien au sexe” :
“J’étais très curieuse de voir un homme nu, un sexe d’homme. J’étais déjà tombée sur des films érotiques le dimanche soir sur M6, qui m’avaient passablement excitée, mais cela ne me suffisait plus. Un jour, j’ai donc décidé de louer un porno au vidéoclub. La borne extérieure au magasin me permettait de le faire à l’insu de quiconque. Il y avait même, dans cette catégorie, une sélection des meilleurs films, dans laquelle j’ai fait mon choix.”
Cette notion de choix est cruciale pour les lectrices qui ont témoigné. Anna nous explique ainsi que le porno l’a rendue maîtresse de sa sexualité et l’a aidée à connaître son corps et à en explorer les plaisirs :
“Le porno, ça permet d’apprendre à se connaître, de voir ce qui nous excite, ce qui nous fait arriver à l’orgasme. Je suis assez curieuse, et je peux aussi bien regarder du porno hétéro que du porno homosexuel.”
C’est, pour une bonne partie des femmes, une pratique sexuelle au minimum complémentaire des rapports qu’elles ont avec leurs partenaires. Grâce au porno, Marie refuse de se limiter “aux représentations sexuelles classiques” et n’hésite pas à faire ce qui lui fait envie :
“Au final, regarder du porno a rendu ma vision de la sexualité moins taboue : je suis ultra-ouverte sur ce sujet et en parler ne me dérange pas du tout. En écumant les sites aussi jeune, j’ai réussi à trouver relativement rapidement ce qui me plaisait dans ma vie sexuelle active. J’ai ainsi pu m’épanouir pleinement (et bien plus vite que les personnes que je connais).”
Cathy trouve justement une véritable ouverture dans le porno, qu’elle regarde parce qu’elle adore “découvrir de nouveaux corps, d’autres pratiques”. Il y a aussi une certaine forme de plaisir voyeuriste pour elle, qui aime “entendre la manière qu’ont les gens d’exprimer leur plaisir, leur orgasme – bien qu’il soit parfois ou souvent simulé”. Le porno permet ainsi à chacune des fantasmes différents.
À chacune ses fantasmes
Contrairement à la plupart des lectrices qui nous ont livré leur témoignage, Louise a commencé le porno pour voir un scénario bien précis, né de son imagination, qu’elle qualifie “d’assez précoce sur ce sujet”. Beaucoup de ses amies sont révoltées par cette catégorie, mais elle ne s’en lasse pas : depuis le début, c’est le gang-bang, “une multitude de pénis autour d’une femme” :
“Le porno, pour moi, c’est l’expérience du voyeurisme, une fausse interdiction, une semi-honte. J’ouvre la navigation privée et le processus dure environ 3 minutes et 20 secondes. Je ne regarde pas les hommes dans ces vidéos, je regarde l’actrice en premier plan, puis l’arrière-plan flou de ses mains tremblantes sur des pénis.
Je choisis ma vidéo en fonction de la femme, elle ne doit pas être figée, stéréotypée et refaite, mais naturelle et au plus proche de celles que je trouve belles au quotidien. Ce réalisme fictif contrebalance avec l’artifice de l’ensemble du processus.
La femme sera la porte d’entrée à la sensation de voyeurisme. Le nombre incalculable d’hommes autour d’elle permet d’éviter la singularité du pénis. Je ne veux pas me concentrer sur la teub, j’en ai déjà une chez moi qui me satisfait pleinement avec grande dévotion, et c’est seulement elle que je trouve belle.
Ce que je veux voir, c’est la fille comme le fantasme de tous ces hommes : elle n’est pas, pendant ces 3 minutes et 20 secondes, un objet, mais bien le visage des fantasmes qui a pour résultat une éjaculation artificielle.”
C’est le contraire pour Cathy, qui ne veut, elle, qu’entendre les sons des vidéos pour imaginer des scènes. “C’est avant tout le bruit des corps qui me transporte. Les voix, les respirations, leurs jouissances et cris me mènent à l’orgasme bien plus que le visuel”, explique-t-elle. Elle se laisse guider par la curiosité en matière de scénarios, même si elle a quand même quelques préférences :
“Je regarde plutôt des orgies, soit hommes-femmes, soit seulement avec des femmes. Regarder des vidéos de personnes trans m’émoustille aussi beaucoup, tout comme l’intensité des éjaculations féminines. Régulièrement, je regarde aussi les gang-bangs, et parfois les vidéos de BDSM. J’évite en revanche le porno dans lequel les personnes parlent français. Je ne sais pas pourquoi, cela ne m’excite pas.”
Tout cela reste pour elle “de l’ordre du fantasme” qui, loin d’influencer sa sexualité, “l’agrémente une à deux fois par semaine”. Sarah se cantonne de son côté à un seul type de vidéos, mais ce n’est pas vraiment un choix : elle a “l’impression que 95 % des vidéos” sont faites par des hommes, et le résultat n’est pas franchement émoustillant :
“J’ai toujours cette sensation d’être dans un fast-food et de regarder des steaks, ou du bacon, se faire écraser par une spatule pour une cuisson plus rapide. J’ai cherché des vidéos sans succès, jusqu’à ce que je tombe sur la vidéo ‘This Is How to Eat Pussy’ dans la catégorie lesbian. Et je me suis rendu compte que j’étais satisfaite en la regardant régulièrement pendant quelques mois.”
Porno et sexisme : à chacune son curseur
Ce problème de sexisme dans le porno a été souligné par la plupart des lectrices ayant témoigné, et chacune a sa façon d’y faire face. Le rapport de Léa au porno est compliqué, parce qu’elle est “féministe et aime le BDSM soft”. Quand elle a commencé à avancer dans ses réflexions féministes, cela a remis sa consommation de porno en question. “Parce qu’on ne va pas se le cacher, l’industrie du porno est majoritairement sexiste et misogyne”, précise-t-elle. Pour certaines, il s’agit pourtant parfois d’une question d’interprétation. Louise tient ainsi à défendre sa catégorie de prédilection :
“Lorsque je raconte mon plaisir ‘gang-banguien’, j’ai deux réactions, celle des femmes et celle des hommes. La première est révoltée, elle ne sait généralement pas de quoi je parle et me regarde étrangement sans répondre. Les hommes ont une réaction d’excitation, pensant que j’aime m’affoler devant un ensemble de bites alors que dans le gang-bang, la femme est unique et les hommes ne sont que des phallus à poils avec deux mains.
Ces deux catégories dont je parle – les hommes et les femmes – ne voient pas, à mon sens, le sens réel d’un gang-bang. À mes yeux, c’est plutôt le plaisir féminin d’être un fantasme, et le plaisir masculin d’éjaculer ensemble dans une brave camaraderie.”
Pour autant, Louise ne tient pas du tout à vivre un gang-bang. C’est pareil pour Amandine, dont les fantasmes sont clairement opposés à sa sexualité avec des partenaires et ses convictions. Elle est féministe et lesbienne et les scènes qu’elle recherche quand elle regarde du porno sont celles d’une “femme-objet, qui subit les ébats alors que l’homme prend son pied”.
“J’ai toujours joui au moment où l’homme atteignait l’orgasme. J’ai toujours attendu ce moment-là. Les grognements bestiaux des hommes m’excitent au-delà de tout. Je n’ai jamais regardé de scènes de sexe entre femmes plus de quelques secondes : cela me dégoûte.
Le côté ‘spectacle pour hommes’ me laisse indifférente. Pourtant je n’ai jamais eu de relations sexuelles basées sur la force, la soumission. Cela reste mon petit fantasme, j’ignore si je l’assouvirai un jour. Si c’était le cas, je me verrais curieusement dans un rôle de soumise.”
Léa tient également à accorder une utilité au porno gratuit sexiste : même s’il va à l’encontre de ses convictions, cela lui a permis d’assumer sa sexualité – “comme si le fait de trouver des résultats de recherche correspondant aux mots-clés de [ses] fantasmes les avait rendus légitimes”. Mais elle a tenu à insister sur l’importance de parler des problèmes de l’industrie du porno :
“Si personne ne le sait, si l’on n’en parle pas, c’est un peu comme si ça n’arrivait pas. Comme si on n’avait rien fait, et, au final, ça ne règle pas le problème. Pire : les gros de l’industrie continuent de se faire du blé en exploitant des meufs paumées, comme dans le documentaire Hot Girls Wanted. Et les personnes qui tentent de rendre l’industrie plus sûre, diversifiée et inclusive dans ses pratiques et ses représentations, se font rire au nez.
Ce qui veut dire qu’elles galèrent pour avoir de quoi financer leur travail, et que les performeurs et performeuses se retrouvent dans une situation ultraprécaire. Sauf les quelques exceptions qui ont réussi à devenir des stars… Mais à quel prix ?”
Si Léa veut regarder du porno féministe, elle n’en a malheureusement pas vraiment les moyens. Comme Cathy, elle fait donc un tri, essaye de trouver “des vidéos où le point de vue n’est ni hétérocentré ni destiné uniquement au male gaze“. Pour trouver “un juste milieu entre [sa] tolérance éthique, [ses] envies et [son] compte en banque”. Mais dernièrement, Léa expérimente une autre solution avec son nouveau copain : ils se filment en pleine action. Une expérience probante :
“J’avoue que maintenant, quand j’ai envie de me stimuler visuellement en me masturbant, je regarde beaucoup plus souvent nos vidéos que du porno. Ça m’excite carrément plus et là, au moins, je suis sûre que les protagonistes sont consentants !”
Propos recueillis par Mélissa Perraudeau